CONTRIBUTION
Lors de nos récentes contributions concernant notre politique monétaire, nous disions que cette dernière a consisté, ces dernières années, à financer le déficit budgétaire de nos Etats par le biais du refinancement à la Bceao de titres d’états achetés par les banques en partie avec leurs liquidités excédentaires. Cette politique, dans le contexte d’un FCfa arrimé à l’euro et surévalué, a financé des déficits commerciaux qui nous ont fait perdre beaucoup de réserves de change que la Bceao est en train de reconstituer. Cette reconstitution l’oblige à réduire le volume de refinancement des titres détenus par les banques qui, en retour, ne peuvent pas renouveler certains titres d’Etats arrivés à échéance afin de reconstituer leur trésorerie propre. Il résulte de cette cascade de non renouvellement un marché des capitaux tendu où les Etats n’arrivent pas à lever les fonds nécessaires pour non seulement refinancer des dettes arrivées à échéance, mais aussi pour financer leurs déficits budgétaires courants. Ces déficits sont, par ailleurs, en ajustement, car ils ont financé des politiques de croissance soutenue par les investissements publics qui ont accéléré notre endettement et retardé la convergence macroéconomique qui pourrait nous permettre une politique monétaire commune sans arrimage sur l’euro. Il en découle, encore une fois, une nécessité de s’endetter à l’extérieur de l’union et malheureusement en devises, les investisseurs préférant nous prêter en devises au vu de notre régime de change fixe qui peut changer à tout moment par surprise.
C’est dans ce contexte qu’il faut situer les sorties sur le marché international en dollars et en euros du couple sénégalo-ivoirien, leaders de l’Uemoa, pour des montants exceptionnels et bien au-delà des exigences de financement de leurs déficits budgétaires. Ils l’ont fait pour venir en soutien aux réserves de la Bceao d’une part, mais aussi au marché régional incapable de refinancer, aux niveaux souhaités, les titres qui arriveront à échéance. Dans la mesure où nous ne sommes pas arrimés au dollar et que nos Etats ont, maintes fois, réaffirmé leur ancrage à l’euro via le trésor français, la levée de fonds directement en euros pour se substituer à un marché de francs Cfa qui, de fait, sont des euros, est à saluer. Il réduit le risque de change de notre portefeuille de dette si notre arrimage reste en l’état et diversifie la base de nos investisseurs.
De ce dernier point de vue, les autorités sénégalaises et ivoiriennes sont à féliciter, mais leur prochain challenge devra être d’attirer ces investisseurs dans le marché régional et en monnaie locale pour financer leurs économies. Cette monnaie locale ne peut pas être le franc Cfa en l’état, car les investisseurs n’auraient pas intérêt à prendre le risque sur un FCfa figé qui peut être dévalué par surprise. Après avoir corrigé les erreurs de la Bceao qui, pour reconstituer ses réserves de change, est dans une hibernation salutaire puisqu’étant à la remorque du rythme des ajustements budgétaires et des positions de liquidité des banques dans sa politique de refinancement, il faudra lui donner une autonomie d’objectif sur un FCfa réformé. Cela lui permettra de reprendre du service avec une politique monétaire active et permettre à la base d’investisseurs non-résidents récemment découverts de venir directement dans le marché local. Ceci ne devrait pas se faire sans une réforme de la gouvernance de la Bceao avec un collège de gouverneurs nationaux. A défaut, le Sénégal, futur pays pétrolier et gazier et une démocratie stable, n’aura de choix que la souveraineté totale s’il devait avoir le courage de se développer, ayant déjà les cartes en main.
Cette souveraineté totale est préférable à l’endettement extérieur et en euros, car notre capacité d’endettement est devenue plus grande avec les ressources pétrolières en perspective et les investisseurs seront prompts à nous prêter en euros sur le long terme (30 ans) pour davantage nous ferrer à coup de milliards d’euros par émission. Les souscriptions de 10 milliards d’euros lors de notre récente sortie, le prouvent. Ces ressources sortiront du pays pour l’Europe si nous ne décrochons pas de l’euro. Elles sortiront soit par le biais d’entreprises installées dans notre marché ou par les importations. Il ne faut donc pas s’étonner que tout le monde frappe à la porte. Notre salut est dans une réforme monétaire pour avoir la flexibilité d’accompagner notre développement, sinon le peuple sera encore une fois laissé en rade.
Dr Abdourahmane SARR
Président CEFDEL/MRLD