CONTRIBUTION
Le 1er juin dernier se tenait à l’Assemblée nationale une assemblée plénière au cours de laquelle les députés devaient se prononcer sur la ratification de l’accord de coopération inter-Etats portant sur le développement et l’exploitation des réservoirs du Champ Grande tortue/Ahmeyim entre le Sénégal et la République Islamique de Mauritanie. Cet accord a été signé par les deux Etats le 9 février 2018 à Nouakchott. Des voix s’étaient déjà élevées pour exiger la publication de la convention ainsi qu’une totale transparence dans la gestion de ce dossier.
Un député qui estimerait qu’il n’y aurait pas lieu à délibérer sur un texte peut porter cet avis à la connaissance de ses collègues au moyen d’une question préalable en vertu de l’article 74 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale (texte publié sur le site de l’Assemblée nationale). Il ressort de l’article 75 dudit règlement qu’au cours des discussions, des motions préjudicielles peuvent être soulevées. Contrairement à la question préalable qui vise à empêcher qu’il y ait délibération, la motion préjudicielle tend à obtenir une suspension temporaire des débats jusqu’à ce que, notamment, une commission ait donné son avis sur le projet. L’article 75 précité précise que la question préalable ainsi que les motions préjudicielles obéissent à la même procédure.
Lors de la plénière du 1er juin, puisque c’est de cette session qu’il s’agit, un député a déposé une question préalable qu’il a intitulé «question préjudicielle», commettant ainsi une erreur matérielle. Il convient de préciser que le député concerné avait visé, au soutien de sa demande, le bon fondement textuel. Comme à l’accoutumée, et par une parfaite mauvaise foi, le président de l’Assemblée nationale a cru pouvoir le priver de l’exercice de sa mission, continuant ainsi à exceller dans l’art de la diversion et de l’accessoire. Faut-il rappeler qu’en pratique juridique, la terminologie demeure surérogatoire, l’obligation résidant principalement dans le fait de viser le bon fondement légal ?
En paralysant l’Assemblée nationale, une partie de la majorité ainsi que le président ont tenté de détourner le regard sur une question épineuse : quels sont les éléments objectifs en faveur d’un partage parfaitement égal, et non équitable, des réservoirs de gaz naturel entre le Sénégal et la Mauritanie ? C’est sur cette question que devaient s’attarder les représentants du peuple, et à laquelle aurait dû répondre le ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur. En effet, aux termes de l’article 6 de l’accord du 9 février 2018 tel que soumis à ratification, «les deux Etats sont convenus, à titre provisoire, que la répartition de la production des hydrocarbures provenant des réservoirs du Champ Grand Tortue/Ahmeyim (…) sera faite sur la base d’un partage égal, soit 50 % pour la zone économique exclusive de la Mauritanie, et 50 % pour la zone économique exclusive du Sénégal». Certains députés soucieux des intérêts du Sénégal et des Sénégalais ont déploré le peu d’informations mises à leur disposition, informations somme toute biaisées puisque fournies par des entreprises à la fois exploitantes et expertes. Ce patent conflit d’intérêt laisse présager que le Sénégal pourrait être lésé par ce partage.
Des pseudos techniciens qui constituent cette usine à consensus longtemps décriée, cherchent désespérément à maintenir le grand public dans l’ignorance. Ils soutiennent ainsi que le gaz serait parfaitement réparti entre le Sénégal et la Mauritanie à hauteur de 50 % sur chaque territoire. Nous le savons tous, le Sénégal est un pays béni. Amen ! Il est toutefois difficile de croire que la nature soit aussi bien faite, et qu’elle ait miraculeusement décidé d’épargner aux deux pays des querelles liées au partage des ressources. Cette thèse est d’autant plus incompréhensible que l’accord du 9 février 2018 prévoit expressément que le partage égalitaire est provisoire, et qu’une «redétermination» pourrait se faire à l’issue d’un délai de 5 ans.
Par ailleurs, il convient de souligner le peu d’intérêt qu’une large partie de la presse a accordé à la ratification de cet accord. En effet, cette presse qui a relayé au second plan sa mission jeffersonienne s’est contentée, une fois de plus, de faire du sensationnel avec «l’incident» sur la terminologie adéquate entre «préalable» et «préjudicielle». Le grand public a suivi, sur les réseaux sociaux notamment, l’angle sous lequel les médias ont traité un sujet aussi sensible et relevant de l’intérêt national. Or, ce sujet nécessitait une investigation sérieuse et approfondie à laquelle devaient s’atteler les grandes maisons de presse dont le crédo devrait être «informer en toutes circonstances». En s’abstenant de procéder à une telle investigation, il est légitime de se demander si une large partie de nos médias n’est pas en connivence avec le parti au pouvoir. Connivence qui expliquerait le laxisme auquel nous assistons quant au traitement médiatique des dossiers de cette nature. Il revient aux Sénégalais d’être exigeants aussi bien avec nos responsables politiques, que notre presse pour une meilleure défense des intérêts de notre pays.
Enfin, toute la lumière devra être faite pour édifier les Sénégalais sur le manque à gagner par le Sénégal aux termes de cet accord. Accord dont le caractère léonin peut être présumé au regard de la gestion nébuleuse de nos ressources depuis plusieurs années.
Ndèye Rokhaya THIAM
Citoyenne engagée