CONTRIBUTION
Si, dans l’énoncé des arguments qui ont présidé à l’adoption de la loi sur le parrainage, tout le monde s’est accordé sur la nécessité de mettre de l’ordre dans le nombre de candidatures à la magistrature suprême, dans la mise en œuvre de cette loi, adoptée au forceps, des dessous inavoués commencent à se faire jour. J’avais déjà fait état, dans une précédente publication, de la première conséquence prévisible de la loi dans sa forme actuelle. Il s’agissait de l’autorisation, arithmétiquement légale, de plus d’une centaine de candidatures. Or, nous n’avons jamais eu au Sénégal une vingtaine de candidats à la présidentielle. O paradoxe, nous avons, après l’adoption de la loi sur le parrainage, 97 candidats à la candidature ! Bien entendu des filtres, non apparents, se chargeront de tailler, à la mesure des desiderata du commanditaire de la loi, une short-list de candidats… «acceptables»…
A cet égard, quelques questions : Le parti au pouvoir a décidé de collecter 3 000 000 (trois millions) de signatures là où on en demande au maximum 65 000 (soixante-cinq mille) aux termes de la loi. Des grosses pointures de l’Apr en font, d’ailleurs, le slogan de mobilisation de leur campagne de collecte. Autrement dit, et si l’Apr réussit son pari, 2 935 000 signatures seront rendues inutilisables par les autres candidats à la candidature. Dans la mesure où nul ne peut parrainer deux candidats à la fois ! Est-ce légal ? Est-il légal de capturer des signatures et de les rendre nulles et non avenues ? Si cela était légal, qui va vérifier l’existence physique des 2 935 000 signatures ? Car il ne suffira pas d’une annonce du parti au pouvoir pour nous en convaincre ! Qui va s’assurer qu’aucune des signatures ne fait l’objet d’un doublon chez l’un ou l’autre des 96 autres candidats ? Quelle structure de l’Etat a les moyens humains et logistiques pour vérifier toutes les listes de parrainage, les confronter une par une ? La presse pourrait-elle effectuer des reportages sur les sites qui abritent cette organisation afin que la confiance soit établie ? Nous ne sommes pas dans un domaine de secret-défense que je sache ! Par ailleurs, quelle garantie de conformité offre une signature, dans un pays à majorité analphabète ?
A ne pas répondre à certaines questions on va, de manière quasi certaine, vers des contentieux pré-électoraux inextricables. Est-ce le but de la manœuvre ? A qui profiterait la confusion ? En fait, tout cela dénote d’un manque de culture démocratique des tenants du pouvoir et pis, d’un manque de générosité. Purement et simplement. Car, il faut de la générosité et de la bienveillance pour animer les institutions dans le sens de l’intérêt général. En vérité, les institutions sont toujours à l’image des hommes et des femmes qui leur donnent corps et vie. Or, force est de constater que, depuis le début du septennat en cours, les lois de la République ont été outrageusement utilisées pour réprimer et embastiller. Les lois et les hommes de lois ont, trop souvent, contribué à renforcer «l’autorité» du moment au détriment de l’équité républicaine. Les images d’anciens Premiers ministres, d’anciens ministres, de parlementaires en fonction, malmenés et embarqués sans ménagement, ont envahi nos médias. Ces images, a contrario, contribuent à la désacralisation de l’Etat par l’humiliation de ceux qui ont incarné son autorité. Les atours de la puissance publique perdent ainsi de leur aura, et de l’indispensable mystère qui en assure la crainte. C’est un danger pour tous à terme.
Bref, si l’atmosphère est si pesante à la veille d’élections qui auraient dû être une banalité dans une vraie démocratie, demandons-nous vite pourquoi. Avant qu’il ne soit trop tard ! Sinon, nous aurons assisté, impassibles, à la mise à mort du modèle démocratique sénégalais. Caveant consules !
Amadou Tidiane WONE