CONTRIBUTION
« Le manque de décision est à la prudence ce que l’hypocrisie est à la vertu[1]. »
Le Sénégal des alternances est tombé de charybde en scylla. Je le caractérise ainsi d’ailleurs, dans la cinquième partie mon dernier ouvrage intitulé « Le leadership politique en Afrique en question ou quels leaders pour une Afrique qui veut avancer ? », comme suit : « Le Sénégal est un pays des paradoxes, des inégalités sociales inacceptables, de l’impunité discriminatoire, de la foire aux scandales et dans lequel des privilèges exorbitants sont accordés à une minorité, etc.[2] » En effet, lorsque l’on vit dans un tel pays où tout est maintenant remis à l’envers, naturellement, dès lors, on ne peut ni ne doit plus s’étonner ni même être surpris par certaines absurdités qui s’y passent. Bien au contraire, il faut, plutôt, s’attendre à tout et, évidemment, dans le sens négatif, car tout y est fait à la carte.
Oui, présentement, au Sénégal, les droits inaliénables et imprescriptibles des citoyens, les lois et règlements de la République, la Justice, l’égalité sociale, les codes dans leur globalité, etc. sont, délibérément, violés à longueur de journée, sinon, appliqués selon la tête du citoyen A ou b. Enfin, pour tout dire, notre Loi fondamentale, c’est-à-dire notre Constitution, est devenue une simple pâte à modeler entre les mains du Président de la République. Voilà, ce qui explique en partie, cette décision insensée très grave et irréfléchie, ci-après, prise, au pied levé, par ce ministre : « Le gouvernement du Sénégal a décidé d’interdire prochainement la circulation interurbaine entre 22 heures et 6 heures, pour lutter contre la récurrence des accidents de circulation la nuit, a annoncé, jeudi, à Kaolack (centre), Abdoulaye Daouda Diallo.[3] » Alors, pour lui, c’est comme si les accidents ne se produisaient que la nuit à partir ce cette heure-là ? Est-ce que le ministre, au moment où il prenait cette décision, était, réellement, dans tous ses états ? Puisque celle-ci est une violation flagrante, de fait, de notre constitution qui garantit les libertés des citoyens dès son Préambule, et parmi lesquelles celle de vaquer à ses besoins, librement et à toute heure, en temps de paix, sans aucune restriction.
Aujourd’hui, au Sénégal, la sécurité publique d’ordre général est, quasiment, transférée à la charge des populations, c’est une privatisation rampante, de fait du service public, qui ne dit pas son nom.
L’Etat du Sénégal, cependant, selon la constitution a l’obligation d’assurer la sécurité publique aux citoyens, comme du reste, leurs biens sur l’étendue du territoire national. Cette charge, importante, qui fait partie des missions principales de l’Etat, lui incombe impérativement quoi qu’il advienne. Par conséquent, ce dernier doit, nécessairement et conformément à ses obligations régaliennes, s’appuyer, globalement, sur les ressources matérielles et humaines mises à sa disposition aux fins de s’acquitter, convenablement de cette tâche primordiale, à savoir assurer la sécurité publique des populations sur l’ensemble du territoire national. Cela dit, Le gouvernement doit prendre toutes les dispositions utiles en conjuguant, judicieusement et rationnellement, tous les moyens mis à sa disposition pour y arriver. C’est-à-dire combiner les moyens matériels et financiers à sa disposition avec les forces de sécurité aptes et nécessaires et les affecter 24h sur 24 h, sans interruption aucune, afin d’assurer, au mieux possible, la sécurité des populations. La situation sécuritaire, au plan national, doit être placée parmi les priorités et urgences de premier ordre du pays. C’est une exigence, à plus d’un titre, face à la dégénérescence continue de l’état de la sécurité publique qui prévaut, actuellement, à tous les niveaux dans le pays, donc bien au-delà des seuls accidents mortels de la circulation.
Alors, de grâce, surtout que personne ne vienne nous rétorquer, comme d’habitude, que l’Etat ne peut pas mettre derrière chaque citoyen, un policier. Non, il n’est point question de cela ! Mais, quand bien même, la sécurité des populations devrait être assurée et ceci, dans tous les cas, par l’Etat. Et, sans aucun doute, les observateurs attentifs ont dû remarquer et bien noter cette forte propension de l’Etat à se décharger, progressivement, de certaines de ses charges publiques obligatoires sur le dos des contribuables, en privatisant, sans le dire, tout ce qui fut avant public et gratuit pour les citoyens qui, normalement, est intégré dans le budget de l’Etat.
Bizarrement, un Général de la Gendarmerie qui voulait, certainement, défendre ses frères d’arme, avait récemment déclaré que les forces de sécurité veillent nuitamment sur les populations pendant leur sommeil. Ces propos sont, totalement inexacts et infondés. Et, je m’inscris en faux contre de telles allégations qui ne sont, rien d’autre, sinon de tirer la couverture sur soi. Je suis, d’ailleurs, convaincu que les populations qui vivent dans l’insécurité permanente et souffrent le martyre ne sont point du même avis que ce Général qui, certainement, ne devrait pas savoir ce que veut dire, insécurité. La vérité toute crue, est tout-à-fait autre. Il est, incontestable et démontré, au vu et au su de tous, qu’effectivement, les forces de sécurité ne veillent que sur les autorités politiques et administratives en place et ne sont qu’à leur service nuit et jour. Et, en dehors de ces autorités, ces forces de sécurité ne sont visibles, publiquement, nulle part, même le jour, à plus forte raison encore la nuit, sinon que peu alors à Dakar ville. En tout cas, les populations qui vivent, depuis fort longtemps, dans cette situation d’insécurité permanente, sans aucune protection, ne me démentiront pas, car leurs quartiers populaires, comme du reste, les autres localités du pays, sont dépourvus de forces de sécurité suffisantes pour les protéger contre les délinquants qui les assaillent, de jour comme de nuit.
L’allégation, de l’insuffisance des forces de sécurité pour couvrir tout le pays et assurer une parfaite sécurité aux populations, est un faux alibi. En vérité, c’est bien un manque d’autorité, de courage et de volonté politique de l’Etat.
Pour étayer cela, regardez combien nos autorités politiques et administratives sont, par contre, si bien protégées, pour ne pas dire blindées ? Et cependant, sans qu’aucune menace physique n’apparente ne pèse sur leurs personnes. En effet, c’est comme si la sécurité du Président de la République et voire même celle de ses ministres vaut beaucoup plus que celle de tous les autres Sénégalais réunis. Car, si l’on tient compte de tous les moyens déployés, en tout genre en plus d’une armada, pour leur sécurité personnelle, par rapport à ceux, si dérisoires, affectés à tout le reste du peuple Sénégalais, il y a, quand même là, un paradoxe. Nous voyons tous, comme témoins, qu’au cours des déplacements des autorités de la république et, quelle que soit la distance, l’Etat trouve toujours, assez de forces de sécurité pour jalonner tout le long du trajet, à faire. Mais pourquoi donc, l’Etat ne peut-il pas se décider à prendre le taureau par les cornes, en injectant les moyens nécessaires et suffisants dans la sécurité routière ? Surtout, lorsque l’Etat sait, parfaitement, ce que cette absence de sécurité nous coûte, actuellement, en pertes de vies humaines, à cause des accidents récurrents. Est-il, concevable, pour un Etat, suffisamment responsable et préoccupé par la sécurité de ses populations, devant une telle fréquence d’accidents mortels sur nos routes avec leurs conséquences en pertes de vies humaines incalculables, de ne pas prendre des mesures idoines, afin de pouvoir sur chaque destination du pays, une patrouille de gendarmerie ou des gendarmes postés par endroits le long des routes, afin de veiller au grain ? Surtout, quand on sait bien que les chauffards ne respectent pas, du tout, le code de la route, mais par contre, ils redoutent et craignent bien la présence physique des gendarmes sur les routes. Et, ils en prennent bien en compte, dans leur comportement sur les routes. Alors, si c’est, bien, le prix à payer, le jeu en vaut bien la chandelle.
Alors, face à cette situation si grosse de danger, le gouvernement au lieu de contraindre avec fermeté et sanctionner avec célérité les délinquants hors-la-loi ainsi que les chauffards récidivistes qui violent, délibérément, les règles les plus élémentaires du code de la route, non, c’est rien de tout cela. Et, voici le ministre qui préfère violer, plutôt, les droits des citoyens, parce que, c’est là où le maillon est le plus faible et les risques, moi pour lui. En effet, ce comportement du peuple sénégalais montre, en filigrane, son manque de culture de protestation et revendication contre l’injustice qui lui est faite, comme du reste, lorsque ses droits les plus légitimes sont violés. Voilà, c’est à cause de cette passivité que le gouvernement se permet, sans aucune crainte, de violer, régulièrement et de manière flagrante, la constitution, grignoter, sans risque, les droits des citoyens que, cependant, notre Loi fondamentale leur garantit et de transformer le service public en privé, etc.
On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, sinon, c’est faire de l’hypocrisie et l’Etat est à cette posture à propos de la sécurité publique.
Visiblement, dans les faits, l’Etat craint plus de ne pas mécontenter ce syndicaliste des transporteurs, que le peuple sénégalais, victime des accidents. Ceci, pour la simple et bonne raison, parce que notre peuple n’est pas réactif face aux agressions que lui fait son gouvernement. En effet, plus d’une fois, ce syndicaliste a obligé le gouvernement à renoncer à des décisions relatives au transport qu’il entendait prendre. Mais, comment, un simple syndicaliste peut-il parvenir à s’opposer, si facilement, à une décision prise par l’Etat, après que ce dernier a murement réfléchi et, de surcroît, celle est en faveur de l’intérêt général du pays ? Précisément, cette mesure va dans le sens de d’amoindrir, considérablement, à défaut d’éradication, le nombre effarent des accidents mortels de la route qui endeuillent, constamment notre pays. Et pourtant, ce syndicaliste, tant craint, est incapable d’obliger ses membres à observer et respecter, scrupuleusement, le code de la route ainsi que celui des vies humaines qu’ils transportent. Mais pour qui se prend-il ce syndicaliste « criminel » en puissance au point de s’opposer publiquement à la solution d’une grave situation catastrophique qui s’éternise et perdure.
Par ailleurs, pourquoi l’Etat maintient-il une bonne partie du parc automobile de transport public en commun qui est dans un état de vieillesse insoutenable ? Pourquoi, malgré tout, l’Etat ferme les yeux sur une telle situation au su et au vu de tous ? Pourquoi, l’Etat autorise t-il, jusqu’à présent, ces carcasses branlantes propres à la casse, à transporter encore des personnes, alors qu’elles font partie des sources et causes des nombreux accidents ?
Il est incontestable que ce laxisme de l’Etat, envers toutes ces dérives et anomalies, sans qu’il ne prenne aucune sanction ni restriction pour y remédier, est synonyme d’une complicité qui engage pleinement, sa responsabilité dans les accidents récurrents qui se produisent chez nous. Ainsi, comme disait l’autre : « Le laxisme, c’est le défaut préféré des gens qui se croient absolument responsables de rien. »
Assurément, l’attitude de l’Etat, dans le cas précis de la circulation routière, est une démission totale de sa part et, rien de moins. Ensuite, le fait que l’Etat tolère un parc de véhicules de transport en commun de personnes aussi obsolète et inapte, démontre son manque d’autorité lamentable et son laxisme notoire. Et, par ailleurs, le fait encore de se plier, aux injonctions des transporteurs cupides qui ne sont mus, en réalité, que par leurs gains, est une défaite. Egalement, l’attitude de l’Etat, face au refus d’accepter tout changement en vue de trouver une juste et durable solution aux nombreux accidents qui occasionnent la perte des nombreuses vies humaines que les transporteurs provoquent, sans coup férir, prouve qu’il ne prend pas sérieusement, en charge les préoccupations essentielles du peuple sénégalais. Voilà pourquoi on peut se demander si, réellement, nous avons, au Sénégal, un Etat, tout court, à plus forte raison celui de droit et responsable devant son peuple?
On ne fait pas du neuf avec du vieux
Aujourd’hui, nous vivons dans un monde de progrès scientifiques extraordinaires avec les immenses possibilités grâce au numérique. Par conséquent, notre pays ne peut et ne devrait rester cloitrer dans son archaïsme en tout presque, comme si nous refusions de moderniser nos outils de travail, nos usages ainsi que notre environnement immédiat, en nous appuyant, comme tout le monde, sur les progrès de la science, particulièrement, au niveau des moyens de transport modernes et de la circulation des personnes. Ainsi, nous avons l’obligation de nous adapter en nous ajustant par rapport aux moyens modernes de contrôle de la circulation à l’aide de radars, feux de signalisation, etc., en plus de la présence physique permanente de forces de sécurité professionnelles, qui maîtrisent l’art du métier. Ce qui, de fait, exclut l’amateurisme de ces ASP. Ceux-là qui ne sont que des miliciens jetés, sournoisement, pour des raisons obscures dans la circulation, qu’ils perturbent plus que ne la régulent.
Mandiaye GAYE
Dakar, le 2 mars 2018
[1] Pensées et maximes (1867) Émile de Girardin ;
[2] Le leadership politique en question en Afrique ou quels leaders pour une Afrique qui veut avancer ? page 139… Edilivre mars 2017 ISBN : 978-2-414-01215-2
[3] http://www.aps.sn/actualites/societe/article/abdoulaye-daouda-diallo-annonce-l-interdiction-de-la-circulation-inter-urbaine-nocturne