Chaque année, 50 détenus décèdent dans les prisons sénégalaises.
Rebeuss et le Pavillon spécial polarisent le plus grand nombre de morts en milieu carcéral. Nombre de ces cas sont étouffés et gérés dans la plus grande discrétion, comme on le constate avec les récentes pertes en vies humaines derrière les barreaux.
Le détenu Balla Basse vient de perdre la vie à l’hôpital Aristide Le Dantec, ce lundi 19 février 2018. Agé de 52 ans, il était en détention provisoire à la Maison d’arrêt de Rebeuss depuis deux mois, en attendant son procès, devant le Tribunal de grande instance (Tgi) de Dakar qui avait fait l’objet d’un renvoi. Une semaine auparavant, lundi 12 février, un autre détenu du nom de Billie est décédé à Rebeuss. Géré dans la plus grande discrétion, ce cas a été étouffé en haut lieu, sans que la presse spécialisée dans les faits divers ne s’en aperçoive. Ces deux exemples surviennent seulement quelques semaines après la mort de Kandé Traoré au Pavillon spécial, des suites d’une maladie, lundi 6 février, vers 11 heures. Marié et demeurant au quartier Korosma de Keur Massar, il purgeait une peine de 10 ans et allait recouvrer la liberté dans moins d’un an. Une mort qui avait suscité l’indignation de l’Association pour le soutien et la réinsertion des détenus (Asred) qui avait dénoncé la «négligence coupable des autorités pénitentiaires qui a conduit à cette mort regrettable». Lundi est devenu jour macabre chez les détenus, car, comme on le constate, c’est le seul jour où les cas de décès en prison sont notés. La recrudescence des morts en milieu carcéral, ces derniers temps, reste alarmante et personne ne s’en émeuve. Souvent, leurs familles ne sont pas édifiées sur les circonstances de ces décès en cascade. En moyenne, 50 détenus perdent la vie derrière les barreaux, comme cela ressort des rapports de la Direction de l’administration pénitentiaire (Dap) de ces dernières années consultés par WalfQuotidien. Rien que le dernier recensement fait état de 163 morts, ces cinq dernières années.
Rebeuss et Pavillon spécial remportent la palme
Rebeuss est en passe de devenir la prison où l’on enregistre le plus grand nombre de décès en milieu carcéral. La mutinerie du 20 septembre 2016 a coûté la vie à Ibrahima Mbow Fall, fusillé lors des affrontements entre gardes et prisonniers. Un cas resté impuni car, malgré la promesse d’une enquête annoncée par le procureur de la République de Dakar, Serigne Bassirou Guèye, les circonstances de ce décès d’un détenu innocent (il attendait son procès pour recel) ne sont toujours pas élucidées. On se souvient du jeune Cheikh Maleyni Sané (de la chambre 09), décédé dans les locaux de la détention, dans la nuit du samedi 14 au dimanche 15 décembre 2013. Cette «mort par strangulation», selon le rapport d’autopsie, avait conduit à l’arrestation de deux gardes pénitentiaires et de trois détenus voisins de chambre de la victime. On se souvient, comme si c’était hier, que c’est dans cet établissement pénitentiaire, dirigé par l’inspecteur Agnès Ndiogoye, qu’Alioune Abatalib Samb alias Ino avait perdu la vie, en 2005, des suites d’une «insuffisance rénale». A Rebeuss toujours, on garde en mémoire le décès de nombreux détenus passés sous silence : Vieux Diambè Diop (68 ans, mort en 2014), Nabi Rassoul (décédé en 2015 à la chambre 45), Yandé Diop, Mor Fall, Amath Bâ et d’autres encore.
50 décès par an
Au Pavillon spécial, quatre détenus y ont perdu la vie ces quatre mois, par «manque de prise en charge». Déjà en décembre 2009, trois détenus (Ibrahima Ndiaye, Idrissa Diandy et Idrissa Kanté) y sont morts à l’intervalle de deux semaines. Ils provenaient de Rebeuss, du Camp pénal de Liberté 6 et de la Maison d’arrêt et de correction de Foundiougne. On ne sait pas de quelle maladie ils sont morts, mais on sait juste qu’ils étaient mal-en-point lorsqu’ils étaient évacués au Pavillon spécial. Le Camp pénal de Liberté 6 a fait parler de lui en août 2017, avec la mort d’Amath Bâ inscrite sur le compte d’une «négligence médicale». Pis, plusieurs prisonniers incarcérés dans ces deux prisons sont contraints d’acheter leurs propres ordonnances, alors que cela incombe à l’Etat du Sénégal. Selon nos informations, le détenu S. Guèye risque de perdre l’usage de la vue. Curieusement, cela fait 4 ans que l’Administration pénitentiaire n’a pas publié son rapport annuel qui renseigne sur le nombre de décès par an, l’effectif carcéral, les évasions, entre autres. Est-ce une attitude délibérée pour masquer les chiffres effarants des décès en milieu carcéral ?
Pape NDIAYE