Bruits de bottes au Parti de l’Indépendance et du Travail (Pit). Mohamed Lamine Ly, membre du Comité central, dénonce le soutien à la candidature de Macky Sall, qu’il assimile à un «suicide politique» pour son parti.
Le Pit est devenu, pense-t-il, si obéissant à Macky Sall qu’il bénit, aujourd’hui, des «phénomènes inquiétants contre lesquels il s’était toujours dressé». Soulignant dans son «pamphlet» que cet assujettissement aveugle au chef de l’Etat et son régime a fini de faire changer de direction le Pit et de créer un conflit ouvert en son sein, Mohamed Lamine Ly invite ses «camarades égarés», qui privilégient des «intérêts étroits d’appareil», de se ressaisir, afin de redorer le blason du parti et de le replacer dans sa trajectoire idéologique et historique, qui est d’être aux côtés des masses laborieuses et de toujours porter leurs combats.
Après l’Afp, le Parti socialiste, la Ligue Démocratique… des voix s’élèvent au sein du Parti de l’Indépendance et du travail (PIT). Aux commandes de cette «rébellion», Dr Mohamed Lamine Ly, membre du Comité Central. «La décision prise par le Comité central du Parti de l’indépendance et du travail (Pit), du 30 septembre 2018, de soutenir la candidature du Président Macky Sall est d’une gravité extrême et semble même, sous certains angles, revêtir des allures de suicide politique», a martelé d’emblée le camarade de Amath Dansokho. Pour lui, cette option est d’autant plus suicidaire que «le prétexte de recherche de cohérence brandi pour justifier la prolongation du compagnonnage avec le président de l’Apr, au-delà de 2019, était déjà jugé fallacieux». En effet, pour Dr Ly, «il n’est pas logique de foncer lorsqu’on se rend compte qu’on s’est trompé de direction». Convaincu de «l’évidence» que le Pit est en train de faire fausse route, il assène : «la voie empruntée par le Président Macky Sall, depuis 2012, n’est pas la nôtre, ni historiquement, ni sociologiquement», martèle-t-il.
«On observe des phénomènes inquiétants, contre lesquels notre parti s’était toujours dressé»
Et c’est d’autant vrai, pour lui, que le parti ferme les yeux actuellement sur des choses contre lesquelles il s’était toujours insurgé dans le passé. «On observe des phénomènes inquiétants, contre lesquels notre parti s’était toujours dressé», note Dr Ly. Qui s’empresse d’énumérer les phénomènes inquiétants en question. «Une mal-gouvernance illustrée par les scandales en cours sur le bradage de nos ressources nationales (pétrole, or du Sénégal oriental, fer de la Falémé…), le renforcement de la mainmise des puissances étrangères, particulièrement la France sur notre économie (Total, Eiffage, Orange, Auchan, franc Cfa…), la poursuite et l’amplification de la transhumance honnie, assimilée à la pêche de gros poissons par des pécheurs invétérés, l’instrumentalisation de la Justice dénoncée par l’Union des magistrats sénégalais, avec l’embastillement d’adversaires politiques et l’impunité de fait pour les amis et les transhumants, un recul démocratique indéniable, un ministre de l’Intérieur partisan…», liste le protestataire.
Suffisant pour qu’il attribue «la situation de paix et de stabilité qui prévaut encore» au Sénégal, à «la maturité et des traditions pacifiques de notre peuple», et non au «prétendu génie politique d’un Président semeur d’injustices, auteur d’actes antinationaux, antipatriotiques». Des actes commis par Macky Sall et qui, pour lui, renferment «des germes de menaces de troubles sociaux incontrôlés».
«2 milliards dilapidés pour permettre au Président-candidat d’obtenir l’approbation d’1% de ses concitoyens»
Ne décolérant pas contre le chef de l’Etat, préoccupé, pour lui, que par sa réélection, Mohamed Lamine Ly de brandir à nouveau son viseur sur le palais et son occupant. «Où sont la paix et la justice sociale, quand deux milliards sont dilapidés pour permettre au Président-candidat d’obtenir l’approbation de 1% de ses concitoyens et d’avoir le droit de se représenter?», dénonce Dr Ly. Qui regrette que pendant qu’on dilapide les ressources du pays pour des raisons politiciennes, et que le ministre des Finances évoque une surliquidité à hauteur de 700 milliards, «l’Université de Saint-Louis est obligée de repousser son ouverture aux calendes grecques, parce que l’État reste devoir 1,6 milliard aux fournisseurs du Crous et que les étudiants incompréhensiblement versés dans les écoles privées en sont exclus pour défaut de paiement de l’État ?» Pour lui, toute cette embellie financière annoncée est soit un «mensonge d’État», soit une «volonté délibérée de sacrifier toute une génération».
«Pouvons-nous continuer à applaudir publiquement sans réserve les choix de la politique libérale et antinationale du Président-candidat ?»
Indigné par le silence coupable de ses camarades qui ne lèvent jamais le plus petit doigt pour dire stop au gouvernement, Dr Ly se demande pourquoi, par exemple, le Pit devrait «se taire ou justifier les milliards engagés pour réhabiliter un Building administratif jamais livré, alors qu’un autre building a été construit pour abriter le gouvernement». Surtout que, pour lui, cet allié à qui on obéit au doigt et à l’œil n’a même pas cru important de les consulter pour «le choix antinational de sauver Alstom en condamnant le Dakar-Niger et bientôt le dernier bout de rail du Petit train Bleu». Et de demander : «pouvons-nous continuer à applaudir publiquement sans réserve les choix de la politique libérale et antinationale du Président-candidat?»
«L’argumentaire pour soutenir la candidature de Macky Sall est truffé de contre-vérités manifestes, aux antipodes des réalités quotidiennes des masses laborieuses»
Pour Ly, la réponse coule de source. «L’argumentaire pour soutenir la candidature de Macky Sall est truffé de contre-vérités manifestes, objectivement vérifiables, aux antipodes des réalités quotidiennes des masses laborieuses, des syndicats en lutte, de la jeunesse dans le désarroi, qu’elle soit à l’école ou dans la rue». Aussi, il dénonce «la lettre d’allégeance» à Macky Sall, intitulée «Lettre aux Sénégalais», dont on peine à identifier le ou les auteur(s), l’instance ou le responsable, de même que «ces communiqués intempestifs de loyauté et de fidélité à la politique antinationale et antidémocratique du président de la République». Pour lui, ces actes posés ne sauraient engager les «authentiques militants» du parti.
«Le Pit-Sénégal ne connaît certes pas encore de scission, mais est traversé par un conflit ouvert… »
Même si, pour le moment, il y a une unité, même de façade, au sein du parti, le Pit est en danger de scission. En effet, les lignes se creusent de plus en plus entre deux bords, si l’on en croit Mohamed Lamine Ly. «Le Pit-Sénégal ne connaît certes pas encore de scission, mais est traversé par un conflit ouvert entre une nomenklatura, privilégiant des intérêts étroits d’appareil et ayant une approche de sommet, et de nombreux cadres politiques, militants depuis plusieurs décennies, liés aux masses et conscients des méfaits de la politique qu’on leur fait endosser», affirme-t-il. Tout en précisant que c’est au nom de ceux qui sont restés fidèles aux idéaux et valeurs du parti, «que cet appel à un sursaut salvateur est lancé».
Les Echos