CONTRIBUTION
Rien n’est plus banal qu’une rixe de jeunes dans un bar au petit matin. Quand elle occasionne des blessures graves à l’un des protagonistes, les gendarmes et les magistrats savent quoi faire. En l’espèce, ils ont interpellé les agresseurs, des soldats français. Quand l’ambassade de France les fait libérer, on se pose des questions légitimes. Mais quand elle ressort un vieux poncif colonial sur les «voleurs», l’affaire devient forcément politique. Même le fait, démontré par sa famille, que la victime serait plus riche que son bourreau n’y change rien. Ce n’est plus un jeune fêtard qui est blessé, c’est la fierté de tout un peuple qui est agressée.
Alors, la presse titre sur la résurgence du «sentiment antifrançais». J’ignore pourquoi cette expression bizarre est associée dans mon esprit avec l’étoile jaune portée par un enfant polonais en partance, certainement, vers la mort. Et avec la formule préférée des procureurs de l’époque stalinienne : «élément antisoviétique». Dans les deux cas, il y a un procédé de stigmatisation qui fait de la victime désignée l’unique responsable de ses malheurs. Sinon le coupable d’un crime de désamour.
Désamour, un mot qui rime avec Zemmour. L’idiot du village télévisuel français a reproché à une chroniqueuse d’origine sénégalo-mauritanienne de porter en quelque sorte un «prénom antifrançais», Habsatou. Il a accusé sa maman d’ingratitude pour n’avoir pas donné à sa fille un prénom «français» comme Corinne. Quelle occasion ratée, n’est-ce pas, par Mme Sy pour magnifier les desserts gentiment servis aux tirailleurs sénégalais !
Un exemple parfait de «sentiment antifrançais» qui permet de comprendre que cette expression vise à terroriser tous ceux qui, en France ou en Afrique francophone, s’identifient à une histoire, une culture, qui n’est pas celle officiellement estampillée «française» – et par qui d’ailleurs ? Ceux qui n’adoptent pas comme priorité absolue la défense des intérêts économiques et politiques de la classe dirigeante française.
Vos ancêtres n’étaient pas des Gaulois avec les cheveux blonds et les yeux bleus ? Vous préférez le mafé au pâté ? Vous protestez quand un de nos braves soldats cogne un «voleur» avec un coup de poing américain ? Vous ne trouvez pas fantastique que Total, Eiffage, Airbus, Alsthom, Sncf, Orange, Auchan, etc., vous fassent entrer dans la modernité surfacturée ? Eh bien, vous êtes l’incarnation même du «sentiment antifrançais», dans toute sa détestable noirceur.
A Dakar, on se plaint de l’insolence et de l’agressivité des militaires français. Mais en République centrafricaine, un rapport officiel de l’Onu a accusé des soldats français de viols et actes pédophiles sur une quinzaine de garçons et filles. La justice française s’est saisie de l’affaire pour décerner un… non-lieu. Une procédure judiciaire est engagée à Dakar. Chronique d’un non-lieu annoncé, comme le craignent de nombreux observateurs, porteurs certainement de «sentiment antifrançais» ?
Mamadou Bamba NDIAYE
Ancien député
Secrétaire général du Mps/Selal