A 7 km au large de Conakry, la capitale guinéenne, l’île de Kassa peut facilement se suffire de sa végétation luxuriante qui évoque tout de la géographie de la Guinée.
Sauf que l’histoire du passage en ces lieux de Cheikh Ahmadou Bamba, contée volontiers aux visiteurs sénégalais, vient ajouter un air de spiritualité inattendue à une nature presque trop généreuse. Le fondateur du mouridisme, parti de Mbacké Baary (actuel région de Louga au Sénégal), en 1895, avait fait escale sur cette île pour la prière de la mi- après-midi (Asr), en route pour le Gabon, pays vers lequel il était conduit pour un exil forcé de 7 ans, du temps de la colonisation française, selon des témoignages recueillis sur place.
“Il a demandé aux Blancs qui le transportaient de le laisser prier. Ils ont accepté. Il est descendu sur l’eau. Certains disent qu’il a mis sa natte pour traverser l’eau”, explique, sourire en coin, le vieux Amara Kati, guide touristique.
Il recevait une délégation sénégalaise venue sur les traces de Bamba et admirer la beauté sauvage de cette île, en marge de la deuxième édition du Forum de l’étudiant guinéen (FEG, du 10 au 12 mai derniers).
De l’hôtel au port dit “petit bateau”, point de départ des chaloupes convoyant les touristes de la terre ferme de Conakry vers l’île de Kassa, le trajet en minibus ne dure que quelques minutes.
Kassa fait en réalité partie des îles des îles Loos, archipel comprenant, au large de Conakry, deux autres îles principales (Tamara et Room), ainsi que quatre îlots inhabités.
Appelée “Sourigbé” par les locaux, dont les populations de la presqu’île de Kaloum qui y pratiquaient l’agriculture, l’île Kassa, qui charme par la beauté époustouflante de sa verdure et l’élégance de ses palmiers géants, servait à l’occasion de lieu d’offrandes.
L’appellation “Kassa” lui vient de portugais “casa”, signifiant “maison” dans cette langue, une curiosité linguistique héritée de ses premiers occupants européens et colonisateurs portuguais.
Après une traversée d’une vingtaine de minutes, le visiteur pose le pied à terre, pour mieux prendre ses marques sur du sable humide, virant par moments en un mélange argileux et caillouteux à la fois.
Les immenses arbres perchés presque naturellement sur les roches solidement enfouies sous l’eau, donne à cet environnement un étrange air de magie, doublé d’un charme mystérieux, envoûtant.
À quelques pas des pirogues alignés tout au long de la petite plage, le convoi transportant Serigne Touba vers le Gabon aurait fait escale ici, le temps pour le saint homme de prier. Une place matérialisée par un imposant rocher de granit qui s’étend sur plusieurs mètres de longueur et de largeur.
Il faut arpenter quelques roches, esquiver des branches d’arbustes asséchés par le soleil de plomb qui assaille Conakry en cette fin mai, pour atteindre le sommet du rocher.
“Les mourides sénégalais de la Guinée l’ont aménagé. Ils y effectuent chaque année un pèlerinage”, explique M. Kati, pointant du doigt un tableau reproduisant le visage de Serigne Touba. Il comporte aussi un résumé de sa vie, de son exil en 1895 à sa mort en 1927.
Sur tout le périmètre, des flèches blanches délimitent les différents endroits où Cheikh Ahmadou Bamba a prié et fait ses ablutions, selon les guides.
“Un vrai paradis sur terre”, lâche un membre de la délégation sénégalaise. Les mains sur les hanches, le regard perdu dans le néant, ce dernier ferme les yeux pour mieux visualiser, intéroeurement, les moindres faits et gestes de son guide lors de cette escale.
La vue magnifique de ces lieux, leur beauté sauvage et la spiritualité qu’ils semblent dégager semblent avoir touché et inspiré plus d’un fidèle mouride de la délégation sénégalaise.
Certains n’ont par exemple pas longtemps résisté à l’idée d’improvise deux “rakaas”, en souvenir de leur guide.
D’autres, plus pénétrés des lieux, se sont baignés dans la petite mare comme l’avait fait leur guide avant de poursuivre son chemin de déportation, selon le récit du guide et capitaine de la chaloupe.
Une manière pour eux de profiter pleinement des grâces de l’une des figures les plus importantes de l’Islam sénégalais.
Il y a aussi qu’une singularité de l’île de Kassa réside dans cette vue imprenable, panoramique sur les autres îles et îlots autour, ainsi que sur le reste des éléments du premier port minéralier qui servait à l’exportation du minerai de la Guinée, dans les années 1937-1939.
Cette localité a abrité la première usine de bauxite (minerai rouge riche en alumine) de Guinée. Des carrières béantes d’extraction de la bauxite, datant de 1952, témoignent de cette autre histoire.
À son extrémité nord, l’île de Kassa reste aujourd’hui encore défigurée par une carrière d’extraction de roches dures pour la construction d’une digue de protection du port de Conakry, ici aussi un vestige de l’époque coloniale.
Après des minutes de méditations et de séances de photos pour éterniser des moments qui peuvent être uniques même pour qui n’est pas fervent mouride, la délégation quitte Kassa pour la plage de Sorro, de l’autre côté de l’île, avec pour certains le sentiment d’avoir bénéficié d’un voyage spirituel aussi intense qu’imprévu.
APS