CONTRIBUTION
Dans son discours de fin d’année 2017, le président Sall disait : «Avec un taux de croissance estimé à 6,8 % en 2017, et une perspective de plus de 7 % en 2018, nous enregistrons pour la troisième année consécutive une des meilleures performances économiques en Afrique». Puis, il ajouta que «nos performances seront encore meilleures avec l’exploitation prochaine des ressources pétrolières et gazières».
Une croissance virtuelle
Pour mesurer la croissance, on utilise souvent le Pib (Produit intérieur brut) comme indicateur. Il est calculé en ajoutant les sommes des valeurs ajoutées à la Tva et aux droits et taxes sur les importations et on soustrait les subventions sur les produits. Le Pib permet de mesurer la production économique au sein du Sénégal. Il mesure la production totale de biens et services durant une période déterminée. Il permet de mesurer la santé économique du pays.
Le taux de croissance est calculé ainsi : [Pib (n) – Pib (n-1)] ÷Pib (n-1), ce qui n’est rien d’autre que prendre l’indicateur de cette année moins l’indicateur de l’année dernière et on divise cela par l’indicateur de l’année dernière qu’on multiplie par cent. Pour connaitre le Pib par habitant, il suffit juste de diviser le résultat obtenu par le nombre d’habitants, cela permet de connaitre un peu plus sur le développement d’un pays. Cependant, il faut noter que le Pib est juste une mesure globale. Il ne prend pas en compte les inégalités sociales. Même si notre Pib augmente, les revenus peuvent diminuer pour une grande partie de la population alors qu’elle augmente pour une minorité et cela ne fera que renforcer les inégalités. Il faut aussi noter que le calcul du Pib repose sur la comptabilité nationale, donc sur ce que l’Etat déclare.
Le Sénégal a connu une croissance assez soutenue ces trois dernières années et espère en faire de même cette année. Cela s’explique, entre autres, par les investissements effectués dans les infrastructures publiques. Bien qu’il soit important d’investir dans les infrastructures pour le développement du pays, il faut noter qu’il y a eu beaucoup de dépenses somptuaires à but électoraliste. Ce plan d’infrastructures a commencé sous le président Wade et le Sénégal en avait besoin pour accroitre sa croissance, mais les autres secteurs ont été laissés en rade durant ce moment et cela a affecté la croissance harmonieuse.
La première phase du Plan Sénégal Emergent allant vers sa fin et la seconde phase devant commencer, le Sénégal sera-t-il en mesure de soutenir cette croissance durant cette période ? Si nous avions investi dans les infrastructures d’urgence pour permettre aux investisseurs privés de s’installer, cela allait être plus utile à notre développement. La plupart des investissements sont soit des investissements d’urgence, soit des investissements dont le retour sur investissement est inconnu. En six ans, la priorité devait être la mise en œuvre des réformes pour un meilleur climat des affaires pour que les investisseurs privés puissent investir au Sénégal et créer des emplois. La première phase du Pse devait conclure l’investissement public pour donner place à l’investissement privé, mais malheureusement, cela n’est pas le cas. L’Etat sera dans l’obligation de continuer à investir dans les infrastructures, car il n’y a pas assez d’infrastructures nécessaires pour que l’économie soit en autopilote.
Le secteur le plus important n’a malheureusement pas été doté d’infrastructures pour pouvoir industrialiser ce secteur pour créer l’effet d’entrainement sur les autres secteurs. L’agriculture, le tourisme et la pêche ont été ignorés pendant que les mines et les matériaux de construction ont tiré notre croissance. Nous ne nous développerons jamais sans le développement du secteur primaire. Il est toujours possible de se rattraper en dotant notre pays d’infrastructures qui puissent lancer le secteur primaire, industrialiser le pays pour enfin un décollage réussi après tant d’années d’échecs répétés.
Le Sénégal sous haute tension budgétaire
La trésorerie de l’Etat est sous une haute tension bien que les membres du gouvernement le réfutent. Il ne s’agit même pas de discuter si c’est le cas ou non. Il suffit juste d’observer pour comprendre que la trésorerie est sous une haute tension. L’Etat a eu du mal à payer les bourses des étudiants, causant la mort d’homme, les étudiants qui sont orientés dans les universités privées sont sous menace d’expulsion à cause de l’argent qui est dû à ces universités. Les hôpitaux en souffrent à cause de la gratuité de certains soins dérivés de la Couverture maladie universelle. L’Etat qui crée la richesse avec une main, crée la pauvreté avec l’autre main. Quand l’Etat est un mauvais payeur, cela affectera l’économie d’une manière ou d’une autre, car cela ralentira les dépenses des ménages, ce qui impactera directement l’économie. Le secteur privé ne sera pas en mesure d’investir ou de recruter, car n’ayant pas assez de liquidité à cause de l’Etat.
L’Etat était en mesure de diminuer le prix de l’électricité à cause du prix du baril du pétrole qui avait chuté jusqu’à 30 dollars durant l’implantation du Pse. Au bout de deux ans, le prix du baril a doublé et l’Etat devait augmenter le prix de l’électricité conséquemment, mais cela n’a pas été fait de peur de fâcher l’électorat. Cela est vraiment irresponsable, car cela poussera l’Etat à dépenser de l’argent qu’il n’a pas, mais aussi à ne pas être en mesure de payer ses fournisseurs. Ces fournisseurs ne seront pas en mesure de s’acquitter de leurs obligations fiscales.
L’Etat est en train de s’endetter pour le développement du Sénégal, cela n’est pas une mauvaise chose mais dans notre cas, les ressources sont très mal allouées et cela nous affecte, car nous transférons notre richesse en payant la dette. Si les ressources étaient bien allouées, nous ferions face soit à un retour sur investissement soit à une optimisation de la gestion de notre trésorerie. La masse salariale de l’Etat est colossale, sans compter les avantages en nature pour un pays très pauvre.
Le secteur informel qui aurait dû faire partie du calcul de la croissance, n’a pas été pris en compte, car l’Etat ne trouve pas les moyens ou le désir de formaliser ce secteur. Nous ne pouvons pas oublier le taux d’intérêt exorbitant des banques qui ralentit le développement, la lenteur de l’octroi du crédit, tout cela freine le développement. Il est temps que le ministre de l’Economie enlève sa casquette d’excellent inspecteur des impôts pour mettre sa casquette d’économiste ou de banquier qu’il n’est pas. Il est temps que nous prenions notre destin à deux mains et de transformer notre économie de manière structurelle.
Dans la seconde phase du Pse ou dans les 5 prochaines années, il faudra impérativement développer le secteur primaire. Nous devons aussi impérativement résoudre le problème du secteur informel, que le président ne soit plus président du Conseil supérieur de la magistrature ni son ministre de la Justice d’en être le vice-président pour une bonne gouvernance.
La perception est une chose très importante pour le bien-être de l’économie. Il faut aussi sérieusement investir dans le capital humain en mettant l’accent sur l’éducation, la santé et la qualification de la main-d’œuvre. Il est possible de développer notre cher Sénégal, mais il faut des gens courageux qui ne se soucient que du Sénégal. Cette croissance tant politisée pourra-t-elle dépasser la barre des 7 % avec l’entame de la phase 2 du Pse ? Le président Macky Sall gagnera-t-il son pari d’avoir politisé la croissance économique ?
Par Mohamed DIA
Consultant bancaire
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