Donald Trump continue d’alimenter la controverse par son style diplomatique agressif. Le retrait des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien annonce une escalade avec Téhéran et plonge toute la région du Moyen-Orient dans l’incertitude. Les Européens sont engagés dans une course contre la montre pour sauver l’accord. L’Iran exige des garanties pour rester dans le pacte.
La doctrine du «gros bâton» et du retrait constitue la règle prônée par Washington en matière de politique étrangère. Après l’Iran, à qui le tour ?
Arrivé à la Maison-Blanche sous le signe «L’Amérique d’abord», le président Donald Trump a pris des décisions en matière de politique étrangère qui confirment sa volonté de tenir ses promesses électorales. Passons la guerre commerciale avec la Chine et l’Union européenne, le projet de construction d’un mur anti-migrant à la frontière avec le Mexique.
En juin 2017, il avait annoncé le retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat. Washington s’est retiré aussi d’autres accords ou organisations multilatéraux : traité de libre-échange Asie-Pacifique, Unesco, entre autres.
En décembre dernier, le locataire de la Maison-Blanche a reconnu unilatéralement Jérusalem comme capitale d’Israël. Pour contraindre la Corée du Nord à renoncer à son programme nucléaire, principal défi international aux yeux de Washington, il impose à Pyonyang des sanctions draconiennes.
Mardi, le président américain, Donald Trump, a annoncé qu’il retirait son pays de l’accord 5+1(Iran d’un côté et de l’autre Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne et Allemagne) de Vienne, signé en juillet 2015.
Accord à travers lequel Téhéran a accepté de brider son programme nucléaire en échange de la levée d’une partie des sanctions internationales visant la République islamique. Washington a aussi réactiver l’intégralité des sanctions levées, tout en annonçant des sanctions encore plus sévères et en forçant les entreprises étrangères à choisir rapidement entre faire des affaires en Iran ou aux Etats-Unis.
Quelques instants plus tard, le président iranien, Hassan Rohani, a prévenu que l’Iran pourrait cesser d’appliquer les restrictions qu’il a consenties à ses activités nucléaires et reprendre un enrichissement d’uranium plus élevé, si les négociations avec les Européens, Russes et Chinois ne devaient pas donner les résultats escomptés.
Téhéran exige des garanties aux Européens
Ainsi, le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a exigé hier des Européens qu’ils donnent des «garanties réelles» à Téhéran pour lui permettre de rester dans l’accord de Vienne, rapporte l’AFP relayant la télévision d’Etat iranienne. «Maintenant, on dit qu’on veut continuer l’accord nucléaire avec les trois pays européens», mais «je ne fais pas confiance à ces trois pays (…) Vous voulez conclure un accord, obtenez des garanties réelles, car demain ils feront la même chose que ce que les Etats-Unis ont fait», a déclaré le guide suprême lors d’un discours diffusé par la télévision d’Etat iranienne.
«Si vous réussissez à obtenir des garanties de la part des Européens de sorte qu’on puisse faire confiance, il n’y pas de problème, vous pouvez continuer sur le même chemin. Si vous ne réussissez pas à obtenir une telle garantie définitive, et je doute réellement que vous puissiez le faire, à ce moment on ne plus continuer comme ça», a soutenu le guide suprême.
Pendant toute la durée des négociations ayant mené à l’accord de juillet 2015, l’ayatollah Ali Khamenei a mis en garde les négociateurs iraniens contre leurs interlocuteurs américains, les jugeant indignes «de confiance». Il a exigé une garantie signée du président américain de l’époque, Barack Obama, que les négociateurs n’ont jamais obtenue. Le guide suprême a estimé, hier, que le retrait de Washington montre a posteriori qu’il a eu raison de mettre en garde contre l’attitude des Etats-Unis.
De son côté, le président du Parlement, Ali Larijani, a mis en cause lui aussi l’honnêteté des Européens et estimé que le retrait américain offre toutefois à l’Europe une occasion de montrer «qu’elle a le poids nécessaire pour régler les problèmes internationaux». Si les négociations échouent, «la République islamique d’Iran, avec ses actions sur le plan nucléaire (…), ramènera tout le monde à la raison», a dit A. Larijani.
Le chef des Gardiens de la révolution, l’armée d’élite de la République islamique, le général Mohammad Ali Jafari, a lui salué «la sortie des Etats-Unis de l’accord». «Il était clair dès le début que les Etats-Unis ne sont pas dignes de confiance», a-t-il indiqué. A son avis, «il est évident qu’entre les Etats-Unis et l’Iran, les Européens vont choisir les Etats-Unis (…). L’enrichissement d’uranium est un prétexte pour les Etats-Unis (…).
La question principale est la capacité défensive et balistique ainsi que la puissance et l’influence de la révolution islamique dans la région». Ainsi, il plaide en faveur d’un «renforcement des capacités des forces armées». Pour le commandant en chef de l’armée, le général Abdolrahim Moussavi, «le plus grand tort de l’accord nucléaire est d’avoir donné un caractère légitime à la négociation avec les Etats-Unis».
Paris, Bonn et Londres veulent préserver le pacte
De leur côté, les Européens se sont engagés à «tout faire» hier pour sauver l’accord visant à contenir les ambitions nucléaires de l’Iran, qui menace à son tour d’en sortir, s’il n’en retire pas les bénéfices escomptés. «Nous allons respecter l’accord et nous ferons tout pour que l’Iran s’en tienne à ses obligations», a déclaré la chancelière allemande Angela Merkel au lendemain du retrait américain.
Les ministres français, allemand et britannique des Affaires étrangères rencontreront lundi des représentants de Téhéran pour voir comment avancer sur ces questions. «L’accord n’est pas mort», a déclaré le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian, en appelant l’Iran à faire «preuve de retenue» et en mettant en garde contre un risque de «déflagration» et de «confrontation», si Téhéran se retire du compromis de 2015 et entraîne les autres pays de la région dans une course à l’armement atomique.
La Chine a également appelé à sauvegarder l’accord, estimant qu’il «contribue à préserver la paix au Moyen-Orient». Moscou a fait part pour l’heure de son «extrême inquiétude». Londres a exhorté Washington «à éviter toute action qui empêcherait les autres parties de continuer à faire que l’accord fonctionne».
Il y va de «notre sécurité collective», a insisté le ministre britannique des Affaires étrangères, Boris Johnson, dans une allusion aux sanctions américaines. Toutes les entreprises, y compris étrangères, déjà présentes en Iran, ont trois à six mois pour en «sortir» avant d’être frappées par les mesures punitives leur barrant l’accès aux marchés américains. Et celles qui étaient en négociations pour de nouveaux contrats doivent y renoncer «immédiatement».
Les Européens vont devoir se livrer à une course contre la montre pour trouver les moyens de préserver leurs entreprises et répondre aux attentes des Iraniens. «Nous allons tout faire, en lien avec nos entreprises, pour défendre et protéger leurs intérêts et maintenir les effets incitatifs de l’accord. Nous allons traiter avec les Etats-Unis au niveau de l’Union européenne, pour des raisons politiques, pratiques et juridiques», a indiqué l’Elysée.
Le défi est énorme. «Trump a de facto atteint son but : l’accord est probablement impossible à sauver (…) Celui qui investit en Iran sera frappé de sanctions américaines, et c’est impossible à compenser», a estimé le président de la commission des Affaires étrangères à la Chambre des députés allemande, Norbert Röttgen. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a répété de son côté que l’Iran remplissait ses «engagements en matière de nucléaire», conformément à l’accord signé avec les grandes puissances.
elwatan