La chute de l’indice Dow Jones, lundi, a provoqué une réaction en chaîne sur les autres places boursières mondiales.
Si la Bourse de New York est repartie dans le vert à l’ouverture mardi, la menace d’un krach futur est à prendre au sérieux.
Il en va toujours ainsi avant une dégringolade boursière. Aux yeux des marchés financiers, tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, du moins quelques secondes avant la catastrophe. L’instant d’après, lorsque le flot des ordres de ventes a abondamment dépassé les achats, il se trouve quantité d’experts patentés pour expliquer que ce scénario était finalement inéluctable. Il suffisait d’attendre le moment de l’accident. Celui de Wall Street a donc eu lieu lundi : en moins d’une heure l’indice Dow Jones s’est brutalement amaigri de près de 1 500 points (il en reste encore 24 345,75, soit une chute de 4,6 %). Et quand la seconde place financière mondiale éternue (Londres reste, malgré le Brexit, encore sur la première marche), c’est toute la planète financière qui risque la contagion.
Certes, il est encore difficile de parler de krach financier consécutif à la formation d’une bulle financière, même si nombre d’économistes estiment qu’une aiguille ne cesse de se rapprocher des marchés actions américains, considérés comme anormalement élevés. En attendant, le mini-choc de Wall Street n’a pas manqué de secouer la plupart des places étrangères. A Tokyo, l’indice Nikkei, qui avait ouvert sur un recul de 1,83 %, a fini sur une baisse de 4,73 %. L’indice Asie-Pacifique MSCI, qui regroupe plus de 1 000 valeurs hors Japon, a fini sur une baisse de plus de 3 %. Ailleurs dans la région Pacifique, l’indice composite de Shanghai a clôturé sur un recul de 3,35 %, tandis que Hongkong a dévissé de 5,12 %. A l’ouverture, en Europe, la baisse est relativement brutale: -3,43 % à Paris, -3,5 % à Londres, -3,58 % à Francfort, -3,3 % à Madrid, -3,6 % à Amsterdam… Presque au même rythme, toutes semblaient marquer un moindre recul quelques heures avant leur clôture. D’autant que le Dow Jones, lui, repassait dans le vert à l’ouverture. Mardi soir, la Bourse de Paris a de nouveau fini dans le rouge (-2,35 %).
Bulletin de notes
Lundi, la Maison Blanche s’est voulue rassurante, en affirmant que Donald Trump se préoccupait des «fondamentaux» de l’économie à long terme qui restent «exceptionnellement forts», selon sa porte-parole Sarah Huckabee Sanders. La chute est pourtant un gros coup dur pour le milliardaire new-yorkais qui n’a eu de cesse de se féliciter dans des tweets ou des interventions publiques de la bonne santé de Wall Street, au point de donner l’impression de s’en servir comme un bulletin de notes. Il est vrai que l’indice de la Bourse de New York n’a cessé de gonfler de manière quasiment ininterrompue depuis l’élection de Trump. En quatorze mois, la hausse du Dow Jones atteint les 34 %. Du jamais vu depuis 1959. Mais l’euphorie semble céder la place à un début de panique : ce sont des craintes au sujet de l’inflation qui ont mis le feu aux poudres, alors que l’année 2018 semblait, selon les analystes financiers, bien partie.
En fait, l’élément déclencheur de mini sauve-qui-peut boursier outre-atlantique a commencé vendredi. Sur les écrans des salles de marchés, dans les grandes banques et autres fonds d’investissement, une nouvelle statistique vient tout juste de tomber en milieu de journée : celle de la hausse moyenne des salaires. Sur un an, l’augmentation atteint 2,9 %. Pas de quoi rassurer les investisseurs, qui y voient le signe d’un changement de paradigme. Jusqu’ici rassuré par la petitesse des hausses de salaires, les voilà qu’ils se mettent à imaginer le pire lorsqu’ils apprennent que la hausse moyenne frôle les 3 % sur les douze derniers mois. Leur inquiétude ? Que le thermomètre de l’inflation ne se mette à chauffer, avec pour conséquence un resserrement de la politique budgétaire. Et ainsi une hausse des taux d’intérêt de la Fed, la banque centrale fédérale des Etats-Unis.
Exubérance irrationnelle
Or, pour les marchés financiers, le resserrement monétaire ne manquera de réduire la consommation des ménages. Et donc le rendement des entreprises américaines. Dans ces conditions, ou du moins dans cette hypothèse, selon eux, mieux vaut prendre l’argent et partir avant qu’il ne soit trop tard. «Le raisonnement des investisseurs américains est assez incompréhensible», estime le responsable d’une salle de marché parisienne, qui n’exclut pas un mouvement de panique totalement irrationnel. Même analyse du côté de l’économiste Patrick Artus : «Cette hausse de salaire est effectivement ce qui a déclenché la chute de New York. Mais l’attitude des marchés est pour le coup totalement infondée. Certes, les salaires augmentent, mais corrigés de la hausse de la productivité du travail, cette hausse ne représente plus que 1,4 %. Pas de quoi s’effrayer quand on sait que l’inflation est d’environ 1,5 %. La réaction des marchés est exagérée.»
Et puis difficile de comprendre comment les Etats-Unis pourraient générer une inflation forte. Certes, Trump crie haut et fort «America First», mais il n’en demeure pas moins que l’économie américaine est l’une de plus ouverte au monde. Laisser filer la hausse des prix, c’est perdre de sa compétitivité par rapport au reste du monde. Et c’est sans compter avec un marché du travail au bord du plein-emploi. De l’avis de nombreux experts, l’économie américaine carbure à fond. Et les marges de manœuvre pouvant générer de l’inflation semblent toujours bien minces.
Passager ou durable?
Pour autant, la question que tout le monde se pose aujourd’hui en Europe et ailleurs est la suivante : la baisse ne fait-elle que commencer ou bien s’agit-il seulement d’un accès de faiblesse passager ? Beaucoup d’économistes sont formels : le pire est à venir puisque les marchés financiers, notamment et surtout aux Etats-Unis, sont en réalité totalement déconnectés de la réalité économique. Certes, l’analyse de ces critiques des marchés financiers suscite la polémique, mais leur démonstration est loin de se faire au doigt mouillé. Car il y a d’abord, selon eux, la nature instable des marchés financiers, dont la fréquence des crises est toujours plus forte depuis la libre circulation des capitaux au début des années 80 : une crise tous les cinq ans en moyenne.
Mais aujourd’hui plus que jamais, il est un indice qui n’a cessé de s’emballer, au point d’imaginer qu’effectivement, l’aiguille serait toute proche de faire péter le ballon des actifs financiers. Il s’agit de l’indice de Robert Schiller, professeur à l’université Yale et prix de la Banque centrale de Suède en sciences économiques (toujours confondu avec le prestigieux prix Nobel). Spécialiste des actifs financiers, Schiller a mis au point une méthode permettant de savoir si le prix d’un actif financier était surévalué ou non. Son modèle s’appelle le Cape, pour «Cyclically adjusted price to earnings». Et il est en fait relativement simple.
Nouvel emballement
Pour répondre à la question du surcoût potentiel d’une action, il faut commencer par comparer son cours actuel par son bénéfice. Les jargonnants de la finance parlent de PER: le «Price Earning Ratio». Mais voilà, pour faire des comparaisons dans le temps, encore faut-il éliminer deux éléments du passé : celui de l’inflation et celui des cycles économiques (il s’agit de déflater et de lisser ces périodes de fortes ou faibles conjonctures économiques). A la fin des années 90, Schiller a donc passé au crible le cours des 500 premières actions de Wall Street (le fameux «S and P 500») qu’il a rapporté aux bénéfices de ces mêmes actions, mais sur les décennies passées. Le résultat ? Quand ce rapport (ou cet indice) dépasse les 17, alors on risque de pénétrer dans une zone de danger qui n’est autre qu’un emballement du marché action.
Et à combien se situe l’indice Schiller aujourd’hui ? Réponse : il oscille entre 20 et 32. Depuis plusieurs mois. 32, c’est le niveau atteint juste avant le grand plongeon boursier de 1929. Et la dernière fois que ce même indice semblait avoir perdu la raison, c’était en 2000, lorsqu’explose la bulle internet. Là, il venait juste de dépasser les 40. Mais puisqu’on vous dit que tout va bien…
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