CONTRIBUTION
Suite à l’engouement extraordinaire pour les fiches de parrainage du candidat Karim Meissa Wade, une polémique a été installée sur la validité de nos fiches au vu de leur couleur jaune. Nous allons montrer que cette polémique n’a aucun fondement légal ou réglementaire et que, depuis toujours, c’est le même procédé que nous utilisons après que le ministre en charge des élections a dévoilé, à travers un arrêté, les modèles de déclaration de candidature.
Au-delà de cette question, nous voulons revenir, dans cet article, sur les textes législatifs et règlementaires qui fondent les choix des uns et des autres sur le modèle des fiches de parrainage. Nous analyserons certaines incongruités de l’arrêté ministériel portant sur ces parrainages et sur les raisons de certaines erreurs trop manifestes, pour ne pas être volontaires. Nous terminerons sur le non-problème de la couleur.
De la loi portant code électoral
La loi portant code électoral dispose, en son article L57 : «Les listes de parrainage sont dressées par ces collecteurs, elles portent sur chacune d’elles les prénoms, nom, numéro de carte d’électeur et signature du collecteur responsable (…) Fixé par arrêté du ministre chargé des élections, le modèle de la fiche de collecte des parrainages, en format papier et électronique, est mis à la disposition des candidats à la candidature à compter de la date de signature de l’arrêté fixant le montant de la caution pour chaque élection. Pour les besoins du contrôle, il est indiqué, pour chacun de ces électeurs, les éléments d’identification suivants : prénom, nom, la circonscription électorale d’inscription, le numéro de la carte d’électeur et la signature. Ils peuvent être complétés par d’autres éléments d’identification fixés par arrêté du ministre chargé des élections».
A 180 jours de l’élection présidentielle, conformément à la loi, l’arrêté ministériel 20025 en date du 23 août 2018 fixant le modèle (format papier et électronique) de la fiche de collecte de parrainages en vue de l’élection présidentielle du 24 février 2019 fut signé et publié dans le journal officiel. En plus de la présentation de la fiche dédiée aux parrainages citoyens, nous nous attendions à des clarifications et précisions. Ainsi nous nous attendions à connaitre :
– l’identification des électeurs qui avaient le droit de signer les fiches de collecte présentées, c’est-à-dire savoir si tout électeur qui le désirerait pourrait signer sur n’importe quelle fiche de parrainages qu’on lui présente ;
– le rôle et la responsabilité des délégués régionaux et de leurs suppléants, en particulier si ledit délégué devait au préalable être inscrit dans la région de collecte ;
– une meilleure précision sur le rôle que la loi assigne aux collecteurs, la relation de voisinage entre ceux-ci et les parrains, en particulier les liens entre leurs circonscriptions électorales.
Malheureusement, nous n’avons reçu aucune réponse à nos interrogations. Nous avons été obligés d’analyser la forme de la fiche de parrainages et essayer d’établir certains liens. Nous avons pensé que les parrains signant une même fiche devaient être inscrits dans la même région, que les circonscriptions électorales du parrain et du collecteur devaient se situer dans la même région, celle qui est affectée au délégué régional. Nous avons supposé. Rien dans le texte de l’arrêté ne précise des liens. La loi dispose seulement que le coordinateur national nomme des délégués régionaux et des collecteurs, ainsi que leurs suppléants. Il n’est établi aucune relation de hiérarchie ou de proximité entre les acteurs.
Nous avons pensé que, peut-être, l’arrêté allait interdire l’utilisation d’emblèmes ou de signes ou une combinaison de couleurs de l’Etat. Encore une fois, l’arrêté ministériel n’a pas répondu à nos attentes, vu l’absence d’un décret d’application portant sur les parrainages. Pire, l’exploitation de l’arrêté ministériel nous permet de désigner :
– n’importe quel électeur comme délégué régional, indépendamment de sa circonscription électorale. Un électeur de New York peut être désigné délégué régional de Tambacounda
– n’importe quel électeur comme collecteur, même si son lieu d’inscription est éloigné de la région dans laquelle il est collecteur
– un même électeur comme délégué régional de toutes les régions et comme collecteur de tous les parrains.
Du format papier du modèle de collecte des parrainages
Les articles premier et 2 de l’arrêté ministériel ci-dessus mentionné définissent le format papier du modèle de collecte des parrainages. Ainsi :
– le format papier A4 est requis suivant un modèle joint à l’arrêté
– aux rubriques imposées par la loi, sont ajoutées les suivantes : prénoms, nom, numéro carte d’électeur du délégué régional, le numéro de dix-sept caractères de la carte d’identité Cedeao.
On se rend compte en exploitant ledit modèle qu’il s’agit plutôt d’un formulaire que l’équipe du candidat à la candidature à l’élection présidentielle soumet aux électeurs par l’intermédiaire de collecteurs. Il est évident que les notes de bas de page sont des informations légales utiles, mais non nécessaires pour le remplissage du formulaire et qu’il n’est certainement pas indispensable de les reprendre dans l’impression des fiches mais il vaut mieux prendre ses précautions. Par contre, il va de soi que pour le grammage et la couleur du papier d’impression des formulaires, le choix est forcément libre puisque tout ce qui n’est pas interdit, est permis. S’il y avait des prescriptions, elles auraient été clairement écrites. Rien n’a été écrit à ce propos et tout le monde sait que dans ces formulaires, ce qui est fondamental, c’est le remplissage des rubriques obligatoires et non la couleur ou le grammage du papier d’impression.
Du format électronique du modèle de parrainages
L’opposition a saisi la Cour suprême parce qu’il y a une contradiction entre la loi et l’arrêté ministériel. Pour la loi, il y a un modèle unique alors que l’arrêté ministériel distingue 2 modèles :
– un modèle papier
– un modèle électronique distinct du modèle papier parce qu’en autres, une colonne signature est inexistante dans le modèle électronique, les noms et prénoms n’ont pas de longueur limitée dans le modèle papier tandis que les noms et prénoms ont un maximum de 32 caractères dans le modèle électronique, etc.
Ce qui est d’abord étonnant, c’est qu’il n’y a aucune correspondance entre le format papier et le format électronique. On ne peut pas savoir de manière certaine si les données d’une fiche papier ont été partiellement ou entièrement saisies puisque les fiches ne sont ni numérotées ni identifiées, ce qui veut dire que la fiche n’apparaît pas dans le modèle électronique.
Dans l’arrêté ministériel (article 3), il est noté que la version électronique comporte autant de fichiers que de régions ou représentations diplomatiques. Nous supposons que lesdits «fichiers» sont des feuilles de calcul Excel et non des classeurs. Le langage scientifique exige la précision. Ce qui est étonnant d’emblée, c’est qu’il n’ait été établi aucune relation entre la fiche papier et la feuille Excel alors que nous nous attendions à une correspondance biunivoque. Si un seul parrain a signé dans une fiche format papier, doit-on ajouter une ligne dans la feuille Excel ou créer 10 lignes dans cette feuille, même si les 9 lignes sont vides du fait que le tableau de la fiche papier a 10 lignes ? Personne ne sait. Chacun fait comme il veut, l’arrêté est muet.
La dernière partie que je décris ci-dessous est plutôt ubuesque. L’arrêté ministériel précise que chaque «fichier» comprend 3 parties :
– une entête qui contient le nom du candidat et la région ;
– un corps constitué d’un tableau qui contient, pour chaque parrain de la région, un numéro d’ordre, les prénoms, le nom, le numéro de la carte Cedeao, la circonscription électorale ;
– une identification du délégué régional et du collecteur de parrainages (le modèle Excel montre que c’est un pied de page).
Or il n’y a pas un seul collecteur pour toute une région. L’article L.57 de la loi électorale dispose : «Le candidat ou la liste de candidats désigne un coordinateur national, qui nomme des délègues régionaux et des collecteurs, ainsi que leurs suppléants». Plusieurs collecteurs peuvent être désignés dans une région et même dans une commune. Un tableau de 10 000 lignes de la feuille Excel représente, dans leur modèle électronique, l’ensemble des parrainages de la région et à ce tableau est associé un collecteur et un seul, contrairement aux prescriptions de la loi. C’est à la ligne 10 011 de la feuille Excel que le nom du collecteur et son numéro de carte d’électeur doivent être renseignés. Assurément, la version électronique telle que décrite dans l’arrêté ministériel et livrée par clé Usb n’est pas conforme à la loi électorale ! Le modèle format électronique est visiblement faux. Il ne peut pas permettre la saisie des fiches papier de toute une région.
Sur le plan technique, il y avait pourtant beaucoup de solutions pour réaliser ce que prescrit la loi. On pourrait par exemple décomposer le «fichier» régional en autant de sous-fichiers que de collecteurs, chaque sous-fichier ayant son entête, son corps et son pied de page. Une autre solution technique possible serait d’inclure le collecteur dans ce qui est défini comme le corps du «fichier». Les solutions techniques existent.
Ce que j’écris là, j’en porte la responsabilité scientifique, est particulièrement grave. L’arrêté ministériel contient une erreur monumentale. Le modèle électronique qu’on nous a présenté, ne sera valable que si nous désignons tous un seul collecteur par région, ce qui est contraire à la loi. L’arrêté ministériel doit, par conséquent, être réécrit pour être conforme à la loi et une autre clé Usb contenant un bon modèle électronique confectionnée. Décidément, l’histoire du parrainage n’est pas totalement écrite.
Un sac de nœuds
L’analyse de l’arrêté ministériel montre des erreurs colossales. La loi a annoncé l’arrêté ministériel sans qu’aucun décret d’application n’ait été proposé. L’arrêté s’est limité à présenter des fiches sous format papier et électronique, sans préciser le rôle et la place des acteurs (coordinateur national, délégués régionaux, collecteurs et leurs suppléants, etc.) et sans montrer la cohérence d’ensemble du système de parrainage.
Nous avons certes démontré que la couleur jaune de nos papiers d’impression ne peut en aucune manière nous être opposée, mais nous avons aussi démontré que l’arrêté ministériel a produit un ensemble indigeste et incohérent, un faux modèle électronique, impossible à réaliser avec les données recueillies sur le terrain et consignées dans les fiches de parrainage. Nous nous posons la question : pourquoi ont-ils agi ainsi ? Le Sénégal regorge de cadres de haut niveau, y compris au ministère en charge des élections, capables de concevoir un arrêté ministériel cohérent qui prend en compte les positions du gouvernement sur n’importe quelle question, tout en restant conforme à la loi.
La question que tout le monde a le droit de se poser maintenant est de savoir si le gouvernement veut vraiment une élection présidentielle le 24 février 2018. La question est légitime au vu de la confection de l’arrêté ministériel n° 20025 en date du 23 août 2018 et de ses incongruités
Le non problème de la couleur
Certains ont affirmé que nous avons imprimé les fiches de parrainages avec la couleur de notre parti. En réalité, la couleur de notre parti est le bleu. Ce sont les bulletins de vote choisis par notre parti qui sont de couleur jaune et qui portent le symbole du parti (épi de mil couleur or). Nos fiches de parrainage auraient pu même être imprimées à l’image de nos bulletins. Rien ne l’interdit ni dans l’arrêté ci-dessus mentionné ni dans les textes législatifs et réglementaires actuels. D’ailleurs, les déclarations de candidature aux différentes élections ont toujours été établies selon les modèles fixés par arrêté du ministre en charge des élections (Cf. décret portant partie réglementaire du Code électoral : articles R.76 pour les élections présidentielle et législatives, R.84 pour les élections des hauts conseillers, R.86 pour les élections des conseillers départementaux et communaux). Ces modèles ont toujours été présentés en noir et blanc dans les arrêtés ministériels, et le Pds a toujours déposé les modèles avec ses propres couleurs, et personne n’avait jusqu’ici protesté. Le volet 1 de la fiche parrainages que nous allons déposer est, en tout point de vue, conforme au modèle de fiche papier présenté dans l’arrêté ministériel, et c’est l’essentiel.
La collecte des parrainages est un problème entre le candidat et ses parrains. Les fiches suivant un modèle déterminé sont destinées à faciliter le traitement électronique. Ce qui importe, c’est le format et le contenu. Nous les avons rigoureusement respectés et la couleur ne peut avoir aucune incidence sur le contenu et le traitement puisque le contenu est saisi dans l’ordinateur de traitement. La saisie des données ne porte pas sur la couleur du bulletin, mais son contenu.
Au demeurant, des bulletins de couleurs différentes auraient eu plusieurs avantages :
– les Sénégalais étant analphabètes à 70 % reconnaîtraient les bulletins du candidat de leur choix ;
– on éviterait la confusion et la tricherie qui s’opère au détriment de certains candidats. En effet, des individus malhonnêtes au service de je ne sais qui se sont présentés chez nos militants pour leur demander de signer des bulletins qui n’étaient pas les nôtres.
Nous avons été informés d’une tricherie en aval concoctée par des fonctionnaires partisans et des magistrats. Leur entreprise consiste à attendre que les secrétaires chargés de la saisie du contenu des fiches soient placés en batterie, chacun avec les piles de fiches des candidats, pour aller de l’un à l’autre, prendre des fiches ici et les déposer ailleurs. Les fiches étant toutes blanches, les secrétaires n’y verraient que du feu, et les noms des candidats à la candidature seront modifiés plus tard. La seule parade est que les candidats aient des représentants dans la salle de saisie pour surveiller leurs fiches et assister à la saisie. Ainsi, au niveau des ordinateurs primaires du «rez-de-chaussée», on éviterait le vol de fiches.
Resterait à nos experts à surveiller les ordinateurs de récapitulation du «1er étage» puisqu’on sait qu’il existe des programmes qui changent les chiffres à l’entrée ou à la sortie de l’ordinateur. Vous pouvez regarder quelqu’un qui tape, par exemple total des suffrages exprimés = 1 246. Vous tournez le dos alors que l’ordinateur a partagé ce chiffre en donnant 2/3 au candidat A et 1/3 au candidat B.
Moralité : l’opposition doit être présente à la saisie des contenus des fiches et disposer d’un ordinateur de récapitulation des résultats, et ne pas faire confiance au seul Conseil constitutionnel qui ne connait rien de l’informatique. Du reste, la saisie dans le système des parrainages est analogue au niveau de la Cour d’appel, à la saisie des Pv qui viennent des départements et des régions. L’opposition doit être présente du premier au dernier dépôt de candidature à l’élection présidentielle.
Par Oumar SARR
Secrétaire Général National Adjoint
Coordonnateur Général du PDS