CONTRIBUTION
Je ne sais pas si les risques que je soulève ici ont été déjà signalés par d’autres, mais je les trouve suffisamment sérieux pour les porter (à nouveau ?) à l’attention de la classe politique et de mes compatriotes en général. Même s’il est compréhensible que ceux qui sont au pouvoir cherchent à y rester aussi longtemps que possible, que d’autres citoyens s’estiment en droit de chercher à prendre en main les destinées du pays, il nous faut, tous, nous accorder sur la fait que la stabilité de notre nation est une ligne rouge et qu’aucun acte ne doit être posé pour la mettre en péril. Le Sénégal étant sur la voie de devenir un pays pétrolier, les risques de déstabilisation du pays atteignent un niveau que nous n’avons jamais connu dans le passé. Comptez le nombre de pays immensément riches en pétrole et autres ressources naturelles et qui sont dans une situation d’instabilité perpétuelle. Pendant que les enfants de ces pays s’entredéchirent, des multinationales et gangsters de tous acabits pillent leurs ressources nationales.
Bien sûr, on peut mettre au crédit du génie de notre peuple la stabilité légendaire dont le Sénégal jouit jusqu’à présent ainsi que la vitalité relative de sa démocratie multi-partisane (…) Cette exception sénégalaise, on la doit aussi au fait que le Sénégal était perçu comme un pays pauvre et dépourvu de ressources naturelles de valeur, donc un pays sans enjeux économiques. Avec les découvertes annoncées de gaz et de pétrole, cette perception est en train de changer très vite – à tort ou à raison. Il nous faut donc plus que par le passé intégrer le risque de déstabilisation interne et externe dans nos réflexions et les actes que nous posons tous les jours.
La mesure agitée concernant le parrainage des candidats à l’élection présidentielle est très difficile à mettre en œuvre et pourrait vulnérabiliser davantage un système électoral qui a montré de nombreuses failles lors des dernières législatives. Si on n’y prend garde, cette mesure risque d’être une menace sérieuse sur la stabilité du pays.
Sur la base des explications données ici et là, je comprends qu’une fois officiellement actée, la mise en œuvre de la mesure sur le parrainage consistera à exiger que tout candidat à l’élection présidentielle inclut dans son dossier de candidature une liste de parrains (composée d’électeurs régulièrement inscrits sur les listes électorales et disposant donc de leurs cartes d’électeurs) dont le nombre doit au moins être égal à 1 % des électeurs inscrits, soit environ 65 000 parrains. Pour être valable, chaque liste devrait inclure au moins 2 000 parrains pour chacune des 14 régions du pays. Je comprends que pour chaque parrain, le candidat doit fournir les prénoms et nom, date et lieu de naissance, numéro de carte d’électeur, circonscription électorale et apposer sa signature.
Il faut se rendre compte qu’une liste complète de parrains nécessitera un peu plus de 2 000 pages (soit 4 rames de papier de 500 feuillets A4), à raison d’une trentaine de parrains par page ! Les risques d’erreurs sont innombrables, notamment en ce qui concerne la transcription de noms des parrains et des numéros de cartes d’électeurs. A cela s’ajoute un autre risque de non-conformité des signatures – entre celles apposées sur les listes et celles figurant sur les cartes d’électeurs. Plus de la moitié de la population du Sénégal ne sait ni lire ni écrire et peu d’entre nous (y compris les lettrés) ont des signatures stables. Quelle est donc la conséquence de la non-conformité des signatures des parrains ?
Il est dit qu’un électeur ne peut parrainer qu’un seul candidat. La question qu’on peut se poser est de savoir par quel moyen, on va vérifier qu’aucun des 65 000 parrains d’un candidat donné ne figure sur une liste présentée par un des autres candidats ? Que se passe-t-il si on découvre qu’un électeur a parrainé deux candidats ? Va-t-on invalider son parrainage pour les deux candidatures ? Et si un nombre plus ou moins important de citoyens décident volontairement et en toute connaissance de cause de parrainer tous les candidats ? On invalide toutes les candidatures bénéficiaires de tels parrainages avec le risque d’annuler purement et simplement l’élection présidentielle ?
Si l’instance chargée d’examiner les dossiers de candidatures déclare qu’une candidature donnée est recevable, est-ce que cela voudrait dire qu’on a pu examiner et valider tous les 65 000 parrainages reçus ? Je pense qu’il sera plus facile d’invalider une candidature sur la base d’une ou plusieurs erreurs sur la liste de parrainage plutôt que certifier la validité des informations fournies pour chacun des parrains présentés par l’un quelconque des candidats.
Il y a énormément d’autres risques qu’il serait fastidieux de discuter en détail ici. Je me contente de mentionner, entre autres, le risque d’infiltration malveillante de listes de parrains et donc de sabotage de candidatures, l’achat de consciences, l’intimidation de citoyens et les représailles contre les parrains de candidat donnés (y compris après les élections), un affaiblissement du principe du secret du vote. Il y a aussi le risque d’accentuation des clivages régionaux voire religieux, confrériques, ethniques, etc.- chacune des 14 régions pouvant barrer la route à un candidat en lui donnant un nombre insuffisamment de parrains et/ou en lui fournissant une liste de parrains truffée d’erreurs. On ne peut finir l’énumération des problèmes posés par le parrainage sans mentionner le risque de lancer la campagne électorale – la chasse aux parrains -plusieurs mois avant l’élection présidentielle.
Face à toutes ces difficultés et dangers, n’est-il pas plus sage de surseoir à l’idée de la généralisation du parrainage ? On pourrait même envisager de l’éliminer purement et simplement aussi bien pour les candidatures présentées par des partis politiques que pour les candidatures individuelles.
Mieux encore, je pense que les enjeux sont tels qu’il nous faut un consensus national fort pour des élections libres, inclusives, transparentes et apaisées. L’élection présidentielle de 2019 doit être conduite de telle manière qu’elle puisse baliser le terrain pour la mise en œuvre de mesures de renforcement de l’unité nationale et de blindage de la gouvernance du pays dans tous les domaines. La question de savoir si le pétrole sera une bénédiction ou malédiction pour le Sénégal se joue maintenant. Tout dépendra de notre capacité collective à éviter les nombreux pièges qui vont se présenter devant nous. L’élection présidentielle est un de ces pièges, un test majeur, hautement conséquentiel pour le futur du pays. Rien de ce qui concerne cette élection ne doit être pris à la légère.
Madiodio NIASSE
Citoyen préoccupé