Dans The New York Times Magazine, le journaliste israélien Ronen Bergman raconte de multiples tentatives manquées d’assassinat du leader palestinien, qui ont bien failli tourner au désastre.
Le chef d’état-major de l’armée de l’air, David Ivry, hésite. Il a des doutes sur les informations du Mossad. Il ne voit pas pourquoi le chef de l’OLP se rendrait en Égypte, qui plus est à bord d’un avion privé. “Négatif”, finit-il par répondre au pilote leader, malgré l’ordre formel qui lui a été donné par le chef d’état-major des forces de défense israéliennes Rafael Eitan et le feu vert du ministre de la Défense Ariel Sharon.
Puis, à 17 h 23, près d’une heure après le décollage des avions israéliens, il s’avère finalement que l’homme à bord de l’appareil de transport est en réalité Fathi Arafat, le frère de Yasser. Pédiatre et fondateur du Croissant-Rouge palestinien, il emmène avec lui 30 enfants, survivants du massacre de Sabra et Chatila à Beyrouth, qui doivent recevoir un traitement médical au Caire. David Ivry donne ordre au pilote de revenir à sa base.
Cette histoire d’une catastrophe évitée d’un rien n’est qu’un exemple des nombreuses tentatives israéliennes pour éliminer Yasser Arafat, relatées dans une longue enquête du New York Times Magazine. Pour le journaliste israélien Ronen Bergman, auteur de l’article, elle illustre le dilemme auquel ont été confrontées les autorités israéliennes durant des décennies, du fait de la tension “entre les principes fondamentaux de la démocratie et l’instinct d’auto-défense d’un pays”.
Ronen Bergman explique avoir interviewé des centaines de personnes dans les secteurs de la défense et du renseignement israéliens et étudié des milliers de documents classifiés qui “révèlent une histoire cachée, surprenante même au regard de la réputation de férocité déjà attachée à Israël”. D’après lui :
Depuis la Seconde Guerre mondiale, Israël a eu davantage recours aux meurtres et aux assassinats ciblés que tout autre pays occidental, mettant souvent en danger les vies de civils.”
Aucune cible n’a échappé aussi souvent aux services secrets israéliens qu’Arafat, poursuit le journaliste. À partir de la fin des années 1960, de nombreuses tentatives ont été menées pour l’assassiner, toujours sans succès. Au contraire, les échecs successifs ont contribué à accroître la popularité du leader de l’OLP.
Des plans très risqués
Les efforts israéliens ont été particulièrement intenses sous la houlette d’Ariel Sharon. L’ancien général, nommé en août 1981 au ministère de la Défense par Menahem Begin, avait fait de l’élimination d’Arafat une priorité. Une force d’intervention, sous le nom de code Salt Fish (“poisson salé”), était chargée de l’opération, censée porter un coup décisif à l’OLP alors même que Tsahal [armée israélienne] envahissait le Liban, en juin 1982, pour en chasser l’organisation palestinienne.
L’article du New York Times Magazine raconte ainsi comment l’équipe de Salt Fish a décidé de suivre le journaliste de gauche Uri Avnery, qui devait interviewer Arafat à Beyrouth le 3 juillet 1982, dans le but de tuer le leader de l’OLP. Et ce malgré les risques pour le journaliste et les deux collègues qui l’accompagnaient, un reporter et un photographe. Cependant, les mesures prises par l’entourage d’Arafat ont fait échouer ce plan. Les hommes de Salt Fish ont perdu la trace de leur cible dans les ruelles de Beyrouth-Sud.
Le 4 août suivant, poursuit l’article, Rafael Eitan a pris une initiative extraordinaire. Il a convoqué Aviem Sella, un officier de haut rang au sein de l’aviation israélienne, pour lui demander de l’accompagner en personne, à bord d’un avion de combat, dans une expédition visant à bombarder un immeuble de Beyrouth où Arafat devait participer à une réunion. L’opération a été menée le lendemain, mais les bombes sont tombées avant l’arrivée du leader palestinien.
“La volonté de Sharon de tuer Arafat, pourtant, n’a jamais faibli”, écrit Ronen Bergman. Même les vols commerciaux – pour lesquels l’OLP avait l’habitude d’acheter la totalité des sièges de première classe ou de classe business – étaient considérés comme des cibles légitimes. Dans ce cas,
l’avion devait être abattu au large des côtes, afin que les enquêteurs mettent longtemps à trouver l’épave et à déterminer s’il avait été touché par un missile ou s’il s’était abîmé du fait d’une panne de moteur”.
Finalement, les efforts de Sharon pour perpétrer “un crime de guerre intentionnel”, comme le dit l’article, ont été infructueux. Le ministre a été poussé à la démission à la suite de l’enquête judiciaire sur le massacre de Sabra et Chatila, pour lequel il était mis en cause.
Des questions en suspens
Malgré ce revers, ajoute Ronen Bergman, Sharon a fini par devenir Premier ministre d’Israël en 2001. À l’époque, l’ancien “faucon” a changé de perspective, envisageant pour la première fois une solution politique au conflit avec la création d’un État palestinien. Pourtant, selon le journaliste, “cela n’a en rien diminué sa haine envers le leader” de l’Autorité palestinienne.
De nouvelles discussions ont eu lieu en Israël sur le sort d’Arafat. Certains au sein de l’armée, du renseignement et du gouvernement pensaient toujours qu’il devait être tué. En mars 2004, Sharon lui-même n’a pas écarté cette idée, alors qu’il s’était engagé auprès du président George W. Bush, lors de leur première rencontre, à respecter l’intégrité physique du dirigeant palestinien.
“Et alors, conclut Ronen Bergman, soudain, Arafat, l’homme qui avait réussi à éviter la mort tant de fois, a succombé à une mystérieuse infection qui a conduit à une attaque [c’est ce qu’indiquait le dossier médical obtenu par The New York Times]. Aujourd’hui encore, la querelle fait rage […] à propos de la cause de sa mort et du fait de savoir si des traces de polonium, un élément radioactif employé dans des assassinats, ont été trouvées ou non sur ses vêtements et sa dépouille.”
New York Times Magazine relance ainsi les questions sur la disparition d’Arafat, même s’il n’apporte pas d’éléments nouveaux directement liés à ce dossier.