Mme Merkel, la Chancelière allemande, entame aujourd’hui une visite de deux jours au Sénégal. Officiellement, il s’agit de raffermir les relations entre Dakar et Berlin. Mais, vu du trou de la serrure, les enjeux transcendent les sentiments.
Sauf imprévu de dernière minute, c’est aujourd’hui que la Chancelière allemande foule le sol sénégalais pour une visite de 48 heures. On est en été, bien sûr. Mais, détrompez-vous, ce n’est ni pour notre beau soleil, ni pour le sable fin de nos plages, encore moins pour la légendaire hospitalité sénégalaise que vantent cartes postales et tour-opérateurs que Mme Merkel visite notre pays. En termes diplomatiquement choisis, cette visite marque une «volonté commune des deux leaders (Macky Sall et Angela Merkel, Ndlr) de raffermir les excellentes relations d’amitié et de coopération entre leurs deux pays», selon un communiqué posté sur le site de la Présidence sénégalaise. Lequel communiqué renseigne que, «au cours de cette visite, les deux dirigeants auront des entretiens sur des questions d’intérêt commun au plan bilatéral, régional et international». Mais, tout n’est pas là !
En venant à Dakar, Mme Merkel marche sur les pas d’Emmanuel Macron qui était hôte du Sénégal au mois de février dernier.
Lors de cette visite, on a disserté éducation, visité un collège retapé à neuf par la Coopération française même si cette fameuse boulette sur les effectifs ante et post visite a failli gâcher la fête. Macky Sall et son hôte se sont aussi rendu à Saint-Louis pour constater de visu les effets dévastateurs des changements climatiques sur le quotidien des populations. Entre agapes et visites de proximité, ils ont supervisé la signature de contrats qui positionnent davantage les entreprises françaises dans ce qui est jusque-là la chasse gardée de Paris, doublée aux flancs par Pékin et Ankara. Justement, pour ne pas laisser Macron «braconner» à sa guise, Erdogan et Xi Jinping ont failli lui marcher sur les semelles. Ces deux dirigeants dont les entreprises ont raflé et continuent de rafler les gros marchés du Pse ne se sont pas contentés de télex diplomatiques et autres notes verbales de leurs envoyés spéciaux au pays de la Téranga. Ils ont tenu à faire, eux-mêmes, le déplacement. Et c’est maintenant au tour de Mme Merkel dont le pays est quand même la première puissance de l’Europe de se faire le Vrp de ses entreprises pour voir ce que celles-ci peuvent bien gagner au Sénégal.
Si notre pays attire tant, c’est parce que, depuis deux années, il est, par le hasard des lois de la nature, devenu un hub de ressources pétrolières et gazières. Tout le reste n’est que littérature convenue entre initiés que l’on s’empressera de jeter à la poubelle une fois que les regards se seront détournés. Analyste politique, sinologue assumé et fin connaisseur des questions géostratégiques, le journaliste Adama Gaye pense même à un bégaiement de l’Histoire en ce sens qu’on assiste, toutes proportions gardées, à un remake de la conférence de Berlin. Celle-ci qui s’était tenue entre 1885 et 1886 avait acté le dépeçage de l’Afrique dont les puissances occidentales de l’époque s’étaient emparées des différentes parties. Aujourd’hui qu’il exhale un parfum de pétrole et de gaz, les mêmes, plus d’autres qui ont émergé pendant ces dernières décennies, reviennent à la charge. Vu de Pékin, Berlin, Paris ou Londres, cela semble de bonne guerre. A charge pour nos dirigeants de savoir en tirer le meilleur avantage pour leurs communautés.
Ibrahima ANNE