Des ministres de l’Intérieur muets comme des tombes, le Sénégal en a connus.
Bavards comme des perroquets, il en a malheureusement eus aussi. La dernière incartade d’Aly Ngouille Ndiaye est à ranger dans les rayons d’un musée où cohabitent bonnes et mauvaises postures républicaines.
On le sait depuis longtemps, le ministère de l’Intérieur est le plus stratégique, le plus transversal dans l’organigramme gouvernemental. Mais, également, le plus exposé aux peaux de banane. D’où, en contrepartie de ces contraintes, nombre de privilèges dans la préséance du protocole d’Etat mais également d’avantages matériels (fonds secrets) et en nature (aide de camp, escorte, etc.) Des espèces et du bling-bling qui ont souvent valu à leurs bénéficiaires certains comportements assimilables à des dérapages. Le dernier exemple en date, celui d’Aly Ngouille Ndiaye, entre en droite ligne de cette mauvaise tendance. Et tout indique que l’actuel locataire de la Place Washington n’a pas appris des erreurs de certains de ses prédécesseurs. «J’ai la ferme intention de travailler pour que le Président Macky Sall gagne, au premier tour, l’élection présidentielle du 24 février 2019. Pour cela, d’abord, je ferai inscrire tous ceux qui veulent voter pour Macky Sall. Je m’emploierai pour qu’ils récupèrent leur carte d’électeur et je les aiderai à aller voter pour Macky Sall. Et quand je le dis, vous pouvez me croire. Car même si je n’ai pas duré dans le champ politique, je ne m’engage jamais dans le vide». Venant du maire de Linguère, une telle déclaration n’aurait ameuté personne. Du responsable de l’Apr, encore moins. A la limite, on la tolérerait de n’importe quel autre ministre. Sauf qu’Aly Ngouille Ndiaye n’est pas «n’importe quel ministre de la République». Il n’est pas un Tartempion dans l’attelage. Il est le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique dont l’une des prérogatives, et non des moindres, est l’organisation matérielle des élections. Ce qui suppose neutralité, équité et équidistance. L’animateur de l’émission, a beau chercher à voler à son secours, mais, Pape Alé Niang est à la peine pour dédouaner Aly Ngouille Ndiaye. Ceux qui ont pu regarder et la bande-annonce et l’émission, elle-même, savent que c’est le ministre de l’Intérieur qui était sur le plateau de 2sTv. Tout ce que les juristes administrativistes appellent les liens non détachables de la fonction étaient là, visibles, comme la pleine lune dans un ciel dégagé : escorte officielle jusqu’au parvis du siège de la 2s et un aide de camp payé sur les deniers publics qui lui amène son cartable sur le plateau. L’intéressé ne le nie pas, d’ailleurs. Hier, en marge de la cérémonie de remise du rapport de la Commission de concertation, Aly Ngouille Ndiaye, sans remords ni trémolo dans la voix, a, droit dans ses bottes, dit à qui voulait l’entendre qu’il ne retire aucune virgule de ce qu’il a déclaré.
Mauvaise tradition
Si Abdoulaye Daouda Diallo s’est distingué par une discrétion sur laquelle surfent encore ses adversaires politiques au sein de l’Apr qui l’ont interprétée comme du mépris vis-à-vis de ses militants de Podor, certains de ses prédécesseurs se sont illustrés par des effets de manche ou attitudes en déphasage avec leur rang. Le 4 février 2010, piqué par on ne sait quelle mouche, le ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur qu’était Bécaye Diop attire l’attention sur lui par un discours aux antipodes de la tenue et de la retenue qui étaient attendues de lui. C’était lors de la cérémonie officielle du Grand Magal de Touba. De l’avis du ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur de Wade, qu’il représentait en conduisant une forte délégation gouvernementale, «la confrérie mouride n’a pas d’équivalent». Ce n’était pas tout ! «Le matin, avant de venir ici, j’ai fait l’aumône comme vous (le khalife, Ndlr) me l’avez recommandé dans le rêve. Ensuite, nous avons fait un accident. Tout de suite, lorsque j’ai appelé pour m’enquérir des nouvelles de la victime, on m’a dit qu’elle n’est pas morte», ajoute-t-il. Commentaire piquant de Bécaye : «Donc, Touba, affaire-bi fi la» (c’est Touba la référence) dit-il.
Mais, le maire de Kolda n’en était pas à son premier dérapage. Le 28 janvier 2010, en effet, à Sédhiou, Bécaye Diop avait déclaré qu’il «aurait laissé tirer les policiers sur les élèves en grève lors de leurs manifestations s’ils n’étaient pas de la localité». Cette manifestation avait entraîné des actes de vandalisme perpétrés contre les locaux de la gouvernance durant lesquels un véhicule a été saccagé, les portes et fenêtres endommagées et les climatiseurs du rez-de-chaussée incendiés.
Une décennie et demie plus tôt, c’est le ministre de l’Intérieur de l’époque, Madieng Khary Dieng, qui suscite la polémique. Le 15 mai 1993, le Sénégal est au bord du précipice. Ce jour, le juge constitutionnel, Babacar Sèye, est, selon l’arrêt qui sera rendu par la Cour d’assises, assassiné sur la Corniche vers les coups de 15 heures. Vers 18h, alors que l’enquête de police venait, à peine, de démarrer, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Madieng Khary Dieng, présente ce qui devait être sous scellés, c’est-à-dire les balles du crime, au président de la République. Le tout, dans un mouchoir ordinaire et devant les caméras de la télévision nationale. Ce n’était pas l’ère du tout internet avec les réseaux sociaux. C’est à 20 heures que l’opinion, médusée, voit les images à la Rts. Avec, en filigrane, un doigt pointé sur Me Wade et ses lieutenants qui seront mis aux arrêts quelques heures plus tard.
Ibrahima ANNE