CONTRIBUTIONAu Sénégal, des députés viennent d’être élus au Parlement de la Cedeao. Va se poser la question d’un cumul de mandats. J’ai saisi l’occasion pour poser le débat. Le cumul des mandats est un fléau dans les démocraties où les élus ne se soucient pas de l’efficacité de la représentation politique. Il n’encourage pas la rationalisation des ressources aussi bien humaines que financières d’une nation. Le cumul des mandats électifs est la pratique qui consiste, pour un homme politique, à exercer simultanément plusieurs mandats. Souvent on parle aussi de cumul des fonctions et/ou de plusieurs traitements. Il en existe deux types :
1 – Le cumul des mandats dans le temps, lorsque le même mandat électoral est obtenu à plusieurs reprises. Ce qui est du ressort des électeurs qui décident de renouveler leur confiance à un élu. Seule l’éthique peut en limiter les méfaits sur la démocratie.
2 – Le cumul des mandats simultanés qui comprend le cumul horizontal lorsque les mandats sont sur une même échelle de gouvernance (locale ou nationale), et le cumul vertical lorsque les mandats sont sur des niveaux différents : local (conseiller municipal ou départemental), national (député ou sénateur), et international (membre d’un parlement sous-régional ou régional).
Cas fréquent : conseiller municipal ou départemental, député, membre du Parlement de la Cedeao (trois mandats électifs). Quel que soit le mode d’élection, c’est un mandat électif selon la loi. Il est nécessaire de faire la différence entre le cumul de mandats électifs du cumul simultané d’un ou plusieurs mandats électifs et d’une fonction. Dans le premier cas, il s’agit d’un élu qui siège dans plusieurs conseils ou du député et d’un sénateur qui est à la fois maire ou membre d’un conseil. En France, un cumul de cinq mandats électifs est fréquent. Alors qu’au Sénégal, le cumul des mandats est régi par la loi 91-11 du 22 mars 1996. Par contre, la loi est plus contraignante en Italie, car pour être éligible au Parlement, le maire doit démissionner de son mandat six mois avant les élections législatives.
Avec la mise en œuvre de l’Acte 3 de la décentralisation au Sénégal, il est nécessaire de modifier la loi 96-11 limitant le cumul des mandats afin de tenir compte de la suppression des communes d’arrondissement et du Conseil régional ainsi que de la création du Conseil départemental et du Haut conseil des collectivités territoriales dont les membres sont élus pour partie et nommés pour le reste. C’est à l’aune des expériences d’ailleurs et de la législation en vigueur au Sénégal qu’il faut appréhender le phénomène du cumul des mandats. A l’Assemblée nationale, siègent beaucoup de députés qui cumulent plus de deux mandats électifs. L’ignorance des textes pour certains et la logique de solidarité partisane pour d’autres font que des députés cumulards ne sont pas sanctionnés. Seul un audit indépendant pourrait faire la lumière sur ces irrégularités manifestes.
Mais au-delà du cumul de mandats et/ou de fonctions, on devrait commencer par s’attaquer au cumul des salaires, traitements et indemnités en appliquant la loi dans toute sa rigueur. Par exemple, il y a des députés qui cumulent illégalement leur mandat de député avec celui d’élu local et de membre de parlement régional (Parlement panafricain) ou sous-régional (Cedeao, Uemoa). Et paradoxalement, ils perçoivent indûment des indemnités qui sont considérées comme des traitements et salaires. Or en la matière, la réglementation est constante : «L’indemnité parlementaire ne peut être cumulée avec un traitement ni avec une indemnité ayant le caractère de rémunération principale» (article 4 de l’ordonnance n° 63-04 du 6 juin 1963). L’Ofnac a, ici, une occasion en or pour enquêter sur l’enrichissement sans cause de tous ces cumulards quelle que soit leur fonction : ministre, député, Dg ou autres.
Qui plus est, une concentration de plusieurs mandats et fonctions ne favorise pas la promotion interne au sein des partis politiques. Mieux, le cumul n’assure pas une distribution équitable des rôles. Ce qui induit une mauvaise rationalisation des ressources humaines politiques. Il appartient aux partis politiques de fixer des limites que leurs dirigeants ne pourraient franchir si les textes ne sont pas assez contraignants. Pire, c’est le temps qui manquera le plus aux élus qui exercent des fonctions gouvernementales. C’est d’ailleurs pourquoi Lionel Jospin, en son temps, n’a jamais accepté de ministre-maire dans son gouvernement quand bien même la législation française admet le cumul de fonction de ministre et de mandat de maire. Alors qu’au Sénégal, il est même courant d’entendre un ministre se glorifier d’avoir cédé son salaire de maire au profit de telle ou telle catégorie de sa commune, comme si le cumulard avait des droits sur le salaire ou les indemnités de l’édile local s’il perçoit des émoluments de député, de ministre ou d’agent de l’Etat. Avec leurs absences répétées, les électeurs se sentent toujours trahis par les élites qu’ils ont choisies pour la gestion de leur cité. L’absentéisme étant la chose la mieux partagée dans les conseils municipaux qui peinent à réunir leurs membres. Cela creuse le fossé qui sépare le peuple de ses élus. Et pour réconcilier le citoyen et l’homme politique qu’il considère comme un privilégié, un large débat franc et fécond doit s’instaurer sans esprit partisan, pour éradiquer un tel fléau.
En conclusion, il s’agit d’une part de restaurer la crédibilité de l’homme politique dont l’estime des populations en prend un sacré coup au fur et à mesure que les alternances se succèdent, et d’autre part de gérer avec parcimonie et dans la sobriété nos maigres ressources. Le débat est ouvert. Seuls des arguments tirés de la loi ou de la morale politique seront acceptés.
Babacar GAYE
Ancien député