Contribution
Le système éducatif sénégalais connait depuis plusieurs décennies des crises récurrentes qui ont abouti à un niveau particulièrement désastreux des élèves et étudiants. Ce parcours de notre école, jalonné d’années blanches (de droit ou de fait), a conduit à l’affaissement du système éducatif tant décrié par tous les partenaires de l’école : gouvernement, patronat, syndicats, enseignants, parents d’élèves et investisseurs.
La collectivité nationale ne me semble pas avoir pris suffisamment conscience de l’ampleur du désastre et de son impact négatif sur notre développement et sur l’avenir de notre pays. Je rappellerai l’anecdote de cet empereur chinois qui, manifestant le désir d’annexer un pays voisin, envisagea une option militaire. Un de ses conseillers lui confia ceci : «Si tu veux détruire un pays ennemi, inutile de lui faire une guerre sanglante qui pourrait durer des décennies et coûter cher en pertes humaines. Il suffit de lui détruire son système d’éducation et d’y généraliser la corruption. Ensuite, il faut attendre vingt ans et vous aurez un pays constitué d’ignorants et dirigé par des détourneurs de fonds publics. Il vous sera alors facile de les vaincre». Ces propos machiavéliques révèlent à suffisance, le rôle central de l’éducation dans tout processus de développement. Elle en constitue l’arme ultime.
Les accords Gouvernement- Syndicats signés en avril 2013, sont censés assurer la stabilité du système éducatif (dixit un responsable syndical). Une telle croyance manque cruellement de pertinence pour une raison très simple : on s’est occupé de tout sauf de l’équilibre socio-économique de l’enseignant qui est l’animateur, le principal acteur du système. Les différents points évoqués dans le protocole d’accord sont certes importants, mais sont insuffisants pour permettre l’atteinte de cet équilibre. Quels que soient les investissements qui seront réalisés dans le système éducatif, si l’élément central du dispositif, à savoir l’enseignant, n’évolue pas dans un équilibre socio-économique, on ne pourra atteindre les objectifs d’un enseignement de qualité, gage d’une stabilité du système et d’un développement harmonieux et durable.
Comment atteindre l’équilibre socio-économique de l’enseignant ? Il faudra pour y parvenir réaliser les 5 points suivants :
1/- La formation de qualité de l’enseignant : car un enseignant doit maitriser ses outils de travail et a besoin du sentiment d’avoir les capacités nécessaires pour mener à bien sa mission. Ce sentiment aide à contenir le stress et à assurer le succès de sa mission. Nul ne doit plus être autorisé à enseigner s’il n ‘a pas été formé à cet effet, qu’il soit du public, du privé, du confessionnel ou du laïc.
2/- En quittant le centre de formation, l’enseignant doit recevoir un package comprenant : un ordinateur (dotation non cessible), un prêt de premier équipement (variant de 1000 000 FCfa pour le primaire, 1 500 000 F pour le secondaire et 3 millions de francs pour le supérieur), une connexion Internet haut débit à un tarif étudiant -enseignant de 5000 F mensuel maximum (car l’enseignant doit être relié en permanence au savoir (bibliothèques virtuelles) et à l’information), une adhésion à une mutuelle de santé pour lui et sa famille.
3/- En même temps qu’il est titularisé, il intègre le programme de logement social et doit recevoir son logement clé en main au plus tard dans les 3 ans suivant cette titularisation (titularisation dans les délais réglementaires). Ce logement dont le coût sera de 8 millions pour le primaire, 15 millions pour le secondaire et 30 millions pour le supérieur sera subventionné à hauteur de 60 % et payable sur 15 ans ; l’Etat apportant la subvention sous forme de terrains, d’exonérations et de bonifications de taux. Le prêt sera consenti à l’enseignant par les banques privées avec l’encadrement de l’opération par l’Etat et sera jumelé à un prêt-équipement de respectivement 2 millions, 3 millions et 5 millions, le tout étalé sur 15 ans aussi.
La formule «j’habite donc je suis» prend ici tout son sens. Un logement à soi est la source principale de stabilisation et d’équilibre du travailleur, car le logement n’est pas seulement un actif sujet à des transactions immobilières, il est également source d’émotions, de projection de soi et d’organisation de vie. Il est aussi source de sécurité, de fierté et de préservation de la dignité, toutes choses qui contribuent à cet équilibre personnel salvateur. Il constitue par ailleurs pour l’enseignant un prolongement de sa classe, pour le travail du soir. Par le passé, des programmes d’octroi de terrains avaient été initiés au bénéfice des enseignants, mais ont vite montré leurs limites. Certains bénéficiaires ont construit difficilement et tardivement, d’autres n’ont pas pu le faire et ont fini par vendre leurs terrains après leur départ à la retraite. D’où cette nécessité d’une formule clé en main (ouby tey deuk tay).
L’indemnité de logement ne permet pas, à elle seule, l’accès à la propriété immobilière, elle accompagne le dispositif ci-dessus décrit qui sera un dispositif permanent que tout enseignant nouvellement recruté va intégrer. Aujourd’hui, des enseignants partent à la retraite sans maison à eux, ce qui est désastreux pour les intéressés, pour le mental de ceux qui sont encore en activité mais surtout pour l’image de la profession et de la collectivité.
Tous les corps de métier sont importants, tous méritent notre soutien. Mais les contraintes qui pèsent sur l’enseignant et les attentes fortes placées en sa personne expliquent cette attention toute particulière de la collectivité.
4/- L’enseignant doit pouvoir systématiquement intégrer l’Uvs s’il le désire et s’il remplit les conditions requises.
5/- Les procédures de gestion de la carrière de l’enseignant devront être dématérialisées et les systèmes informatiques des ministères impliqués devront être interfacés. Ceci afin d’éviter à l’enseignant de devoir se déplacer physiquement pour retirer des actes ou constituer de multiples dossiers. Ces déplacements physiques lui coûtent cher en temps et en argent et coûtent aussi aux élèves, aux étudiants et d’une manière générale à la collectivité nationale. La prise en charge médico-sociale doit aussi être dématérialisée à l’instar de la procédure d’une institution comme la Mectrans (Mutuelle d’épargne et de crédit des transporteurs sise à Colobane) qui utilise le sms pour recevoir les demandes de prises en charge, qui envoie un sms au bénéficiaire et au médecin traitant sans que personne ne se déplace, même si toutes les parties sont dans des villes différentes. Toute la procédure se déroulant en moins d’une demi-heure.
On peut a priori penser que ce programme coûte cher, oui mais si c’est le prix à payer pour mettre le pays sur la rampe du développement, si c’est la clé de notre succès, la collectivité ne devrait pas hésiter à en supporter la charge. Et tel est le cas. Au demeurant, ce programme ne coûte pas très cher, car l’Etat apporte la subvention sous forme de terrains, d’exonérations et de bonification de taux (cette bonification est donnée sur la durée du prêt et sera tout à fait supportable par le budget de l’Etat). Et au-delà de cette dimension financière, l’Etat devrait rechercher les bénéfices économiques et sociaux d’un tel programme incontournable pour le salut de notre pays. Ce qui coûte le plus cher, c’est un système éducatif qui absorbe des centaines de milliards chaque année pour de piètres résultats.
Ce programme, précisons-le, concerne tout le corps enseignant qu’il soit du public, du privé, du confessionnel ou du laïc, y compris ceux qui enseignent dans les écoles de police, de la gendarmerie, de l’armée, etc. Car l’élève qu’il s’agit d’encadrer avec succès est présent dans tous les ordres d’enseignement ou passe d’un ordre à un autre. La qualité de l’éducation assurée ici facilite le travail de continuation par ailleurs, mais toujours dans le même système éducatif qu’il convient d’unifier par équité pour le plus grand profit de notre pays. Aussi les bonnes conditions d’encadrement de cet élève doivent être assurées partout et dans tous les ordres d’enseignement.
Nous proposons aussi d’étendre ce programme à titre exceptionnel aux enseignants partis à la retraite durant ces 5 dernières années. Nous le ferons par mea-culpa au nom de la collectivité. Pourquoi pas aux autres retraités direz-vous, parce qu’on ne peut pas corriger toutes les erreurs de l’histoire.
Oumar SYLLA
Ex-Secrétaire général du ministère de l’Economie et des Finances
Président fondateur du Mouvement Samme sa saggo, pour l’élimination de la corruption politique et l’abstention
www.sammesasaggo.org [email protected]