CHRONIQUE DE WATHIE
La symphonie n’a pas été au bout. Comme le dirait un adage wolof, le tambour, au contact de la hache, n’a retenti qu’une seule et unique fois. Avec une victoire inaugurale, un nul et une défaite, le Sénégal a été éliminé au premier tour de la coupe du monde Russie 2018. Toutefois, les joueurs d’Aliou CISSE n’ont pas à rougir (ou à davantage noircir) de leur parcours ou même à se remettre en question. Au Sénégal, l’échec n’est pas interdit. On peut se faire appeler lion et bêler comme un mouton, sans susciter l’indignation dans une société où la réussite est souvent attribuée à la chance ou au marabout.
« Sur le terrain, vous avez fait preuve d’engagement physique incontestable, d’un mental de gagnant et d’un talent unanimement salués. Au nom de tout le peuple sénégalais, je vous félicite très vivement ». C’est, en substance, la réaction du président SALL après la défaite synonyme d’élimination du Sénégal. Même les présidents dont les pays sont d’ores et déjà qualifiés en quart de finale de la Coupe du monde n’ont été aussi dithyrambiques. Inspiré probablement par son ministre-conseiller, auteur de la chanson qui dit : « Niou daan la, gua melni ya daan » (on te vainc, tu te comportes comme si tu avais gagné), Macky SALL a mis le pied sur l’accélérateur. Et s’est retrouvé en dehors du terrain en attribuant à Sadio MANE et Cie des qualificatifs qu’il est le seul à avoir vus. A part le match contre la Pologne, les joueurs d’Aliou CISSE n’ont en aucun moment montré qu’ils méritent leur surnom de « Lion ». Ou alors, comme d’ailleurs les officiels ont tendance à le faire, y ajouter cet adjectif (de la teranga) qui n’a jamais qualifié le lion. Le « mental de gagnant », ils s’en sont départis après leur premier match. D’ailleurs, quel que soit le comportement de l’équipe sur le terrain, une défaite ne doit pas susciter des félicitations. D’autant que, le 24 mai dernier, quand le chef de l’Etat remettait le drapeau national à Cheikhou KOUYATE, son discours a été : « Faites autant, voire mieux que la génération de 2002…Vous avez l’impérieux devoir, à la suite de la génération de 2002, de hisser encore haut le nom et l’image du Sénégal à travers le monde. Vous en êtes capables…Vous en avez le potentiel et les moyens ! Toutes les sélections nationales se valent, car les joueurs qui les composent évoluent dans les mêmes championnats ». Macky SALL avait poursuivi en demandant aux joueurs de défendre « avec éclat, honneur et combativité notre pays qui a toujours su honorer ses rendez-vous avec l’Histoire ». Après l’élimination, Macky SALL ne peut distribuer des félicitations sans se retrouver totalement à côté de la plaque. Pour avoir porté un si violent tacle à la logique, il mérite, en plus d’un carton rouge, une interdiction de pratiquer le sport politicien qu’il a inventé.
Pourtant, le président SALL, à sa décharge, n’est pas le seul adepte du sport politicien. Dans un marquage à la culotte qui ne s’explique pas, les opposants, comme Macky, se sont répandu de félicitations après l’élimination du Sénégal. Idrissa SECK qui semble avoir manqué l’occasion de s’exprimer après la qualification de l’équipe d’Aliou CISSE au mondial, sort du bois et, loin de la religion, déclare : « tout d’abord félicitation pour avoir mis fin à 16 longues années d’absence de notre pays aux phases finales de la plus prestigieuse compétition sportive du monde… ». Comme si l’objectif était de planter le drapeau sénégalais en terre russe, le refrain s’accentue. « Vous nous avez fait rêver et votre mérite est historique. Je vous encourage à persévérer dans la voie de la gloire pour la Nation et fouetter ensemble notre imagination nationale pour le triomphe de nos valeurs sur les terrains du monde », soutient Malick GACKOU qui semble avoir dormi durant les matches du Sénégal face au Japon et à la Colombie.
Macky SALL, émerveillé par le parcours des Lions de la teranga donc, qui se répand en félicitations, inflige au Sénégal une autre défaite. Il ne lui est certes pas demandé de faire comme Mobutu Sese Seko même si leur gestion du pouvoir se ressemble à bien des égards. En effet, après la Coupe du monde 1974, les 22 Léopards avaient été tout simplement jetés en prison, à leur retour à Kinshasa. Mobutu leur reprochait d’avoir terni l’image du Zaïre (actuelle République démocratique du Congo) en concédant trois défaites lors des matches de groupe. Ou même de faire comme Sékou Touré qui, par décret présidentiel, poussait en 1976 sept joueurs du Hafia FC à la retraite. De Macky SALL, il n’était pas non plus attendu ces propos du Général Robert Guéi aux joueurs de la Côte d’Ivoire après la CAN 2000 : « ce que vous avez fait est indigne d’un pays comme le nôtre. Nous avons payé vos primes avant la Coupe d’Afrique des Nations et vous n’avez montré aucune détermination ». La prise de parole n’étant pas obligatoire, le président SALL a manqué l’occasion de se taire. A défaut de fouetter l’orgueil des joueurs en leur tenant un discours à la mesure de leur contre-performance, garder le silence aurait été beaucoup plus présidentiel.
Les hommes politiques ont sans doute été inspirés par Me Abdoulaye WADE qui, après la victoire du Sénégal sur la France en ouverture de la Coupe du monde 2002, avait dit aux joueurs qu’ils pouvaient rentrer au pays. Ce n’était que le premier match, mais le chef de l’Etat avait estimé que les joueurs avaient rempli leur mission. Conséquences, une belle génération de gâchée. Les chroniqueurs sportifs s’étaient accordés à dire que le Sénégal était au-dessus de la Turquie qui l’a éliminé en quart de finale. Mais El Hadji DIOUF et ses coéquipiers avaient dansé la veille du match fêtant encore leur victoire sur la France. Avant la 70e mn, presque tous les joueurs de l’équipe manifestaient des signes de fatigue et furent assommés par un but en or. Qu’à cela ne tienne ! Quart de finale, on ne pouvait espérer mieux. Depuis, c’est la grande GLORIOLE.
Ce culte de la médiocrité entretenu par la classe politique sénégalaise se manifeste quand il est question de nomination. Un autre sujet !
Mame Birame WATHIE