Depuis le mardi 20 mars, Nicolas Sarkozy est en garde à vue, interrogé sur un possible financement de sa campagne de 2007 par le régime de Kadhafi.
Dans cette sombre affaire, une pièce à conviction revient : un carnet retrouvé en 2016, ayant appartenu à Chroukri Gahnem, ancien ministre du Pétrole. Ce dernier a été retrouvé noyé dans le Danube en 2012, laissant derrière lui de lourds secrets.
Ce dimanche 29 avril 2012 au matin, Choukri Ghanem quitte son domicile viennois plus tôt que d’habitude. Sa fille, avec qui il réside, ne s’aperçoit même pas de son départ. La veille, il s’était couché rapidement car « il ne se sentait pas très bien », assurera cette dernière quand elle sera interrogée par la police. À peine quelques heures plus tard, un passant retrouve le corps de l’ancien ministre libyen flottant dans le Danube, à côté de quais viennois où l’on vient souvent petit-déjeuner par ces premières matinées de printemps. Le cadavre – qui selon les autopsies est resté peu de temps dans l’eau – est vêtu d’un jean et d’une chemise blanche. Il n’a pas de papiers d’identité sur lui, seulement une carte de visite qui permettra rapidement de l’identifier. À 17h55 ce même jour, une dépêche annonce que Choukri Ghanem, 69 ans, est décédé chez lui, d’une crise cardiaque très certainement. Dans la soirée, l’information est rectifiée : l’homme est bien mort noyé. Aucune trace de violence extérieure n’est détectée. « Il est possible qu’il ait été pris d’un malaise et qu’il soit tombé à l’eau », suppose alors Roman Hashslinger, le porte-parole de la police de Vienne qui balaie rapidement la piste criminelle.
Mais cette hypothétique noyade laisse en suspens de nombreuses questions. Choukri Ghanem était connu de beaucoup de monde, et la plupart avaient de quoi lui en vouloir. Avant de s’exiler en Autriche – pays qu’il affectionne particulièrement –, il avait été l’une des grandes figures du régime dictatorial du colonel Kadhafi. Il a d’abord exercé, de 2003 à 2006, les fonctions de secrétaire général du Comité populaire général de la Jamahiriya arabe libyenne (c’est-à-dire chef du gouvernement), avant d’occuper le poste de ministre du Pétrole de 2006 à 2011. Il dirige alors la National Libyan Oil Corporation et se mêle à différentes affaires louches qui referont surface après sa démission. L’une d’elles, la plus connue en France, est celle des financements libyens qui implique Nicolas Sarkozy.
Le corps de Choukri Ghanem rapatrié à Tripoli quelques jours après son décès (AFP)
Le 29 avril 2007, exactement une semaine après le premier tour des présidentielles françaises, Choukri Ghanem fait le compte-rendu d’une réunion durant laquelle Bachir Saleh, directeur de cabinet de Muammar Kadhafi, affirme avoir transmis 1,5 millions d’euros à Nicolas Sarkozy. Une semaine plus tard, ce dernier deviendra Président de la République. Cette transaction est donc transcrite dans le carnet de Ghanem, qui renferme, dès ce jour, un secret d’État.
Exactement cinq ans plus tard, le 29 avril 2012 – entre les deux tours d’une nouvelle présidentielle où s’affrontent Hollande et Sarkozy –, le corps de l’ancien ministre du Pétrole flotte dans le fleuve de la ville verte. Un drôle de hasard de calendrier. La veille, Mediapart avait justement fait plusieurs révélations sur le sujet en publiant un « document officiel libyen » qui voulait prouver que le régime de Mouammar Kadhafi a bien décidé de financer la victorieuse campagne de Nicolas Sarkozy. On peut y lire que le régime en place avait choisi « d’appuyer la campagne électorale » du candidat de l’UMP pour un « montant de 50 millions d’euros ». Mais il faudra attendre septembre 2016 pour que le fameux petit carnet soit retrouvé. Un cahier de notes où sont répertoriés tous les transferts d’argent sale des affaires pétrolières de la Libye. Un document qui n’a pu que faire trembler celui qui avait quitté l’Élysée quatre ans plus tôt.
Les fantômes du passé
En parallèle de cette enquête, le parquet autrichien ferme le dossier Ghanem en juillet 2012 en concluant un décès par crise cardiaque puis noyade. Le corps avait, de toute manière, été rapidement enterré à Tripoli, laissant peu de marge de manoeuvre aux médecins légistes. Pourtant des mails envoyés par Chris Stevens, ambassadeur des États-Unis en Lybie, à Hillary Clinton, alors secrétaire d’État, laissent croire à une autre version de cette histoire : « Pas un seul des Libyens à qui j’ai parlé ne pense qu’il (Choukri Ghanem) ait pu se jeter dans le Danube, ou qu’il ait soudainement ressenti une douleur au cœur avant de glisser silencieusement dans la rivière », peut-on lire dans l’un d’eux, publié sur le site de Mediapart. C’est le fantôme de cet homme à la fin troublante qui plane sur l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, une nouvelle fois rattrapé par les mystérieux financements libyens.
Vanity Fair