La charge de faire les provisions revient généralement à la femme dans les ménages sénégalais.
Cependant, la donne commence à changer. Pour diverses raisons, et par élégance, des hommes font maintenant le panier. Malgré les préjugées, ils sont aujourd’hui nombreux ces chefs de famille qui cassent ces codes de la société pour bien garnir le frigo.
Un vent glacial accompagne nos petits pas en direction la plage de Rufisque. Les vagues, en toute complicité, balayaient doucement le rivage. Nombreux sont les mareyeurs déjà pointés sur les lieux attendant le retour des pêcheurs. L’attente dans la brise devient un fort moment d’échanges entre acteurs. Par petits groupes, on discute de problèmes de société, de potins, etc. Soudain, ces conciliabules sont brusquement interrompus par l’arrivée tant entendue d’une pirogue. Les enfants accourent en premiers, suivis par une foule cosmopolite qui cherche à bien se positionner quand les prises seront partagées.
Le débarquement s’opère très rapidement. Sur le quai, toute une chaîne intervient pour servir les clients venus acheter en détails. Parmi ces derniers, un homme attire particulièrement notre attention avec un accoutrement qui n’est pas adapté au lieu ; veste à la main, chemise blanche assortie d’une cravate, l’air fatigué, Mamadou semble ne guère se soucier de toutes les observations de ce petit monde trouvé sur la grève. Il a affronté le vent, bravé des obstacles pour s’approvisionner en bon poisson pour son épouse. «C’est un plaisir de venir acheter moi-même le poisson pour madame. Contrairement à elle qui fait des économies, moi je dépense sans compter pour offrir le meilleur à ma famille», confie-t-il.
Amara Ndiaye, un homme rencontré au marché de Rufisque, plus précisément chez une vendeuse de poissons avec son sachet bien garni en légumes, explique le plaisir qu’il a de faire les courses pour sa famille : «J’éprouve énormément de plaisir à faire le panier. J’ai vécu huit ans aux Etats-Unis et j’ai pris l’habitude de faire les courses». Il souligne que sa femme est trop occupée à la maison et que c’est pour lui un moyen de l’aider. Interpelé sur la question des pesanteurs sociaux notamment du fameux «quand dira-t-on ?», Amara soutient que la vie de couple est très intime et tout ce que l’homme fait pour sa femme ne regarde en rien les autres.
Non loin de lui, on aperçoit un autre homme d’un âge mûr, très relaxe, vêtu d’un t-shirt, casquette vissée sur la tête. Djiby Lô affirme qu’il ne vient pas au marché très souvent. Et, à l’instar de Amara, Djiby ne se soucie guère des préjugés. «Il n’y a rien de mal à faire le panier pour sa femme. Mon épouse le mérite bien car elle fait de son mieux pour me faire plaisir», déclare notre interlocuteur. Avant de poursuivre : «Malheureusement, je n’ai pas le temps, à cause de mon travail. Sinon, j’allais perpétuer ce geste tous les jours». Il signale qu’il ne fait pas partie de ces hommes orgueilleux qui boudent ces petits plaisirs qui touchent énormément les femmes en plus de connaître les marchés (tendances) du pays. «Je ramène les légumes à la maison. Et devant toute la famille, je remets le sachet de provisions à madame», dit-il.
Un tour chez le vendeur de viande nous met devant une scène assez romantique. Un couple de jeunes mariés est venu faire le marché. Tout en sourire, Amadou Diagne, le mari, affirme que c’est l’effet de l’amour qui le pousse dans ce lieu. «Je suis très amoureux d’elle et je n’hésite pas une seule minute à l’accompagner au marché. C’est aussi un moment de plaisir. Souvent, on prend beaucoup de temps pour débattre sur les provisions à acheter et les plats à cuisiner durant la semaine», dit-il. «Parce que nous vivons seuls dans notre appartement et le dimanche on cuisine la nourriture pour toute la semaine qu’on met dans le frigo», renchérit M. Diagne. Et pourtant, célibataire et tellement orgueilleux, Amadou Diagne, qui est prêt aujourd’hui à faire le tour des marchés de la capitale pour les yeux de sa dulcinée, ne pensait pas un seul instant faire les courses pour sa femme. Lui et son épouse se disent libres de vivre leur ménage comme ils l’entendent et ne donnent pas l’occasion à un tiers de s’immiscer dans leur vie de couple.
Point de corvée
Si nos précédents interlocuteurs font le panier par plaisir, cela n’est pas le cas de cet homme rencontré au marché de Keur Mbaye Fall. Ce monsieur, qui préfère garder l’anonymat, soutient qu’aller au marché est une obligation pour lui. Parce que la mobilité de sa femme est réduite. Son épouse vit avec un handicap, mais en la choisissant, il avait conscience que de nombreuses tâches ménagères lui reviendraient. Toutefois, il est loin de regretter cette situation. Au contraire, il se plait de ravir sa bien-aimée. «Venir au marché n’est pas la seule chose que je fais. A la maison, j’accompli également d’autres tâches généralement dévolues à la femme dans la société. Et j’aime bien ça. Cela fait partie de mon quotidien. Même si madame ne vivait pas avec un handicap, cela ne m’aurait dérangé nullement de lui venir en aide. Elle est ma douce moitié», dit-il.
Cependant, tout le monde ne voit pas cette nouvelle tendance dans l’élégance sénégalaise de la même manière. Le vieux Moctar, encore très conservateur, estime que l’homme épouse une femme pour, entre autres, qu’elle s’occupe de la maison. Pas le contraire. Mais, Ablaye, un autre homme âgé, a un avis diffèrent. «La vie a tellement changé. Pratiquement toutes les femmes vont au travail maintenant, contrairement aux précédentes époques. Ainsi, il faut s’adapter à cette nouvelle façon de vivre. Le mari doit comprendre qu’épauler son conjoint dans les tâches de maison devient une nécessité en plus d’agrémenter la vie de couple», précise-t-il.
En milieu urbain, l’arrivée en force des enseignes au Sénégal qu’entraîne l’émergence d’une classe moyenne qui a un pouvoir d’achat fait qu’aujourd’hui les courses sont devenus un plaisir de plus en plus partagés dans les ménages. Il n’est, en effet, pas rare de croiser des hommes pousser des chariots dans les allées des supermarchés qui pullulent dans les quartiers dakarois. Ainsi, loin d’être une corvée pour les femmes, faire le panier semble devenir un grand moment de plaisir pour les hommes.
Bineta BA
(Stagiaire)