CONTRIBUTION
Nous devons remercier Dominique Strauss-Khan pour s’être invité au débat sur le FCfa, notre monnaie, avec des propositions irrecevables pour la jeunesse africaine qui compte prendre son destin en main en se responsabilisant exclusivement. Le remercier car il s’agit là d’un ancien ministre de l’Economie et des Finances de la France, ancien Directeur général du Fonds monétaire international, et naguère potentiel candidat à la présidence de la République française. La note qu’il a produite a l’avantage de dépassionner le débat et d’en clarifier les enjeux véritables aux plans politique et économique. Comme il l’a lui-même dit, «une forme d’heure de vérité a sonné pour la coopération monétaire avec l’Afrique… et il est devenu urgent de moderniser la Zone franc pour la préparer aux perspectives économiques et démographiques du continent…». De ce fait, aucun décideur responsable ne doit accepter le statu quo et la discussion sur les enjeux doit être transparente et démocratique. En effet, nous avons un problème de leadership politique propre.
Oui Monsieur Strauss-Khan, le FCfa est bien notre monnaie. Il n’a pas besoin de s’émanciper car son émancipation est déjà réelle. Les mouvements de capitaux ne sont effectivement pas libres vis-à-vis de l’extérieur, nous pouvons produire le FCfa là où on veut, et changer son nom quand on veut, ce qui n’est effectivement pas essentiel. Le FCfa est géré par la Bceao en ce qui nous concerne, avec des réserves déposées en partie au trésor français pour les besoins de la garantie qui, dans les faits, n’a plus aucune forme d’importance au-delà du fait qu’elle nous a obligé et permis d’apprendre à travailler ensemble. La France a joué pour nous avec le Fmi le rôle d’un Etat fédéral que nous n’avions plus. Pour l’essentiel, nos banques centrales gèrent seules et font leurs erreurs seules dans le cadre de la fixité du taux de change et du mandat qui leur est donné par les décideurs politiques. La présence de représentants français dans les organes de gouvernance n’est effectivement qu’un privilège d’accès à l’information qui devrait être publique dans le cadre d’une gouvernance plus transparente avec des officiels aux mandats sécurisés et plus longs que ceux des politiques qui les nomment.
La responsabilisation de nos banques centrales doit se faire en leur donnant une autonomie d’objectif sur le taux de change pour accompagner l’autonomie sur leurs instruments dont elles jouissent déjà. De ce dernier point de vue, il faut éviter de leur faire porter des camisoles de force dans leur politique monétaire et de refinancement en particulier malgré l’usage récent que la Bceao en a fait en finançant indirectement les déficits des Etats (surtout la Côte d’Ivoire), ce qui nous a fait perdre des réserves de change et incité à un endettement extérieur volontaire et/ou nécessaire qui corrigera. Avec un objectif de stabilité des prix clair et une autonomie d’objectif sur le taux de change, toutes les formules sont possibles dans une gestion dynamique et responsable. Il s’agirait effectivement «d’un régime de change stable ajustable», mais sans garantie extérieure aucune. La formule pourra conjoncturellement produire ce qu’un panier de monnaie aurait dicté, mais nos banques centrales seraient seules à en décider sans la présence de quelconques représentants d’instances européennes ou internationales ou d’administrateurs indépendants dans leurs organes de gouvernance. Nous ferions ainsi ce que le Maroc a fait récemment et que le Fmi lui recommandait depuis 2002 quand j’étais moi-même économiste principal pour le Maroc.
Par ailleurs, l’Uemoa n’a pas besoin d’intégrer le Ghana dans son ensemble qui n’a pas encore réalisé sa convergence. Le Ghana a déjà mieux à faire pour stabiliser sa situation macroéconomique que d’entrer dans une zone monétaire où l’absence de convergence va exiger un régime de change relativement fixe et commun à tous et qui ne correspondrait pas à ses besoins du moment. Comme le Nigéria que M. Strauss-Khan exclut de l’extension de la zone qu’il propose pour des raisons objectives de besoin d’ajustement propre, et à supposer que la convergence soit effective dans la zone Uemoa, le Ghana se retrouverait avec les mêmes contraintes que les pays de l’Europe dans l’euro. C’est-à-dire sans un levier monétaire qui lui permettrait d’accompagner son propre développement au vu de l’absence d’une entité politique fédérale qui le ferait avec une politique budgétaire commune. C’est ce que M. Macron essaie d’obtenir en Europe. La convergence totale comme dans une fédération comme les Etats-Unis étant ainsi un objectif difficile à atteindre même en Europe, toute monnaie commune doit avoir ses compléments nationaux, nous y reviendrons plus loin.
Pour réaliser la vision d’une banque centrale jouissant d’une autonomie d’objectifs et d’instruments, tout ce dont nous avons besoin, c’est d’éliminer la garantie française qui n’existe que de nom, de déposer nos réserves de change où bon nous semble, renforcer la gouvernance de notre banque centrale ainsi que sa transparence en matière de politique monétaire et de change. Nous n’aurons ainsi besoin d’aucune forme de relation organisée avec les pays de la zone euro et la Banque centrale européenne qui serait si particulière à se rapprocher d’un néocolonialisme qui ne dirait pas son nom.
L’arrangement monétaire qu’il nous faut, doit être un arrangement qui favorise à la fois les investissements directs étrangers et les entreprises locales. De ce point de vue, aux côtés d’une monnaie commune stable et ajustable, il nous faut des monnaies nationales complémentaires. Nationales complémentaires comme le FCfa l’a été quand il était géré par une simple banque commerciale en mesure de créer de la monnaie en multiple de ses réserves de change en Franc français avec un taux de change non unitaire assorti d’une garantie théorique illimitée qui en a fait une monnaie figée.
La création de banques centrales en Zone franc n’a pas changé cette réalité du point de vue de la France en autant qu’elle a elle-même défendu devant les instances européennes que le FCfa est un arrangement budgétaire et non monétaire. Le FCfa était une monnaie fédérale complémentaire au Franc français, mais ne l’est plus comme nous l’avons indiqué plus haut.1/ La garantie est devenue sans importance et le FCfa est bel et bien notre monnaie et nous pouvons en sortir quand on veut sans l’aval de l’Europe, en n’exigeant plus de garantie. Nous pouvons cependant en tirer des leçons historiques en mettant en œuvre, aux côtés d’une monnaie commune souveraine, des compléments nationaux citoyens institutionnalisés et uniques permettant une flexibilité dans l’espace, plus diversifiée comme vous le suggérez pour la Cemac vis-à-vis de l’Uemoa. Ces compléments nationaux citoyens émis en échange de la monnaie commune épargnée donneraient des options dans chaque pays sur les réserves de change comme pour le fonds souverain en période grasse (l’épargne excédentaire) que M. Strauss-Khan a suggéré. Nous montrerions ainsi la voie à la zone euro qui elle-même n’arrive pas à trouver la solution à ce problème de diversité dans l’espace, dans le contexte d’une monnaie unique. La coopération monétaire unique au monde qu’a été le FCfa comme la caractérise Monsieur Strauss-Kahn offrirait ainsi une solution unique au monde venant de l’Afrique.
Dr. Abdourahmane SARR
Président CEFDEL