CHRONIQUE DE WATHIE
Au rythme des slogans de ses dirigeants, le Sénégal se targue d’avancées notoires dans bien des domaines. Mais, en matière de démocratie, le surplace est d’une sournoise et implacable évidence. Les opposants au régime de Macky SALL ont arpenté ce vendredi les artères de la capitale pour exiger du gouvernement l’organisation d’élections libres et transparentes. Une doléance qui a déjà mobilisé les Sénégalais, à de nombreuses reprises, dans les années 60 et qui était censée ne plus prospérer après deux alternances ayant fait du Sénégal une vitrine démocratique. Seulement, par la volonté de Macky SALL de redéfinir la cartographie politique du Sénégal, les revendications opposées jadis à SENGHOR trouvent toujours écho. Une situation témoignant d’un recul démocratique et surtout confortant les mêmes acteurs politiques.
Pour s’en convaincre, retour en 2004 ! Au mois d’avril, Idrissa SECK est limogé de son poste de Premier ministre et fait figure d’opposant sérieux au régime. Nommé chef du gouvernement, le 21 avril 2004, Macky SALL distribue les rôles et s’active par la suite pour la réélection de son mentor. Deux mois plus tard, en juin 2004, Karim WADE, dans l’ombre, énigmatique sur ses ambitions, est désigné pour présider aux destinées du Conseil de surveillance de l’Agence nationale de l’Organisation de la conférence islamique (ANOCI). Quatorze ans après, qu’est-ce qui a changé de ce schéma ? Ces trois « fils » d’Abdoulaye WADE ne tiennent-ils pas toujours pratiquement les mêmes postures? Idrissa SECK a eu les chantiers de Thiès. Macky SALL, son «blanchiment d’argent » et Karim WADE, son enrichissement illicite. Des déboires judiciaires qui ne les ont pas que maintenus au-devant de la scène. Par un jeu de rôle aussi perspicace que dangereux, cette trilogie, que Me Abdoulaye WADE a nouée et a commencée à dérouler, se poursuit.
Pour affronter Macky SALL à la prochaine présidentielle, le nom d’Idrissa SECK revient régulièrement. Pour de nombreux analystes politiques, l’ancien maire de Thiès est le plus à même d’inquiéter le leader de l’APR à cette joute électorale. « Par le fait de vouloir écarter ses potentiels adversaires, le président Macky SALL a involontairement repositionné aujourd’hui M. Idrissa SECK. Parce que si Khalifa SALL est condamné, le pôle Manko Taxawou Senegal n’aura comme candidat sérieux qu’Idrissa SECK, lequel semble avoir compris cela», analyse Moussa DIAW, enseignant-chercheur en politique à l’université Gaston Berger de Saint- Louis. Seulement, peut-on dire que Macky SALL agit involontairement. La légitimation de la candidature sérieuse d’Idrissa SECK, c’est le pouvoir lui-même qui la conforte. A chaque sortie du président du conseil départemental de Thiès, c’est une avalanche de réponses qui s’abat sur lui. Plus que n’importe quel autre leader, rien de ce qu’il avance ne passe sans commentaire. Abdoul MBAYE, Malick GAKOU, Cheikh Bamba DIEYE et autres ont beau multiplier les sorties musclées, ils sont royalement ignorés par les tenants du pouvoir. Mais, il suffit qu’Idrissa SECK l’ouvre pour que toute la République lui tire dessus. La dernière réplique est du chef du gouvernement, Mouhamad Boun Abdallah DIONNE, et de son ministre du Tourisme. Pour le premier, Idrissa SECK fait partie des spécialistes du « découragement national », le second, Mame Mbaye NIANG, estime que c’est un usurpateur qui aurait falsifié son CV. Des attaques certes virulentes mais qui ont tendance à faire d’Idy l’alter égo d’un Macky SALL qui le redouterait. Une attitude savamment mise à profit par le parti Rewmi qui demande un débat public entre les deux hommes. Et ce n’est pas le seul « cadeau » que Macky fait à Idy. Lors des investitures aux dernières élections législatives, il a fait de Siré DIA la tête de liste de la coalition Benno Bokk Yakaar dans le département de Thiès. Un choix qui a surpris plus d’un observateurs d’autant que Thierno Alassane SALL et les ministres Augustin TINE et Alioune SARR étaient les mieux placés. Idrissa SECK n’a certes pas gagné, mais son score lui permet de revendiquer une certaine légitimité dans le département de Thiès.
Si ce replacement dans le jeu politique de celui qui s’est classé cinquième avec 7,86 % des voix à la dernière présidentielle, prend forme, c’est aussi parce qu’Idy a compris qu’il fallait suivre le camp de Khalifa SALL au moment de l’éclatement de la coalition Manko Taxawou Senegal. Libéral, l’ancien directeur de campagne de Me Abdoulaye WADE n’a pas cherché, à l’instar de Pape DIOP, à rejoindre le PDS et la coalition gagnante lors des dernières législatives. Avec cette démarche, Idrissa SECK, qui accepte de se mettre derrière Khalifa SALL, s’introduit dans l’un des trois camps qui se sont mis en place en vue de le contrôler. Et pendant que Khalifa SALL, qui a mis un bémol à la bipolarisation Macky – WADE, est poursuivi et jeté en pâture, Idrissa SECK prend le pouls des populations de l’intérieur du pays, incarnant le rival légitime.
Pourtant, même si l’objectif déclaré est de faire partir le leader de l’APR, Rewmi et le PDS ne s’allieront pas. Le parti de Me WADE a déjà un leader à qui Idrissa SECK ne doit pas faire de l’ombre. Karim WADE qui peinait à se faire accepter par les Sénégalais qui le considéraient comme un étranger bigrement hautain a fini par gagner cette empathie qui lui faisait tant défaut. Sans bouger le plus petit doigt, par la magie de Macky SALL et de la CREI, il s’est affirmé comme un véritable ténor politique. Et si le seul ministre de Me WADE à avoir fait la prison peut s’appuyer sur un appareil à même d’en faire un leader digne de ce nom, c’est que Macky SALL a véritablement fait dans l’enfumage avec la traque des biens mal acquis. A part Abdoulaye BALDE qui a été petitement bousculé, aucun autre cacique du défunt régime n’est inquiété. La liste des 25 pontes du régime libéral à poursuivre, Macky SALL l’a jetée à la poubelle depuis longtemps. Un enfumage qui s’illustre par la restitution aux WADE des maisons que la justice avait saisies.
Et pendant les Me Madické NIANG, Oumar SARR, Ousmane NGOM… respirent la forme, ceux qui avaient accompagné Macky SALL dans la conquête du pouvoir, s’ils ne sont pas divisés à son contact, sont confrontés à la realpolitik libérale. Le PS est morcelé, l’AFP de Moustapha NIASSE également en lambeaux. Même les Jallarbistes de la LD sont secoués par les démons de la division. Même sort pour ces « apéristes » qui auraient pu légitimement se positionner pour l’après Macky SALL. D’Alioune Badara CISSE, devenu médiateur de la République, à Mimi TOURE, envoyée spéciale sans aucune spécialité, en passant par Thierno Alassane SALL.
Quand Me Abdoulaye Wade annonçait 50 ans de libéralisme au Sénégal, beaucoup en avaient rigolé. Une nouvelle lubie d’un mégalo, commentait-on. Plus d’une décennie plus tard, les trois piliers de la case politique du Sénégal sont Macky, Idy et Karim.
Par Mame Birame WATHIE