CONTRIBUTION
Il y a 16 ans, lors des élections locales de 2002, l’actuel président de la République, ministre des Mines, de l’Energie et de l’Hydraulique à l’époque, avait défrayé la chronique, en décidant, urbi et orbi, de voter dans son fief, à Fatick, sans pièce d’identité. Foulant au pied les dispositions du Code électoral. Cet acte impensable pour un homme d’Etat avait heurté la conscience de nombreux observateurs et républicains. Mais, il nous renseigne, en partie, sur l’état d’esprit du président de l’Apr ou du moins sur sa conception de l’usage de la force dans le champ politique.
Le déploiement démesuré des forces de l’ordre à Saint-Louis avant la proclamation des résultats lors des élections locales de 2014 ; le recours à la justice (Cour d’appel de Saint-Louis) pour jouer les prolongations et valider l’élection tronquée de Mansour Faye ; l’irruption surprise de 1 213 bureaux de vote «fictifs» à la veille du référendum de 2016 afin de modifier la trajectoire de ladite consultation ; la privation des droits civiques de millions de citoyens sénégalais lors du scrutin faussé du 30 juillet 2017 suivant un processus d’empêchement parfaitement planifié et exécuté par les autorités administratives (rétention des cartes d’électeurs résultant d’une pagaille sciemment organisée), la modification du sens du scrutin dans la localité de Dakar à 2 heures du matin alors que toutes les tendances donnaient une avance nette et confortable au maire de Dakar (phénomène inédit des ordres de missions déversés par milliers aux Parcelles Assainies ) nous donnent d’ores et déjà un avant-goût du déroulement des élections présidentielles de 2019.
Il ne faut point se faire d’illusion : Macky Sall n’est ni un démocrate, ni un fervent défenseur de l’Etat de droit. A quelques encablures de 2019, sa détermination de briguer, vaille que vaille, un second mandat fait ressurgir le spectre d’une fraude électorale et avive les craintes d’une crise postélectorale au Sénégal. La sortie maladroite du ministre de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye (juge et partie d’un scrutin dont les dés seront pipés) révèle les intentions cachées du camp présidentiel de valider l’élection de Macky Sall dès le 1er tour, par le biais d’un passage en force (un scénario impossible au vu de la cartographie électorale, de l’émiettement des forces politiques et de la profonde déception d’une majorité de Sénégalais à l’égard du régime actuel). La multiplication des sorties du camp présidentiel sur le thème «Macky Sall sera élu dès le 1er tour» prouve que les éléments de langage sont relayés sans aucun discernement.
La neutralisation des corps intermédiaires, la multiplication des interdictions de manifester en violation totale de l’article 8 de de la Constitution, la répression brutale des mouvements sociaux, l’embastillement des opposants grâce au concours d’une partie de la justice aux ordres, la corruption de certaines élites, la mise sous tutelle de nombreux médias appelés communément «la presse du palais», le maintien de Badio Camara à la tête de la Cour suprême malgré la limite d’âge, les nominations et affectations suspectes de certains magistrats, le contrôle par le pouvoir exécutif de tous les corps de contrôle (non publication des rapports soumis avant toute diffusion, à la censure du Prince), l’assujettissement de la Cena dont la neutralité a été sérieusement altérée lors des législatives du 30 juillet 2017, l’immixtion de la Direction de l’Automatisation des fichiers dans le déroulement du scrutin au profit du régime en place, la partialité de certains préfets et gouverneurs, les retards considérables notés dans les bureaux de vote considérés comme des bastions de l’opposition préfigurent, de manière nette, les contours de la fraude à venir.
De fait, la nature du régime de Macky Sall fait penser étrangement à l’ouvrage intitulé «1984» de Georges Orwell qui peint un univers où l’équilibre des pouvoirs est bancal, et où l’Etat de droit est totalement inexistant, le tout dans un contexte de restriction sans précédent des libertés individuelles et collectives. La marque des Etats «totalitaires». En vérité, la démocratie sénégalaise, sous le magistère de Macky Sall, n’est ni plus ni moins, qu’une démocratie de papier. Il est illusoire de croire que les élections présidentielles seront libres, transparentes et démocratiques au Sénégal. Celui qui a privé des millions de citoyens sénégalais d’un droit fondamental, le droit de vote lors du scrutin du 30 juillet 2017, ne reculera devant rien pour se maintenir au pouvoir. C’est pourquoi, plus qu’une alerte, la sortie du magistrat Ibrahima Dème est une invite pour que tous les démocrates de ce pays, tous les mouvements de la société, toutes les forces progressistes, tous les républicains et tous les magistrats intègres épris de droit, de justice, et animés par la seule volonté de rendre la justice au nom du peuple sénégalais, soient unis dans un même mouvement pour éviter l’irréparable. Ce qui se joue en 2019, dépasse le stade d’une simple élection présidentielle. C’est le sort de la démocratie sénégalaise qui en en jeu, et au-delà la possibilité pour les citoyens sénégalais de choisir librement, et sans aucune entrave leurs gouvernants. Parce que le risque est énorme que les Sénégalais se réveillent le lendemain des présidentielles de 2019, avec la gueule de bois, du fait d’une énième forfaiture d’un régime en perdition, mais dont les capacités de fraude sont intactes.
Seybani SOUGOU
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NOTA BENE : Le soit disant système de parrainage est une grossière manœuvre de diversion (un leurre) ; l’objectif étant de focaliser l’attention des citoyens sénégalais sur ce thème, pour mieux préparer le «coup d’après».