Visite de François Mitterrand à Ouagadougou
Cet échange dont un extrait filmé très fort est repris dans le film « L’Homme Intègre » de Robin Shuffield est assez célèbre pour la sincérité et la vérité avec laquelle Sankara s’adresse à Mitterrand qui a du improviser une réponse.
Il a lieu alors que la droite a gagné les élections et que Chirac est redevenu premier ministre quelques mois auparavant. Il a eu lieu à Ouagagougou à l’occasion d’un diner durant la première visite officielle de Mitterrand au Burkina Faso.
Cet échange a aussi inspiré la pièce de théâtre Mitterrand et Sankara de Jacques Jouet (voir la présentation à l’adresse et le texte à l’adresse.)
Discours de Thomas Sankara
Permettez-moi de m’adresser à notre illustre hôte, M. François Mitterrand, et à son épouse Madame Danielle Mitterrand.
Monsieur le président, lorsqu’il y a de cela quelques années, vous passiez par ici, ce pays s’appelait la Haute-Volta. Depuis, bien des choses ont changé et nous nous sommes proclamés Burkina Fa . C’est là tout un programme dans lequel est inscrit le code de l’honneur t de l’hospitalité. Et c’est pour cette raison que nous sommes sortis r vous souhaiter la bienvenue ici, au Burkina Faso, à l’occasion de votre brève escale à Ouagadougou.
C’est la malédiction pour celui chez qui jamais l’on ne frappe, celui chez qui jamais ne passe et ne s’arrête le voyageur assoiffé et affamé. Au contraire, et c’est notre cas, le voyageur s’est arrêté chez nous et, lorsque après la gorgée d’eau rafraîchissante, des forces sont venues, il a engagé le discours avec nous pour mieux nous connaître, pour mieux nous comprendre et emporter avec lui, chez lui, des souvenirs de chez nous.
Monsieur le président, il est difficile de dissocier l’homme d’État que vous êtes de l’homme tout court. Mais je voudrais dire avec insistance que nous accueillons ici François Mitterrand. Et c’est bien pour cette raison que chacun ici vous a témoigné, à sa manière, sa satisfaction, sa joie de saluer celui qui est venu pour voir et témoigner de sa bonne foi, de son objectivité, que quelque chose se fait quelque part sous le soleil d’Afrique, au Burkina Faso.
Le Burkina Faso est un chantier, un vaste chantier. Le temps ne nous a pas permis d’aller rendre visite et hommage à ces nombreux travailleurs ici et là, qui, chaque jour, s’entêtent à transformer le monde, à transformer un univers aride, difficile. Les victoires qu’ils viennent de remporter déjà nous permettent de dire que nous sommes loin du mythe du travail de Sisyphe. En effet, il faut mettre une pierre sur une autre, recommencer et encore recommencer. C’est dans ces conditions qu’aujourd’hui le Burkina Faso est fier d’avoir fait passer le taux de scolarisation de 10 pour cent à près de 22 pour cent, grâce à ces nombreuses écoles, à ces nombreuses classes que nous avons construites de nos mains, ici et maintenant. Nous avons pu réaliser de nombreux barrages, de nombreuses petites retenues d’eau qui, si elles ne sont pas de la taille de ces grands ouvrages dont on parle tant dans le monde, ont leurs mérites, et nous inspirent des motifs légitimes, je crois, de fierté.
C’est encore avec le courage de nos bras et la foi de nos coeurs que nous avons construit dans chaque village du Burkina Faso un poste de santé primaire. C’est avec détermination que nous avons vacciné des millions et des millions d’enfants de ce pays et des pays voisins. La liste serait longue, mais, hélas, elle ne suffirait pas à représenter un pas, un seul pas de notre programme vaste et ambitieux. C’est donc dire que la route est longue et très longue.
Monsieur François Mitterrand, venant au Burkina Faso, ce sont ces réalités que nous souhaitons que vous puissiez connaître. C’est cela que nous souhaitons que vous puissiez rapporter en France, et ailleurs. Dans le tumulte des luttes, dans la cacophonie des agressions, il est utile que des témoignages justes, sains et appropriés disent ce qui est. Et en vous choisissant comme interprète et porte-parole, nous voulons également souligner les combats constants qui ont animé votre carrière politique, votre vie tout court. Ces combats-là, nous les connaissons et ils nous inspirent également nous autres du Burkina Faso.
Vous aimez à parler, avec parfois entêtement dans certains milieux réfractaires, du droit des peuples. Vous aimez à parler, avec une lucidité que nous avons appréciée, de la dette. Vous aimez à parler également de la coopération, du Tiers Monde. C’est bien. Lorsque nous avons appris que Monsieur François Mitterrand allait fouler le sol du Burkina Faso, nous nous sommes dit que si le raisonnement nous écartait de l’élégance des propos, le sens du noble combat je veux parler des joutes oratoires saurait nous rapprocher, tant nous apprécions ceux chez qui le discours s’éloigne du négoce, des tractations, des combines et des magouilles.
Au Berri (province française), je crois, votre nom Mitterrand signifie terrain moyen ou peut-être mesureur de grains ? Dans tous les cas : homme de bon sens. Bon sens proche de ces hommes qui sont liés à la terre, la terre qui ne ment jamais. Qu’il s’agisse du grain, qu’il s’agisse du terrain, nous pensons que la constante est que vous resterez vous-même lié au terroir. C’est pourquoi, parlant du droit des peuples, thème qui vous est cher, nous disons que nous avons écouté, apprécié les appels que vous avez lancés et que vous avez répétés après mai 81.
Nous suivons et apprécions aussi chaque jour, les actes comme ils sont posés. La France est engagée avec les autres peuples du monde dans la lutte pour la paix et c’est pourquoi, à l’heure où nous nous rencontrons aujourd’hui, il convient de rappeler que d’autres, ailleurs, ignorent, et pour combien de temps, cette paix.
Il s’agit d’abord des Palestiniens. Les Palestiniens, des hommes et des femmes qui errent de part en part, bohémiens du sionisme. Ces hommes et ces femmes qui sont contraints de chercher refuge, ces hommes et ces femmes pour qui la nuit est une succession de cauchemars et le jour, une avalanche d’obus.
La paix c’est aussi le Nicaragua. Vous-même, dans un de vos discours, disiez avec force le soutien que vous apportiez au Nicaragua contre les minages de son port, contre toutes les actions qui sont dirigées, de l’extérieur, contre les Nicaraguayens. Vous-même, dans vos nombreux entretiens avec le commandant Ortega, avez eu à plaindre ce peuple qui n’en finit pas de souffrir et qui n’en finit pas de subir des actions de barbares qui ne sont pas venus de très loin, parce qu’ils sont Nicaraguayens, mais qui sont fortement appuyés par d’autres.
La paix, c’est aussi l’Iran et l’Irak. Combats fratricides complexes, incompréhensibles ; où l’on ne sait plus qui est dans quel camp, tant les imbrications sont nombreuses. Mais où l’on peut retenir simplement que ces armes dont les cliquetis signifient la mort chantent aussi la tristesse pour les femmes, les enfants, les vieillards, ces armes-là, sont fournies chaque jour par ceux qui se nourrissent du sang des autres, par ceux qui jubilent lorsque le fer tue et que le feu brûle.
La paix dans le monde, c’est également cette région tourmentée du Sud de l’Afrique. Comme si par un sort quelconque on y avait concentré des éléments incompatibles dans un cafouillage et dans des affrontements qui chaque jour se multiplient et s’agrandissent. Il n’y a pas longtemps, nous avons été consternés par la mort de Samora Machel. En même temps, nous y avons vu un message, une indication : la nécessité de lutter contre un ordre barbare, inique, rétrograde ; de lutter contre un ordre que les peuples civilisés et nous comptons la France parmi ces peuples-là ont le devoir de combattre pied à pied, qu’il s’agisse de sanctions économiques, qu’il s’agisse de mesures politiques et diplomatiques, qu’il s’agisse également de combats militaires directs et ouverts contre le racisme, l’apartheid en Afrique du Sud.
C’est dans ce contexte, Monsieur François Mitterrand, que nous n’avons pas compris comment des bandits, comme Jonas Savimbi, des tueurs comme Pieter Botha, ont eu le droit de parcourir la France si belle et si propre. Ils l’ont tachée de leurs mains et de leurs pieds couverts de sang. Et tous ceux qui leur ont permis de poser ces actes en porteront l’entière responsabilité ici et ailleurs, aujourd’hui et toujours.
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Nous savons que de nombreux débats ont été engagés autour de cette question, et nous connaissons les positions des uns et des autres. Mais enfin, pour nous la tristesse est immense. Ces hommes-là n’ont pas le droit de parler de compatriotes morts pour la paix parce qu’ils ne connaissent pas la paix. Ceux qui sont morts pour la paix sont en train de reposer en paix et ensemble chaque jour nous faisons en sorte que leur mémoire se perpétue grâce aux actes que nous essayons chacun de poser dans ce sens-là.
La paix dans le monde c’est aussi la République arabe sahraouie démocratique, où et nous ne comprenons pas un peuple, le peuple ahraoui, n’a toujours pas pu, n’a toujours pas trouvé comment s’autodéterminer, parce que des oppositions fortement soutenues, appuyées, s’intercalent, s’interposent. la paix c’est, également dans cette région, la Libye bombardée, des maisons détruites mais surtout un carnage inutile qui n’aura même pas permis à leurs auteurs d’aboutir, d’arriver à leurs fins, tout en privant ceux-là de leurs plus proches parents, de leurs amis, et de leurs réalisations.
La paix c’est aussi le Tchad. Le Tchad, pour lequel les constructions et les destructions se succèdent. Le Tchad pour lequel les opérations, les expéditions aussi se succèdent. Le Tchad ne trouvera jamais la paix, le bonheur et le développement par conséquent, tant que les Tchadiens eux-mêmes n’auront pas eu le loisir de se choisir une voie, et un chemin de construction nationale.
Pour toutes ces « zones de tempêtes », et pour bien d’autres, je crois, Monsieur le président, que vos efforts ne peuvent qu’être d’un puissant secours, en raison de l’importance de votre pays ; en raison aussi de l’implication directe ou indirecte, de votre pays dans ces zones-là. Je voudrais vous assurer que pour notre part, au Burkina Faso, nous sommes tout à fait disposés à tendre la main, à prêter notre concours à qui nous le demandera, pour peu que le combat que nous devons mener soit un combat qui nous rappelle la France de 1789. C’est pour cette raison que je voudrais vous dire que le Burkina Faso est prêt à signer avec la France un accord de défense, pour permettre à toutes ces armes que vous possédez de venir stationner ici, afin de continuer là-bas à Prétoria où la paix nous réclame.
Monsieur le président, je voudrais continuer à m’adresser à l’homme. Vous parlez beaucoup, souvent, de la dette, du développement de nos pays, des difficultés que nous rencontrons dans des forums internationaux comme la rencontre des Grands (les « 7 pays industrialisés ») à Tokyo. Vous y auriez défendu notre cause, nous vous en savons gré. Nous vous demandons de continuer à le faire, parce que, aujourd’hui, nous sommes victimes des erreurs, des inconséquences des autres.
L’on veut nous faire payer doublement des actes pour lesquels nous n’avons pas été engagés. Notre responsabilité n’a été nullement engagée dans ces prêts, ces endettements d’hier. Ils nous ont été conseillés et octroyés dans des conditions que nous ne connaissons plus. Sauf qu’aujourd’hui, nous devons subir et subir. Mais pour nous, ces questions ne se résoudront jamais par des incantations, des jérémiades, des supplications et des discours.
Au contraire, ces détours risquent d’avoir la lourde conséquence d’endormir la conscience des peuples qui doivent lutter pour s’affranchir de cette domination, de ces formes de domination. Vous-même avez écrit quelque part dans les nombreuses pages que vous avez offertes à la littérature française que tout prisonnier aspire à la liberté, que seul le combat libère.
Ensemble, organisons-nous et barrons la route à l’exploitation, ensemble organisons-nous, vous de là-bas et nous d’ici, contre ces temples de l’argent. Aucun autel, aucune croyance, aucun livre saint ni le Coran ni la Bible ni les autres, n’ont jamais pu réconcilier le riche et le pauvre, l’exploitateur et l’exploité. Et si Jésus lui-même a dû prendre le fouet pour les chasser de son temple, c’est bien parce qu’ils n’entendent que ce langage.
Monsieur le président, parlant de la coopération entre la France et le Tiers Monde, mais principalement entre la France et le Burkina Faso, je voudrais vous dire que nous accueillons à bras ouverts tous ceux qui, passant par ici, acceptent de venir contribuer avec nous à la réussite de ce vaste chantier qu’est le Burkina Faso.
En ce sens, la France sera toujours la bienvenue chez nous. Elle sera toujours la bienvenue dans des formes qu’il nous convient d’imaginer plus souples et qui rapprocheront davantage Français et Burkinabè. Nous ne demandons pas une aide qui éloignerait les Burkinabè des Français, ci serait une condamnation face à l’Histoire. Nous ne demandons pas, comme cela a été le cas déjà, que des autoançaises viennent s’acoquiner avec des autorités burkinabè, africaines, et que seulement quelques années plus tard, l’opinion française, à travers sa presse se répande en condamnations de ce qui s’appelait aide, mais qui n’était que calvaire, supplice pour les peuples
Il y a quelque temps, une certaine idée était née en France, que l’on nommait le cartiérisme. Le cartiérisme, hélas, a pu s’imposer à cause aussi de l’incapacité d’Africains qui n’ont pas su valoriser la coopération entre la France et les pays africains.
C’est donc dire que les torts sont partagés. Dans notre « Chant de la victoire » notre hymne national ceux-là, qui portent l’entière responsabilité ici, en Afrique, nous les appelons les valets locaux. Parce que soumis à un maître, ils exécutaient ici sans comprendre des actes, des ordres qui allaient contre leur peuple.
Monsieur le président, vous avez écrit quelque part qu’à l’heure actuelle, l’aide de la France baisse. Et que, hélas, ajoutiez-vous, cette aide évolue au gré des ambitions politiques de la France et comble de malheur « pour le comble », pardon, avez-vous dit et souligné ce sont les capitalistes qui en profitent. Eh bien, nous croyons que cela est également juste. Vous l’auriez écrit, je crois, dans cet ouvrage ma part de vérité. Cette parcelle de vérité est une vérité. Ce sont effectivement les capitalistes qui en profitent, et nous sommes prêts pour qu’ensemble nous luttions contre eux.
Monsieur le président, nous avons hâte de vous entendre, de vous entendre nous dire ce que vous retenez de ces quelques heures passées au Burkina Faso. De vous entendre aussi nous dire ce que signifie ce périple qui finit ici au Burkina Faso. En six jours vous aurez parcouru une bonne partie de l’Afrique ; le septième jour, vous vous reposerez.
Nous voulons avoir une pensée pour tous ceux qui, en France, oeuvrent sincèrement pour rapprocher des peuples lointains comme ces peuples d’Afrique, comme ce peuple du Burkina Faso, avec ce peuple français, courageux et aux grandes valeurs. Nous voulons penser, nous voulons adresser nos pensées à tous ceux qui, là-bas, sont chaque jour meurtris dans leur chair, dans leur âme, parce que çà et là un Noir, un Étranger, en France, aura été victime d’une action barbare sans égard pour sa dignité d’homme.
Nous savons qu’en France beaucoup de Français souffrent de voir cela. Vous avez, vous-même dit clairement ce que vous pensiez de certaines décisions récentes, comme ces expulsions de nos frères maliens’. Nous sommes blessés qu’ils aient été expulsés et nous vous sommes reconnaissants de n’avoir pas cautionné de telles décisions, de tels actes révolus.
Les immigrés en France, s’ils y sont pour leur bonheur, comme tout homme en quête d’horizons, de rivages meilleurs, ils aident et construisent également la France pour les Français. Une France qui, comme toujours, a accueilli sur son sol les combattants de la liberté de tous les pays.
Ici, au Burkina Faso, des Français luttent de façon sérieuse aux côtés des Burkinabè, bien souvent dans des Organisations non gouvernementales. Bien que toutes ces Organisations non gouvernementales, il faut le dire, ne représentent pas pour nous des institutions fréquentables certaines sont purement et simplement des officines condamnables il y en a de grand mérite. Et celles-là nous permettent de mieux connaître la France, de mieux connaître les Français. Nous pensons également à ceux-là. Nous pensons aussi à tous ceux qui comptent sur une action conjuguée, pour un monde meilleur.
Chaque année, de façon rituelle, et avec la précision d’un métronome, vous allez à Solutré’. Vous y allez de façon constante, et l’observation de ces actes répétitifs nous enseigne qu’il faut prendre « le grand vent de l’effort, la halte de l’amitié et l’unité de l’esprit ». Cela aussi, c’est vous qui l’avez écrit. Je vous l’emprunte. Nous espérons que vous emporterez avec vous, en France, ce sentiment de l’amitié et que votre halte à Ouagadougou aura été une halte de l’amitié.
C’est pour cela que je voudrais vous demander, Monsieur le président, Madame, Messieurs, de lever nos verres pour boire à l’amitié entre le peuple français et le peuple du Burkina Faso. Boire à l’amitié et à l’union de luttes contre ceux qui, ici, en France et ailleurs, nous exploitent et nous oppriment. Pour le triomphe de causes justes, pour le triomphe d’une liberté plus grande, pour le triomphe d’un plus grand bonheur.
La patrie ou la mort, nous vaincrons ! Merci.
La réponse de François MItterrand
Monsier le Président, Madame, Mesdames et Messieurs
Je saisirai au vol les derniers propos du Président SANKARA qui me demandait la raison principale de mon voyage en BURKINA FASO. Je répondrai d’emblée : nous sommes venus ici par amitié pour ce peuple ; nous sommes venus ici par fidélité à l’histoire ; nous sommes venus ici par intérêt pour ce qui s’y déroule.
Rien ne peut remplacer cette observation directe et personnelle ; et je serai loin de regretter notre passage sinon pour estimer qu’il était trop rapide. Ce que nous aurons vu et entendu fera partie des choses fortes que nous retirerons de ce voyage dans quatre pays d’Afrique, Guinée, Togo, Mali, Burkina Faso.
Je vais d’abord, Monsieur le Président, Madame, vous remercier des conditions dans lesquelles, depuis ce matin, vous nous avez reçus, vous, les habitants de OUAGADOUGOU, d’autres encore qui se pressaient le long des avenues pour célébrer, non pas tant le Président de la République Française, que la France et son peuple.
Vous avez posé ce soir un certain nombre d’interrogations ou d’affirmations qui touchent à la politique internationale. Je me permettrai de faire connaître mon point de vue, méthodiquement : politique internationale directement autour du problème de la paix, politique internationale autour de cet autre problème fondamental, qui n’est pas indépendant de la paix, et qui s’appelle le développement.
Les problèmes de la paix ! … il est difficile d’échapper aux passions, aux entraînements des passions et parfois même aux excès de sa propre logique : je m’en méfie en tout cas pour moi-même. Mais il est quelques principes simples auxquels on peut toujours se reporter. Et parmi ceux qui commandent les décisions de la France dans ses choix internationaux, l’un se distingue tout aussitôt et qui s’appelle, vous l’avez dit vous-même, « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». C’est par rapport à cette règle, à cet instrument, de mesure, que nous distinguons ce qu’il convient de faire de ce qu’il convient d’éviter.
Ce n’est pas toujours aisé. Il est parfois très difficile de se placer dans l’esprit de ceux qui s’engagent dans des guerres, de ceux qui veulent dominer ou de ceux qui veulent se défendre. Les situations historiques sont rarement aussi claires, et l’on se trouve souvent devant un mélange fondé par des conflits séculaires, ce qui fait que parfois, on ne sait plus où se trouve le droit.
Alors, allons vers des choses simples : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Vous avez cité un certain nombre de ces conflits. Il en est d’autres, mais ceux que vous avez cités s’imposent à l’esprit.
Quand nous voulons défendre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et que nous parlons de l’Asie, en Asie, qu’est-ce que nous recherchons ? Vous avez parlé des Palestiniens : le problème est très complexe, souvent plus complexe qu’ailleurs puisque deux peuples réclament la même terre, au nom de deux histoires, au nom de croyances dans un Dieu et dans un autre, au nom de revendications historiques qui se contredisent et se complètent.
Mais puisque j’ai parlé de choses simples, observons que ce droit a été bâti au travers de ce dernier demi-siècle par des institutions internationales que nous reconnaissons et auxquelles nous appartenons. Le droit d’Israël à exister derrière des frontières sûres et reconnues – c’est l’expression retenue par les Nations Unies – a été tranché au lendemain de la deuxième guerre mondiale. La plupart des pays du monde l’ont aussitôt accepté. La France n’a pas été la première puisque le premier arrivé pour cette reconnaissance, cela a été, vous le savez, l’Union Soviétique. On peut donc estimer qu’il y a eu consentement général, sauf, bien entendu, de la part des pays directement intéressés dans le Proche Orient et le Moyen Orient, un consentement général pour garantir l’existence d’Israël.
Tout aussitôt. en raison du conflit sans cesse renaissant dans cette région du monde, d’autres règles ont été définies qui ont reconnu au peuple palestinien les droits à une patrie et le droit de s’organiser sur une terre selon leurs propres lois.
J’ai dit la difficulté que supposait ce raisonnement. La France a cependant toujours voté, aux Nations Unies, les résolutions qui ont reconnu aux Palestiniens la terre, le droit à la patrie, le droit des décisions souveraines sur la terre de leur patrie.
Des guerres se sont déroulées. La France a maintenu sa position et a constamment refusé que le seul droit de conquête puisse être le fondement définitif du droit. Je répète, il ne faut pas dissimuler la difficulté : l’histoire n’est faite que de passions brûlantes, et sans vouloir faire la
leçon à personne, ce que je vous dis là, M. le Président et vous, Mesdames et Messieurs, je l’ai dit à la tribune de la KNESSET, devant les députés du peuple d’Israël. J’ai dit à la fois que les Palestiniens avaient le droit à leur patrie et qu’ils avaient le droit de fonder des structures étatiques – j’ai ajouté que si l’O.L.P. ne s’identifiait pas a l’ensemble des forces, elle s’identifiait à la force combattante puisqu’elle avait rassemblé en son sein la plupart des fractions disposée à combattre.
Je n’ai aucune peine à le répéter, parce que c’est le fond de ma pensée. Elle n’a pas changé. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes doit conduire, dans cette région, à une ligne de partage très difficile à dessiner sur la carte, dès lors que l’on reconnaît à Israël le droit d’exister et aux Palestiniens le droit de fonder leur propre patrie.
C’est vrai que ce peuple, chassé de partout, représente aujourd’hui une errance proprement intolérable. La France, en diverses occasions – fameuses je crois, notamment au Liban – est le pays du monde qui s’est préoccupé le plus du sort de ces éternels émigrants : à Beyrouth, une première fois, 4000 Palestiniens ont été épargnés de la mort par nos soins ; une deuxième fois à Tripoli (Tripoli du Liban) , nous avons sauvé, en compagnie de la Grèce, 4000 Palestiniens victimes de combats fratricides. Et nous avons des relations avec l’O.L.P. qui dispose d’une permanence à Paris depuis déjà de longues années, avant même que je ne fusse moi-même Président de la République.
Voilà un problème compliqué, mais que l’on peut résoudre dans son esprit, avec droiture, de façon simple : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Mais ce raisonnement s’applique à toute terre disputée. Pour l’Irak et l’Iran, ne nous faisons pas historien : on peut, en effet, disputer du point de savoir qui véritablement a déclenché cette guerre. Mais, nous savons bien que nous nous trouvons à l’une des frontières du monde, que déjà dans l’histoire d’avant l’histoire se trouvaient là des peuples qui avaient exactement fixé leurs limites sur le Chott El Aram. Entre ces deux mondes si puissants, si vivants, qui ont occupé, qui occupent encore une telle place dans l’histoire, l’affrontement guerrier s’est substitué à l’affrontement pacifique qui avait souvent prévalu.
Il serait très important que l’ensemble des pays du monde se concerte, pour donner conseil – conseils amicaux – aux deux pays belligérants pour qu’ils acceptent, au moins, de vivre de chaque côté de cette frontière historique, millénaire, sans prétendre exercer je ne sais quel droit sur la possession d’autrui. Si cela était consenti, nous serions déjà en grand progrès : chacun de ces peuples disposerait de lui-même, sur sa terre.
On pourrait appliquer exactement le même raisonnement – mais cela nous mènerait très loin dans les explications historiques – au Cambodge et à l’Afghanistan. Ce sont des peuples qui ont le droit, comme les autres, de disposer d’eux-mêmes: Si nous n’avons jamais accepté le génocide qui s’est produit au Cambodge et qui a été à l’origine des désastres qu’il connaît aujourd’hui, il n’en reste pas moins qu’aucun autre pays n’est en droit de se charger lui-même de régler les comptes et de déterminer que sa présence, étrangère, sera le seul garant de l’ordre.
De la même façon, on sait bien qu’au cours de ces dernières décennies l’influence de l’Union Soviétique s’exerçait en Afghanistan. On s’est même étonné que cette influence s’exerçant, elle ait été contrainte, finalement, à intervenir militairement alors que s’étaient successivement affrontés les responsables politiques qui s’étaient inscrits dans le cadre de l’influence soviétique. Mais la limite est atteinte. C’est à ce peuple de se prononcer et je fais confiance au Secrétaire Général des Nations Unies, à M. PEREZ DE CUELLAR qui fut naguère comme Secrétaire Général Adjoint, chargé d’un rapport sur le problème de l’Afghanistan, de proposer les mesures qui devraient permettre à un peuple libéré de toute occupation, de décider lui-même par le suffrage universel, de ce qu’il entend faire de lui-même.
Ce n’est qu’un conseil que je lui donne : lui seul peut décider d’aller vers la neutralité qui lui permettrait d’échapper à la politique des blocs.
Je prendrai le même raisonnement pour l’Amérique Centrale. Vous avez raison de rappeler que l’ai toujours protesté contre les interventions étrangères. Dès ma première rencontre avec le Président REAGAN – au sommet d’OTTAWA – j’avais développé une thèse selon laquelle il ne me paraissait pas acceptable que, dans le cadre de l’Alliance Atlantique, d’autres pussent se substituer aux peuples d’Amérique Latine pour décider de leur destin. J’ai donc reçu à diverses reprises – et j’agirai de même à l’avenir – le Président ORTEGA qui représentait et qui représente encore ce peuple.
Cela est dit, cela est clair. Les pays d’Amérique Latine se sont organisés dans deux groupes qui se sont rejoints : le groupe de CONTADORA et le groupe de LIMA. L’un et l’autre estiment que les pays d’Amérique Latine doivent cesser d’être là pour des ambitions et des intrigues extérieures : nous approuvons les définitions de ces deux groupes. Nous avons considéré que la ligne au-dessous de laquelle nous ne pourrions agir c’est celle définie par les peuples d’Amérique Latine eux-mêmes. Notre position reste donc logique avec elle-même.
Le même raisonnement s’appliquerait pour l’Afrique. Vous avez cité le cas le plus typique, le plus évident et le plus dramatique, celui de l’Afrique Australe. Avant d’aborder le problème de l’Apartheid, examinons le cas de la Namibie. La Namibie a le droit d’être, le droit d’exister en tant qu’Etat ; et le peuple namibien a tout autant que ses voisins, le droit de s’affirmer. La France a fait partie du Groupe des Cinq, chargé de rechercher les moyens d’équilibrer les chances, de donner en tout cas ses chances à ce peuple. Le Gouvernement de la France ne s’est jamais départi de cette attitude, et il s’est même éloigné de ce Groupe des Cinq, dès qu’il s’est aperçu que ses partenaires n’étaient pas désireux d’aboutir.
Nous considérons que les populations de Namibie doivent être mises en mesure, par leur propre force et par la compréhension des Etats étrangers, de se gérer elles-mêmes en cessant d’être simplement un jouet dans les mains de plus forts qu’eux aujourd’hui : je veux dire de leurs voisins d’Afrique du Sud.
Quant à l’Afrique du Sud elle-même, elle a un grand peuple. Ce peuple est composé d’une forte majorité de noirs et d’une minorité active et vaillante, mais souvent intolérante, de blancs. Il faut que ce pays s’organise lui-même, pour que le droit de chacun soit reconnu. Il faut que ce droit ne puisse être confondu à aucun moment avec le droit, soit de la majorité ethnique, soit de la minorité. C’est en ce sens que la France refuse l’apartheid et le condamne absolument, sans avoir besoin de hausser la voix, sans excès de langage, mais avec une fermeté de pensée qui entraîne la fermeté d’action : au sommet européen de La Haye, la France a maintenu le cap, et douze pays sur douze ont finalement voté des sanctions, en dépit des réticences de quelques grands pays, réticences que vous connaissez et que je n’ai pas à analyser ici.
L’Afrique du Sud a un comportement humainement intolérable, politiquement insupportable et finalement fort imprudent pour la population minoritaire qui exerce l’essentiel du pouvoir. L’apartheid doit être condamné, et il n’y a pas besoin de toute une série d’épithètes pour prononcer cette condamnation : l’apartheid est inacceptable et doit être combattu. Dans toutes les assemblées, la France devra continuer à refuser ce manquement catégorique, non seulement aux droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais simplement aux droits de l’homme.
Là où il semble que nous nous séparions, c’est lorsque vous condamnez le passage en France de M. BOTHA et celui de M. SAWIMBI. Mais, M. le Président, je tiens à vous le dire : la France est un pays ouvert ! Qui que ce soit au monde, sauf s’il est coupable de crimes de droit commun, en dehors de toute appréciation politique, s’il veut venir en France, il peut y venir !
Le problème essentiel ne se situe pas là. Le problème essentiel se pose lorsque les personnalités étrangères qui viennent sur le sol de France demandent qu’il leur soit réservé un accueil officiel, un accueil reconnaissant ce qu’ils sont et la politique qu’ils font. Nous nous sommes toujours refusés à cela. BOTHA était déjà venu en France en 1983 ; le problème s’était déjà posé. Je n’ai pas jugé utile de refuser à M. BOTHA d’aller s’incliner dans un cimetière où reposent des soldats sud-africains tombés au côté de nos propres combattants, pour la liberté de notre propre pays. Je ne me suis pas senti le droit de refuser à un homme de s’incliner devant le souvenir des siens. Mais, la reconnaissance de ces faits s’adresse aux morts sud-africains, pas à M. BOTHA. Je n’aurais pas compris qu’on lui fermât la frontière : si on s’engageait sur ce terrain M. le Président, – croyez-moi – si l’on se mettait à interpréter les sentiments et les politiques des uns et des autres, à élaborer des critères sélectifs, on tomberait très rapidement dans des définitions a priori qui ne seraient pas heureuses pour les relations internationales.
Il faut donc distinguer les démarches privées – celle de M. BOTHA – des démarches publiques – précisément celles que le Gouvernement français a refusées à M. BOTHA. Soyons justes, tout simplement.
Le problème de M. SAWIMBI est d’une nature différente. Il est angolais, il lutte en Angola contre le Gouvernement légitime, reconnu par l’ensemble des Nations. Et là se trouve la jonction avec les problèmes de l’Afrique du Sud : il s’appuie sur la force de l’Afrique du Sud pour soutenir sa révolte.
Voilà je crois, posée en termes honnêtes, la position de M. SAWIMBI. Mais ce n’est pas avec M. SAWIMBI que nous avons reconnu l’Etat d’Angola : c’est avec le Gouvernement angolais ! Le Président DOS SANTOS est d’ailleurs convié à se rendre en France : il m’a fait dire, il y a 48 heures, qu’il s’y rendrait au début de l’année prochaine et qu’il s’y serait déjà rendu s’il n’était pas allé s’incliner, comme beaucoup d’autres, devant le cercueil de SAMORA MACHEL, à MAPUTO. Ce n’est donc pas M. SAWIMBI qui a été invité à venir à Paris, c’est M. DOS SANTOS, le représentant du pouvoir régulier. Il ne faut pas confondre ! Il est venu en France ? Oui ; invité par une institution internationale.
Et c’est là qu’intervient une autre analyse. Si un pays qui dispose sur son sol de la présence d’institutions internationales – et il y en a beaucoup sur le sol de la France, en particulier le Parlement Européen à Strasbourg et l’UNESCO à Paris – se met dans la situation d’avoir à contrôler les invitations de ces institutions, ou à organiser un tri parmi les personnalités qui s’y rendent, invitées ou pas, vous voyez le danger : il ne va plus y avoir aucune institution internationale, nulle part. Ou alors, il faudrait être en mesure de décréter que seul un pays neutre, totalement neutre, et qui serait par définition un petit pays, serait le seul à voir s’édifier sur son sol les immeubles des sociétés internationales. Prenez le cas, par exemple de l’O.N.U. qui se trouve à NEW YORK : si les Américains – ils ont dû essayer de le faire quelquefois – se mettaient désormais en mesure de dire « celui-ci viendra, celui-là ne viendra pas », que resterait-il de l’Organisation des Nations Unies ? des lambeaux, des décombres… Il y a longtemps que le système aurait sauté !
Ou alors, les Nations Unies auraient dit : « changeons de place, retournons à Genève ! ou allons à HELSINKI ! ou « partons encore un peu plus loin ! »… Que sais-je encore ?… Je ne suis pas ici en train de choisir le lieu où il faudrait se rendre… Je dis simplement que l’Organisation des Nations Unies se serait déjà brisée sur cette prétention des Etats-Unis d’Amérique à décider qui pourrait se rendre à l’O.N.U. et qui ne pourrait pas s’y rendre.
C’est exactement la même chose pour nous : nous n’avons strictement rien à voir dans le choix des invitations ou des invitations supposées, d’ailleurs, puisque finalement l’invitation a été repoussée par la majorité des parlementaires européens. Et Strasbourg, c’est en France ; et quand on est en France, à Strasbourg, on peut prendre le train, ou l’avion, et aller ailleurs. La France n’a pas du tout l’intention d’exercer, à l’égard de quiconque, une sorte de droit de regard sur ses occupations, sur ses voyages, sur ces déplacements.
Là où je suis intervenu – vous avez bien voulu rappeler mes propos – c’est qu’à un moment donné, M. SAWIMBI a eu un contact avec des personnalités qui remplissent des fonctions officielles. Il y avait deux cas : soit les personnalités qui remplissent des fonctions officielles n’appartenaient pas à l’exécutif, et il n’y a pas de ma part, à avoir de droit de regard sur leurs actes ; soit elles appartiennent à l’exécutif, et elles n’étaient pas spécialement qualifiées pour accepter cette visite.
Voilà ; mon observation s’arrête là.
Mais elle ne revient pas sur le droit accordé à tous visiteurs « à titre privé » d’exercer les activités de son choix. La France a été digne en refusant toute estampille officielle au voyage de M. BOTHA, et l’exécutif, dans son ensemble, a agi. de même avec M. SAWIMBI. Et dans la mesure où, de temps à autre, il y a manquement, je suis le premier à le déplorer. Je me trouve donc très à l’aise, ce soir à OUAGADOUGOU, pour répondre à vos questions pressantes.
Continuons : les conflits en Afrique sont malheureusement nombreux. Vous avez parlé de la R.A.S.D., c’est-à-dire de la lutte du Polisario pour le droit du Sahara Occidental à l’autodétermination, pour le droit de ce peuple -, comme les autres peuples d’Afrique, à disposer de lui-même. Notre position, reconnue, est celle-ci : il appartient aux populations du Sahara Occidental de se déterminer elles-mêmes ; c’est-à-dire de voter, par le moyen d’un référendum, pour savoir quel est le statut de leur préférence. Bien entendu, cela doit s’exercer sous contrôle international. Nous avons proposé l’Organisation de l’Unité Africaine à laquelle vous appartenez, ou bien l’Organisation des Nations Unies à laquelle vous appartenez aussi. Que les deux antagonistes choisissent ! Nous n’avons pas à leur imposer d’organisation internationale. Aujourd’hui, il semble que la préférence soit donnée à l’Organisation des Nations Unies. Celle-ci arbitrera, où plutôt, elle aura à veiller au contrôle de la régularité de ce choix. Car les chiffres cités de part et d’autre sont assez fantaisistes et il est donc normal qu’un contrôle se fasse comme dans chacun de nos pays : lorsqu’il y a élection, on vérifie l’identité des électeurs. C’est tout simple.
Cette ligne de conduite que je viens de définir s’applique à chacun des cas, avec une complexité évidente dans le Proche-Orient, et avec une clarté limpide partout ailleurs, dans tous les autres cas que j’ai cités.
Au Tchad, le problème se pose de la même façon : les Tchadiens se font battre et il y a des étrangers. Quels étrangers ? Des Français et des Libyens.
Les Libyens et les Français se sont entendus, il y a quelques années, pour se retirer, l’un et l’autre, et laisser les Tchadiens disposer de leur terre. L’un de ces deux pays a respecté sa parole, et s’est retiré ; l’autre ne l’a pas fait et il est resté : c’est la Libye. Cela aurait pu conduire à un conflit. Sagement je crois, la France a estimé, à la demande du Gouvernement légitime reconnu par les institutions internationales, qu’il fallait donner un coup d’arrêt et s’organiser pour qu’il soit impossible aux pays étrangers de s’emparer et de conquérir le Tchad.
Aujourd’hui, il semble que l’évolution de ce conflit conduise la plupart des forces reconnues et antagonistes du Tchad à se réconcilier. Ce qui avait un aspect réel de guerre civile (les deux camps se faisaient soutenir par des pays étrangers) tend à devenir une guerre des Tchadiens contre une occupation étrangère. A partir de là, le droit est simple. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes exigerait le départ de toute armée étrangère et d’abord de l’armée qui ne s’est pas inclinée devant le contrat qui engage sa propre parole : c’est-à-dire l’armée libyenne.
Je puis vous garantir que l’armée française n’attend que l’occasion de rentrer chez elle, d’autant plus qu’elle n’a aucune intention, aucune ambition et qu’elle considère que le Tchad, c’est le Tchad. La France n’a d’ailleurs pas d’accord de défense, pas de traité d’alliance avec le Tchad.
C’est dire à quel point sa décision est libre. Que l’on m’entende bien ! La France ne demande qu’à retirer ses forces, mais à la condition que les Tchadiens puissent déterminer eux-mêmes leur sort et administrer leur territoire pour aboutir, le plus vite possible, à une détermination par le peuple lui-même.
Le Président SANKARA m’a conduit à vous parler de sujets sérieux qui dépassent les simples réponses de politesse, de courtoisie ou d’amitié ; il a posé des problèmes politiques très sérieux, très réels et je l’en remercie ; après tout, le fait qu’il ait procédé ainsi me permet de le faire moi-même sans risquer d’être désobligeant en quoi que ce soit.
Le principe qui nous anime peut apporter une solution à chacun de ces conflits :
. Au Tchad, que la Libye s’en aille.
. En Afrique Australe, que la Namibie devienne indépendante.
.En Afrique du Sud, que le droit des personnes permette à ce peuple d’exercer, dans sa globalité, ses droits à se déterminer lui-même.
. Au Sahara Occidental, que la population, vérifiée par les Nations Unies, vote, se détermine et dise ce qu’elle veut être.
Que le Gouvernement de Phnom Penh se retire et qu’il laisse l’ensemble des forces cambodgiennes débattre entre elles de ce qui leur convient.
Que les populations afghanes soient consultées.
Qu’Israël se soumette à des voies internationales pour reconnaître aux Palestiniens le droit d’exister sur une terre qui soit la leur.
Que le droit d’Israël soit reconnu et garanti.
Que le Nicaragua s’administre, et qu’il ne soit pas obligé d’acquérir des armes, de chercher des soutiens extérieurs, de s’engager dans le dommageable conflit Est/Ouest.
Vous le savez bien, monsieur le Président, partout où un conflit régional dure et se perpétue, la décision finale échappe à ceux qui combattent dans les deux camps et finit par appartenir aux plus puissants, c’est-à-dire aux deux camps qui se partagent l’Est et l’ouest. Personnellement, je trouve que c’est dommageable ; et je ne souhaite pas que, pour survivre, l’Afrique soit prise dans ce dilemme : être obligée de choisir le camp américain ou le camp soviétique. Elle choisira, je pense, le camp africain.
Je vous donne très franchement et très librement la ligne de conduite qui m’anime. Mais il est un point qu’il faudrait ajouter. Vous avez parlé de la paix – et vous avec eu raison – et donc vous avez parlé de guerre : la dialectique l’imposait. Mais il est une autre guerre, c’est celle du terrorisme… Le terrorisme vise des innocents ; il doit être mis hors la loi ; il exige une discipline internationale parce qu’il cherche – c’est le mot même, c’est sa définition – à inspirer la terreur. Pas simplement la terreur à ceux qu’il veut combattre directement, mais la terreur à tout un peuple qui, vivant dans l’angoisse pense-t-on – s’inclinera. Un peuple qui pourrait se soumettre à cette poignée d’illuminés fanatiques, de criminels, cela n’est pas pensable.
Je dis « cela n’arrive pas, cela n’arrivera pas » ; mais, pendant ce temps-là, le crime continu. Ce soir encore, au moment où je descendais pour vous rencontrer, Monsieur le Président, j’apprenais que le terrorisme venait, de nouveau d’exercer son crime à Paris, en frappant une personnalité qui n’est aucunement mêlée à la politique et dont les remarquables qualités humaines et professionnelles en faisaient l’un des Français situé, selon moi, au premier rang de ceux qui méritaient estime et affection.
Quiconque soutient le terrorisme – organisation ou Etat – doit être frappé du désaveu universel, doit être considéré avec mépris, doit être sanctionné et doit être puni.
Vous savez bien que le terrorisme est contagieux, que si l’on marque, ici, une faiblesse, il se sentira fort ailleurs; et que la maladie mortelle s’étendra au reste de l’humanité.
Mais revenons-en au principe d’autodétermination des peuples. C’est lui qui m’a inspiré lorsque, jeune responsable comme vous l’êtes aujourd’hui, j’ai abordé les problèmes de l’Afrique. Je devais avoir à peu près l’âge que vous avez et les hasards de la vie m’avaient permis de m’occuper du destin d’une partie de l’Afrique de l’époque coloniale. Je crois avoir compris – je n’ai pas été le seul – qu’il fallait que ces peuples puissent se déterminer eux-mêmes si l’on voulait assurer l’harmonie future et répondre aux principes du droit que je viens d’évoquer. C’est alors qu’a commencé la grande aventure… Elle a commencé avec la Côte-d’Ivoire, vous le savez ; elle a commencé également avec l’ancienne Haute-Volta et avec le Mali que l’on appelait, à l’époque, le Soudan. Avec des hommes au nom fameux : Houphouet-Boigny, Ouezzin Coulibaly, Mamadou Konate, avec Lamine Gueye, avec Senghor ; avec d’autres encore, mais je ne vais pas m’étendre plus qu’il ne le faut. C’était un combat du même ordre, exactement du même ordre. C’était des peuples qui voulaient vivre, des peuples qui voulaient affirmer leur dignité. Et vous en avez trouvé un magnifique symbole, Monsieur le Président et vous Mesdames et Messieurs des équipes dirigeantes du Burkina-Faso, en choisissant pour votre patrie ce nom qui veut dire : le pays des hommes libres, des hommes dignes, le pays des hommes d’honneur.
On ne peut pas affirmer sa dignité si l’on ne vit pas dans l’honneur, dans le respect des autres et dans le respect de soi-même. Je voulais dire la même chose lorsque j’ai dit à mes amis du Rassemblement Démocratique Africain des années 1945 à 1950 : « mais allez-y. Vous êtes Africains, vous êtes dans vos pays, à l’intérieur de limites que vous désirez maintenir – les anciennes limites coloniales – pour éviter les luttes ethniques; allez-y, vous êtes maîtres de votre destin ». Et c’est ce qui s’est produit.
Et ce qui nous permet de débattre amicalement de choses sérieuses, sans sortir des limites, en essayant de bâtir une oeuvre pacifique.
Le même raisonnement, voyez-vous, doit s’appliquer au développement. L’aide de la France, M. le Président, ne baisse pas, elle augmente. Il ne faut pas qu’il y ait de contresens. Vous savez que les institutions internationales avaient recommandé aux grands pays industriels d’aider au développement par une contribution de 0,7 % de leur revenu national brut. La France est le seul grand pays industriel qui ait aligné ses actes sur ses engagements. Partant de très bas, elle est passée de 0,3 % à 0,7 % en l’espace de quelques budgets. C’est très difficile, cela représente des milliards ; mais nous avons décidé d’y parvenir en l’espace de quelques années. Nous avons maintenant dépassé 0,5 et nous arriverons, en peu de temps, au fameux 0,7 % que nous avons promis.
Nous avons fait la même promesse à l’égard des Pays les Moins Avancés qui ont une organisation particulière, vous le savez, et qui ont droit à une contribution également particulière. Pour eux les Nations Unies avaient préconisé une contribution de 0,15 % du Produit National Brut. La France avait dit qu’elle atteindrait cela en 1985, mais c’était déjà fait en 1984.
Et nous continuons. Et seuls deux pays d’importance moyenne comme la Suède et les Pays-Bas ont observé un mouvement comparable au nôtre. Les autres grands pays ne l’ont pas fait, bien que la Communauté Européenne, contribue d’une façon très utile à un certain nombre d’actes internationaux dont le plus fameux est Lomé III qui apporte, je crois, à l’Afrique, au Pacifique, et aux Caraïbes des contributions utiles.
L’aide de la France ne baisse donc pas. Elle s’accroît ; le budget de cette année voit cette progression continuer. Je ne me fais pas spécialement l’avocat de la politique intérieure du gouvernement mais il faut être juste : trois budgets se sont accrus et, parmi eux, celui de la
Coopération et les crédits du Fonds d’Aide à la Coopération ont été augmentés de 50 %.
Quant au débat sur le capitalisme, vous me contraignez, mon cher Président, à reprendre une explication qui pourrait paraître un peu fastidieuse à cette heure-ci, et en ces lieux. Mais le problème est celui de la nature même du « pacte colonial » que je dénonce et que j’ai toujours dénoncé. Le « pacte colonial », cela consiste à laisser des pays, comme ceux d’Afrique, se spécialiser dans la vente de leurs matières premières et de transformer ces matières premières dans d’autres pays. Vous savez très bien que la richesse se trouve dans la valeur ajoutée !… Votre valeur brute, c’était vos matières premières : le bois de vos forêts, l’or, le diamant, le charbon, le manganèse, le nickel de votre sous-sol; le cas échéant le pétrole ; c’était le cuir, la peau de vos bêtes, votre élevage. Et toutes ces matières premières étaient traitées, transformées ailleurs. Je ne m’esquive pas devant la responsabilité historique de mon pays : c’est à Marseille ou à Bordeaux que se trouvaient les grandes industries de transformation. Regardez, c’est à Marseille qu’était naguère traitée la bauxite de Guinée, et heureusement, c’est en Guinée même que sont installées, aujourd’hui, certaines usines de transformation.
Cette évolution s’est donc faite lentement, péniblement, au milieu de grandes injustices et de grands déchirements que j’ai toujours dénoncés et que je continuerai de dénoncer. Chaque fois que vous voyez le pacte colonial s’exercer, alors il faut protester. Ceux qui gagnent, ce sont les capitalistes. Pour employer un langage concret, ce sont les propriétaires des grandes industries qui profitent de la valeur ajoutée. Et la crise qui vous a tellement frappé, les spéculations sur les prix de vos matières premières, les coalitions d’intérêt capitalistes, ont fait que vous n’avez pas été en mesure de vous équiper.
Mais ce n’est pas la politique de la France ! La politique de la France est de respecter vos décisions : les équipements, les investissements que vous voulez faire au Burkina-Faso, cela dépend de vous ! C’est vous qui le décidez ! Nous n’avons pas à vous dire : « ne faites pas ceci », ou « faites autre chose ». Nous avons simplement à vous dire : « nous pouvons vous donner un coup de main, si vous nous le demandez ». C’est un raisonnement complètement différent.
L’Afrique a été pillée. J’ai parlé des matières premières. J’aurais dû parler des hommes. Pendant des siècles, on vous a exploités humainement : on a volé vos hommes, vos femmes, vos enfants. On s’est servi de vous.
Je comprends votre refus, votre révolte et j’épouse votre combat. Vous avez raison de refuser d’être un continent sacrifié. Le moment est venu où vous devez vous-mêmes développer vos économies à partir de ces biens et avec vos hommes. Et le devoir des pays qui ont profité abusivement du travail africain, c’est de restituer à l’Afrique une part de ce qui a été pris au travers des siècles derniers. C’est pourquoi les pays industriels dits avancés ont à l’égard des peuples africains le devoir d’apporter des « contributions volontaires », capables de rendre quoi que ce soit, et qu’il s’essoufflerait lui-même. C’est aussi l’intérêt des pays riches, des pays industriels, d’aider au développement des pays qui le sont moins ; c’est dans leur intérêt parce qu’ils sont tous en train de se neutraliser au point de fabriquer les mêmes produits et d’essayer d’équilibrer leur commerce extérieur : finalement on ne pourra plus rien vendre, à personne, alors qu’il y a plus de 2 milliards de consommateurs qui pourraient être des producteurs et des transformateurs. C’est une folie ! C’est se retourner contre soi-même ! ou alors, c’est que le goût de la domination est imbécile ! ceux qui ont le goût de la domination immédiate ne perçoivent pas qu’à travers du temps qui passera, cela se retournera contre eux qui se sont servi abusivement de leurs forces.
M. le Président, Mesdames et Messieurs, dites-vous bien que la France vient solennellement dire au Burkina-Faso – comme je l’ai dit dans les autres pays – qu’elle est là, qu’elle est prête, qu’il faut discuter avec elle.
J’ai employé une expression commune, mais elle exprime bien ce que je veux dire : « donner un coup de main ». Nous sommes tous des hommes, sur la même terre. Certains ont été avantagés par les conditions climatiques et par le déroulement de l’histoire. Mais finalement, nous sommes sur une petite planète, le développement des moyens de transport nous amène à nous fréquenter de plus en plus, les cultures se mêlent et s’assimilent : nous devons nous donner un coup de main. « vous avez besoin de cela ? moi je l’ai ». « Vous, vous ne l’avez pas ? eh bien ! faites le donc ».
Certes, la France a des moyens limités. Elle est elle-même soumise à l’inflation, elle a un commerce extérieur qui n’est pas aussi bénéficiaire qu’il le faudrait, elle a des industries parfois en retard par rapport à ses grandes concurrentes ; bref, elle est aussi obligée de défendre les intérêts de son peuple.
Mais, tout ce que vous avez dit du développement, M. le Président, je l’épouse. C’est notre premier devoir. J’ai dit et je répète que l’humanité est menacée par le terrorisme contre elle-même, par des guerres à l’infini, par la bombe atomique ; mais elle est encore plus menacée par le fossé qui s’élargit entre les pays du nord et les pays du sud.
J’ai parlé de bombe atomique : ne serait-il pas raisonnable de consacrer une part de ces armements sophistiqués pour le développement ? C’est la proposition que j’ai faite à l’Organisation des Nations Unies en 1983 ; et mon prédécesseur, M. Giscard d’Estaing avait fait une proposition du même ordre, quelques années plus tôt. Cette proposition est reprise par d’autres hommes politiques, en France, aujourd’hui ; et elle est écoutée avec intérêt par quelques autres grandes puissances.
Voilà, je vous explique les choses simplement ; un peu longuement peut être, mais je ne pouvais pas, moi, écouter le Président Sankara, faire un petit compliment aimable, puis rentrer me coucher et dormir.
C’est un homme un peu dérangeant, le Président Sankara ! C’est vrai, il vous titille, il pose des questions… Avec lui, il n’est pas facile de dormir en paix : il ne vous laisse pas la conscience tranquille ! Moi, là-dessus, je suis comme lui. Il faut qu’il sache que je suis comme lui, avec 35 ans de plus. Il dit ce qu’il pense, je le dis aussi. Et je trouve que dans certains jugements, il a le tranchant d’une belle jeunesse et le mérite d’un Chef d’Etat totalement dévoué a son peuple. J’admire ses qualités qui sont grandes, mais il tranche trop ; à mon avis, il va plus loin qu’il ne faut. Qu’il me permette de lui parler au nom de mon expérience.
Cela dit, s’il n’était pas comme il est, chef d’un Etat jeune, entouré d’hommes jeunes, avec des idées neuves, s’il n’était pas comme cela à 37 ans, dans quel état serait-il à 70 ! … Je l’encourage, mais pas trop.
Ce que j’ai pu apercevoir du Burkina-Faso me montre des équipes désireuses de bien faire, qui ont l’amour de leur pays, qui ont l’amour de l’Histoire et qui veulent pétrir une nouvelle période de l’Afrique.
Ils ont eu de grands anciens qui ont fait les indépendances, il y a 30 ans. Mais 30 ans, c’est une génération qui s’en va… la nouvelle génération a d’autres besoins et doit répondre à d’autres besoins. Le devoir change de forme. Et je comprends très bien un pays comme celui-ci où l’on voit cette jeunesse s’affirmer et tout décider. Elle est parfois tentée de penser que les définitions idéologiques ou intellectuelles peuvent remplir les besoins de la réalité mais elle a beaucoup d’intelligence des choses et un tel désir de bien faire que je la respecte.
Je respecte tout à fait ce qui se passe ici. Non seulement je le respecte mais je souhaite l’aider. Si on me demande ce que je n’ai pas, je ne le donnerai pas !… Mais si je peux donner ou faire donner une partie de ce que nous avons, si c’est juste et raisonnable pour vous aider à réussir, je le ferai.
Et je n’ai pas à me mêler de votre politique intérieure : si j’étais ce soir devant un autre Chef d’Etat que le Président SANKARA, devant une autre équipe, s’il n’y avait pas eu de révolution, je n’aurai sans doute pas eu à répondre à toutes les questions qu’il m’a posées, mais la disposition de la France à l’aider serait la même ! Retenez bien ce que je vous dis : ce n’est pas parce qu’il y a une équipe jeune, dérangeante, quelquefois un peu insolente, au verbe libre, ce n’est pas parce qu’elle est là que nous devons faire moins et nous retirer sur la pointe des pieds. C’est parce qu’elle est là que nous devons nous parler les yeux dans les yeux, et dire
: « nous vous estimons, vous représentez une chance pour votre peuple. Qu’est-ce qu’on peut faire pour que cela marche ? ».
C’est le langage que je veux tenir pour conclure. Qu’est-ce que l’on peut faire pour que cela marche ? Vous avez besoin de nous, eh bien ! Vous nous le direz. Vous n’avez pas besoin de nous ? Eh bien ! dans ce cas là, on s’en passera.
Vous avez des étrangers sur votre sol, des Français et d’autres qui sont là pour vous aider. Parfois ils vous embarrassent un peu… ils n’ont pas forcément des objectifs qui vous plaisent toujours. Mais il y en a beaucoup d’autres, des hommes et des femmes de dévouement – j’en ai rencontré aujourd’hui à la Résidence de France – des jeunes gens d’une très grande netteté dans leur conviction, désireux de servir, qui aiment le peuple burkinabé et qui sont désintéressés. Ils ne demandent rien en échange. Peut-être se donnent-ils à eux-mêmes la récompense que l’on éprouve toujours quand on a apporté un peu d’amour et de dévouement aux autres.
Il ne faut pas décider de ce que moi je dis, mais, pour le reste, vous pouvez décider. C’est vous qui décidez chez vous ; et puis j’espère que vous viendrez un jour à Paris pour continuer à développer ce qui vous paraît bon pour votre pays. Bien entendu, a Paris, vous déciderez pour le Burkina Faso… Parce que pour Paris, c’est moi… enfin, je dis moi, mais il n’y a pas que moi : c’est l’ensemble de ceux que le peuple français a choisi.
Vous nous avez donné beaucoup ce soir. Vous nous avez apporté votre musique, vos danses, votre gaieté, votre culture, votre présence, votre amitié. J’ai trouvé beaucoup d’agrément à être avec vous, sous ce beau ciel, autour de cette table. Nous avons discuté comme vous devez le faire, j’imagine, Monsieur le Président, dans vos bureaux politiques… on discute, ici ! Quand vous parlez, les autres se taisent ? Non ? Quand les autres parlent, vous vous taisez, vous ? Non, hein… Eh bien, moi je fais comme vous ! … Si l’on peut, devant le peuple Burkinabé, faire clairement, honnêtement et amicalement des remarques, des compliments et des reproches, c’est déjà la preuve d’une bonne entente. Moi, je ne me froisse jamais des propos qui pourraient me heurter dès lors qu’ils proviennent d’un esprit que je sens ouvert et bienveillant à mon égard. Si la discussion s’arrêtait avant d’avoir commencé, alors nous tomberions dans un système de pensée très dangereux.
Voilà, j’en ai fini avec ce discours qui n’en est pas un. J’en avais écrit un autre, il est là… il n’a rien à voir avec celui-là… D’ailleurs, celui que j’ai écrit était beaucoup plus ennuyeux mais il avait l’avantage d’être très court…
Soyons sérieux. Vous m’avez donné l’occasion de m’exprimer. En vous quittant, demain après-midi, je me dirai qu’il existe un peuple vaillant et très riche d’histoire ; ce peuple a été le siège de grands empires, il a fourni des hommes vaillants, courageux et forts ; il en a même fourni à la France : vous avez des frères, des pères qui sont morts dans les rangs de l’armée française ; un peuple qui ne connaît pas de limites à son propre dévouement, un peuple qui aime sa Patrie et qui, tout en étant un vieux peuple, se met, tout d’un coup, à avoir des idées neuves.
De quoi se plaindre ? Il faut que les idées neuves s’accordent à la force vitale de l’Histoire, il ne faut pas que l’Histoire se fige dans des concepts périmés. A vous de faire la synthèse. Et je sens que vous y êtes prêts, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je sens que vous êtes prêts à cette grande synthèse qui pourrait faire alors, de votre expérience historique, une expérience qui marquera pour longtemps une nouvelle forme d’existence pour le peuple Burkinabé. C’est ce que je vous souhaite en tout cas.
Je ne veux pas me mêler de politique intérieure; il doit y avoir des débats ici, comme il y en a ailleurs. Je n’interviens pas sinon pour dire que je suis heureux de pouvoir reconnaître la volonté, le désir de servir, le désir d’être utile qui habite votre Président. Il a la force de la jeunesse et il aura, un jour ou l’autre, toute la sagesse de l’âge mûr.
Mais c’est bien commencé, c’est très bien commencé. C’est le seul jugement personnel que je me permettrai de faire en tant qu’ancien.
Je sais qu’en Afrique on respecte beaucoup les anciens ; alors, en tant qu’ancien, je luis dis : votre chance est grande, celle de votre pays ne l’est pas moins. Vous avez à lutter contre des forces énormes, les forces de la nature souvent hostiles, les forces d’un sol qui résiste à son
épanouissement. Vous avez à faire que l’intelligence des hommes se rende maîtresse de la matière ; vous avez à vous défendre contre les ambitions, les pressions et les détournements. Votre tâche est très lourde, et je m’en voudrais de la compliquer aussi peu que ce fût.
C’est donc sur des paroles d’espoir et d’encouragement pour ce peuple dont vous êtes les interprètes que je terminerai mon propos en disant :
Vive le Burkina Faso ! Vive la France !
Je lève mon verre – c’est une tradition qui nous est commune – je lève mon verre à la santé des personnes, à la santé du Président SANKARA et de Madame SANKARA, à la santé des êtres qui leur sont chers, à la santé des enfants, à la santé de celles et de ceux qui participent à ce dîner. Mais je lève aussi mon verre à la santé du peuple tout entier qui, au delà de cette enceinte, représente tout ce qui mobilise vos efforts et vos volontés : à la santé du peuple Burkinabé.