La Cour d’appel de Dakar reprend, ce mercredi, le jugement en appel de Khalifa SALL.
Mais que peut-on attendre d’une juridiction dont le président est personnellement monté à l’audience dans le dessein manifeste de juger les prévenus quoi qu’il advienne ? Lui qui avait systématiquement refusé d’attendre que lui soit communiqué le verdict de la Cour de justice de la Cedeao pour commencer le procès. Que peut-on enfin attendre d’un Etat dont le chef a déclaré qu’il ne se pliera pas aux pressions, d’où qu’elles viennent ?
Plus qu’une gifle, c’est une véritable vexation humiliante que l’Etat du Sénégal a subie de la part de la Cour de justice de la Cedeao. Moustapha Cissé Lô a pris la pleine mesure de ce camouflet. Et le Président du Parlement de la Cedeao qu’il est, ne souhaiterait pas continuer à être la risée de ses collègues parlementaires africains. Ce qui serait le cas si son pays rejette, ni ne tient compte du verdict de la Cour de justice de la Cedeao dans l’affaire Khalifa Sall. Dans le cas échéant, c’est ce pays qu’il aime tant qui sera la risée de l’Afrique, mais également de toute la communauté internationale, parce qu’il violerait ainsi des traités et conventions communautaires qu’il a librement signés et promulgués. Moustapha Cissé Lô ainsi que tous les droit-de-l’hommistes sénégalais et les universitaires spécialistes du droit qui se sont prononcés sur l’affaire, prient sans doute pour que le Président de la Cour d’appel de Dakar, Demba Kandji, et ses assesseurs dont l’un débarque fraîchement de la Chancellerie ne soient obnubilés que par le droit et non par leur plan de carrière, au moment de reprendre l’audience dans le procès de la Caisse d’avance de la mairie de Dakar.
A trois jours de la reprise du procès, tout le monde se pose une seule et même question : La Cour d’appel de Dakar tiendra-t-elle compte de l’arrêt de la Cour de justice de la Cedeao ou passera-t-elle outre cette décision, mercredi prochain ? Nombre de juristes sont sceptiques, surtout en constatant que le Président Demba Kandj est monté personnellement à l’audience et a voulu connaître de l’affaire sans attendre que lui soit communiqué l’arrêt de la Cour de justice de la Cedeao. N’avait-il pas rejeté, les 9 et 10 juillet derniers, toutes les demandes de la défense allant dans le sens d’attendre la notification dudit arrêt, confortant du même coup les arguments spécieux de l’agent judiciaire et des avocats de l’Etat ? Si le Procureur général près la Cour d’appel, Lassana Diabé Siby, n’avait pas fini par prendre leur contre-pied, au motif que la Cour ne pouvait pas ignorer le verdict de la Cour de justice de la Cedeao, le juge Kandji n’aurait, sans doute, pas renvoyé le procès au 18 juillet. Seulement voilà : le document est enfin arrivé. Parce que la juridiction communautaire a fait diligence pour que son arrêt soit mis à la disposition des parties prenantes à l’affaire Khalifa Sall, une semaine seulement après son verdict dans le procès de la Caisse d’avance de la mairie de Dakar.
Un violent revers
En attendant la reprise du procès en appel, le verdict de la Cour de justice de la Cedeao fait couler beaucoup d’encre et de salive. Jamais une décision de la cour communautaire n’avait suscité un débat si passionnant au Sénégal. Parce que dans son arrêt, la Cour de justice de la Cedeao a infligé un violent revers à l’Etat du Sénégal. Il s’agit d’une décision forte que de déclarer que le tout-puissant (sic !) Procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye, à travers sa conférence de presse du 3 mars 2017, a violé la présomption d’innocence de Khalifa Sall et Cie, pour avoir explicitement accusé le «Grand maire» d’avoir détourné 1,8 milliard FCfa, alors qu’il n’y avait pas encore eu de procès. Jamais au Sénégal, une autorité judiciaire de sa trempe n’avait auparavant été épinglée de cette manière, par une juridiction à caractère international. Et cette violation de la présomption d’innocence est un motif suffisant de nullité de toute la procédure.
C’est dans les termes les plus fermes que la Cour de justice de la Cedeao, maillon le plus haut du système judiciaire communautaire, a pointé les autres violations des droits de la défense, au procès de la Caisse d’avance. Comme l’arrêt ne manque pas de le souligner, ces manquements avaient pourtant été dénoncés par les conseils du Maire de Dakar depuis le début de la procédure, mais le juge de première instance, Malick Lamotte, avait obstinément fermé les yeux. «Le droit d’assistance d’un conseil et le droit à un procès équitable des requérants ont été violés», dénonce aussi l’arrêt haut en couleur de la juridiction communautaire. Le droit d’assistance d’un conseil renvoie au règlement n°5 de l’Uemoa sur la présence de l’avocat dès l’interpellation, entré en vigueur depuis le 1er janvier 2015. Lors de l’audition de Khalifa Sall à la Brigade des affaires générales (Bag), ses avocats avaient été éconduits par les hommes du commissaire Albert Gomis. Or, la violation de ce droit rend nul et sans effet tous les procès-verbaux (Pv) d’enquête préliminaire. Et la nullité de ces Pv entraîne, de fait et de juré, celle de toute la procédure. Sur ce point précis, le Tribunal correctionnel de Dakar a été épinglé par la Cedeao de manière si flagrante. Elle constatera que des procédures n’ayant pas respecté l’assistance d’un avocat à l’étape de l’enquête préliminaire ont été annulées dans les différents cours et tribunaux du pays, notamment à Dakar, à Thiès, à Saint-Louis, à Kaolack ainsi qu’à Diourbel.
La Police et la Justice, bras armés du régime
La Cour de justice de la Cedeao ne s’est pas arrêtée en si bon chemin, car elle tient l’Etat du Sénégal pour responsable de toutes ces atteintes aux droits de la défense, en utilisant comme bras armé la Justice et la Police. En recoupant ce faisceau d’indices, la Cedeao livre un jugement sans appel : Khalifa Sall et ses partisans sont en «détention arbitraire», durant la période circonscrite par l’arrêt de la juridiction considérée. Entre la période de la proclamation des résultats des élections législatives par le Conseil constitutionnel, le 14 août 2017 et celle de la levée de l’immunité parlementaire du député Khalifa Sall, à savoir le 25 novembre 2017. Aux yeux de l’instance communautaire, ces griefs ne doivent pas rester impunis, cause pour laquelle l’Etat a été formellement condamné à payer 35 millions FCfa aux requérants, à savoir Khalifa Sall, Yaya Bodian, Mbaye Touré, Fatou Traoré, Ibrahima Yatma Diaw et enfin Amadou Moctar Diop.
L’Etat du Sénégal n’avait jamais subi un si cuisant camouflet, dans un contentieux avec un tiers. Il faut déplorer qu’une telle décision de justice fasse rejaillir une salve de critiques les plus acerbes, de la part des hommes du pouvoir, contre la Cedeao dont le Sénégal est signataire de tous les traités l’ayant instituée. Mais la Cour de justice de la Cedeao n’entend pas se laisser faire. Ainsi, elle a été catégorique quand il lui a été demandé de se déclarer incompétente à connaître de recours contre les décisions des juridictions sénégalaises en se fondant sur une jurisprudence de ladite cour (arrêt ECW/CCJ/APP/03/07 du 22 mars 2007) : «La Cour fait observer que le Protocole additionnel A/SP.1/01/05 du 19 janvier 2005 portant amendement du Protocole PA/P.1/7/91 relatif à la Cour de justice de la Communauté lui confère explicitement la compétence pour connaître des cas de violation des droits de l’homme dans tout Etat membre». Et de préciser que «les allégations de violations des droits de l’homme dans une requête suffisent à faire admettre sa compétence formelle». Or, en l’espèce, elle a constaté des violations graves des droits de l’homme qui sont autant d’éléments nullité de la procédure. Dès cet instant, la Cour de justice de la Cedeao n’avait pas besoins de réclamer la libération de Khalifa Sall et Cie puisque cela coule de source.
Ce ne serait pas étonnant que le régime continue de se rebeller contre les décisions de la Justice internationale. Si une telle rébellion a commencé sous le magistère de Macky Sall c’est parce que, sous son règne, jamais le Sénégal n’avait été autant désavoué sur la scène internationale, sur le plan des droits de l’homme. Mais avec le verdict de la Cour de justice de la Cedeao en date du vendredi 6 juillet 2018, dans l’affaire Khalifa Sall, serait-ce fini le temps où l’Exécutif se bornait à tordre le bras de la justice nationale pour imposer ses moindres désidératas ?
Pape NDIAYE