La France est de retour
Le président Emmanuel Macron ne va pas être dépaysé au Sénégal. Dakar est déjà tricolore et son convive va, pour se rendre au palais de la République, passer, s’il ne les traverse pas, à côté d’avenues et de rues qui ont pour noms : André Peytavin, Jules Ferry, Albert Sarault, Georges Pompidou, Carnot, Charles Mangin, Armand Angrand, Félix Faure, Alfred Goux, William Ponty… En plus de ces stigmates de la colonisation, du franc Cfa, de la langue et de l’armée française, Emmanuel Macron peut être assuré de trouver un homologue sénégalais qui va bien s’occuper des 7 minarets de la France au Sénégal que sont : Orange, Bolloré, Bicis, Css, Total, Eiffage, Sgbs. Depuis qu’il est à la tête de l’Etat du Sénégal, Macky Sall s’évertue à consolider les acquis du pays de Macron.
«Le président Macky Sall dit souvent que «le problème entre la France et le Sénégal, c’est qu’il n’y a pas de problème». «Continuons ainsi !». C’est le Premier ministre français, Edouard Philippe, qui parle ainsi. C’était lors du séminaire intergouvernemental franco-sénégalais qui s’est déroulé au mois d’octobre dernier à Paris. Et si le chef du gouvernement français ne tarit pas d’éloges sur Macky Sall, c’est parce que le président sénégalais ne fait pas que couvrir leurs arrières. Depuis son accession la tête de l’Etat du Sénégal, il agit comme le gouverneur d’une province française.
En fin 2011, début 2012, les militaires français préparaient leurs bagages après que le président Abdoulaye Wade leur a demandé de partir. Seize jours seulement après sa prestation de serment, Macky Sall a couru en France rencontrer Nicolas Sarkozy qui sera battu quelques jours plus tard par François Hollande à la présidentielle. A son retour de Paris, les militaires français ne vont pas que garder leur position, ils seront davantage confortés. Bolloré, qui a été écarté du terminal à conteneurs du Port autonome de Dakar au profit de Dp World, va aussi revenir en force en mettant la main sur le terminal roulier. Avec l’autoroute à péage Dakar-Diamniadio-Aibd, Eiffage tient une vache en mesure de lui donner du lait pendant des décennies sans être alimentée. Et le groupe français ne s’en limite pas. Tout projet en mesure de générer des fonds l’intéresse. A travers ses filiales Eiffage Sénégal et Eiffage Génie Civil, le groupe a mis la main sur le lot 2 du projet de traitement et d’adduction d’eau potable de Keur Momar Sarr 3 (KMS 3) à Dakar (Sénégal) pour un montant de 34 millions d’euros. La centrale solaire de Medina Ndakhar, inaugurée dernièrement par Macky Sall, Eiffage est derrière. Selon le ministère français des Affaires étrangères, les investissements directs français au Sénégal étaient de 1 431,300 milliards de F Cfa en 2015. Au courant de la même année, 5 716 entreprises françaises ont exporté vers le Sénégal.
Macky remue ciel et Ter pour la France
Le Sénégal «pour tous et de tous» ne se fera pas sans la France. Alors que leurs multinationales sont déjà bien enracinées dans la terre de Léopold Sédar Senghor, nos cousins Gaulois sont en possession de tous les bons fromages du Sénégal, surtout dans les projets d’envergure du secteur des transports. Ce, après l’octroi de contrats de prospection pétrolière dans ce nouveau bassin où miraculeusement on trouve beaucoup, pour bien huiler les avions et trains commandés à Macron.
Non content de persister pour le maintien du Franc Cfa, Macky signe à tour de bras de juteux contrats aux firmes françaises dont certaines étaient dans un gouffre financier qui allait les pousser à la faillite. Dans le transport aérien, il a permis à l’avionneur franco-italien Atr de vendre deux aéronefs à la toute nouvelle compagnie sénégalaise qu’il a fondée, Air Sénégal Sa, dont le seul actionnaire reste encore la Caisse des dépôts et consignations (Cdc). Une commande qui a enrichi le carnet de commandes du spécialiste des avions régionaux de moins de 90 places. Lequel s’est récemment targué, dans les médias français, d’avoir désormais «trois ans de travail pour occuper ses lignes d’assemblage qui emploient 1 300 salariés sur le site Airbus, à Saint-Martin du Touch, en banlieue toulousaine».
Cependant, l’achat de ce type d’aéronefs montre le manque d’ambition du nouveau porte étendard sénégalais. Ces appareils, très limités en termes de passagers à convoyer, font beaucoup de bruit avec leurs deux turbines à hélice. En effet, les vibrations de ces turbopropulseurs mettent à mal les oreilles des passagers. Pis, ces petits appareils ne peuvent voler plus d’une distance maximale de 1 500 km. Ainsi, avec une telle flotte, Air Sénégal Sa ne pourra dépasser la Côte d’Ivoire dans le voisinage. Et quand on voit le type d’appareils alignés par la concurrence, notamment l’ivoirienne Air Ivoir, la togolaise Asky et maintenant le camerounais CamerCo.
Mais, le régime de Macky Sall n’en a pas fini avec les avionneurs français. Incurable, il offre une cerise sur le gâteau au pays de Marianne. Air Sénégal a annoncé, depuis Dubaï, l’acquisition prochaine de 2 Airbus A330. Lesquels devraient être livrés un an jour pour jour, c’est-à-dire en janvier 2019. Ce qui, en sus du conflit d’intérêt qu’on peut y flairer avec un Dg venant de Airbus, peut paraître une bonne chose si et seulement si le porte-étendard national déploie ses ailes jusqu’en France pour tenter de capter des parts de marché dans la très demandée ligne Dakar-Paris. En effet, pour une compagnie africaine, il n’est jamais facile d’obtenir une autorisation de se poser sur les aéroports français à cause des nombreuses conditions de sécurité exigées par ce pays.
Et pour huiler ces juteux contrats, le major français du pétrole s’est rattrapé au Sénégal. Le pouvoir lui a, en effet, paraphé deux accords qui vont lui permettre de contribuer à dynamiser l’exploration pétrolière en mer profonde et très profonde au large du pays. Acteur historique du raffinage et de la distribution de produits pétroliers au Sénégal, Total va ainsi élargir sa présence dans le pays dans le secteur de l’exploration-production.
Ainsi, Macky Sall a explosé le plafond des dépenses pour satisfaire les fleurons du savoir-faire tricolore. Lesquelles entreprises touchent le jackpot au Sénégal qui risque de s’en tirer à mauvais compte.
Ter, le Sénégal sauve des emplois en France
Mais, c’est surtout avec le Train Express régional (Ter) que Macky Sall s’est le plus illustré en faveur de la France. En juillet 2016, Stéphane Le Foll, alors ministre français de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, a quitté Dakar pour aller quelques heures plus tard promettre une solution «dans les jours qui viennent» aux salariés d’Alstom à Belfort. Le gouvernement français qui avait trouvé un moratoire de quatre ans grâce à l’achat de 15 Tgv, semble avoir trouvé le bon client (ou pigeon) pour maintenir l’usine en vie pour quelques années encore. En achetant 15 trains bi-mode (diesel/électrique) à l’usine, le Sénégal enlève une méchante épine au pied de François Hollande qui a fait du maintien en vie d’Alstom une affaire personnelle. «François Hollande tente de reprendre la main après qu’Alstom a annoncé mercredi (7 septembre 2016) l’arrêt de la production de trains sur le site d’ici 2018. La décision du groupe industriel, arguant d’une pénurie de commandes, mettrait en péril l’avenir de 400 salariés», écrivait septembre 2016 un journal français. Pour un contrat estimé à 149,66 milliards de FCfa soient 228,4 millions d’euros, l’usine, à défaut d’être rayonnante, a de quoi tenir pour quelques autres années.
Ainsi, président d’un pays du tiers monde, Macky Sall est allé sauver des emplois en France, cinquième puissance du monde. Comme un gâteau, le Train express régional (Ter), même en l’état de projet, a été découpé et partagé entre entreprises françaises. Grâce à la générosité de Macky Sall, le géant français Alstom reprend son souffle. Sa fermeture pour défaut de commande tant redoutée n’est plus à l’ordre du jour. François Hollande peut boucler sa présidence avec le sentiment d’avoir sauvé le site.
«Le président du Sénégal Macky Sall ne se contente pas de commander 15 Ter à l’usine Alstom de Reichshoffen, il se déplace en personne pour venir signer le contrat et visiter les locaux. La commande devrait assurer du travail aux 850 salariés alsaciens d’Alstom jusqu’en 2019. Alors qu’il y a quelques mois le site d’Alstom de Reichshoffen était inquiet, voilà la machine relancée grâce à un contrat signé avec le Sénégal : son président achète une quinzaine de trains», s’extasiait un autre journal français. Pourtant, cette observation est loin de rendre compte fidèlement des efforts que le Sénégal a consentis pour sauver ces salariés français. Le Sénégal emprunte de l’argent à la France, 200 millions d’euros dégagés notamment par l’Agence française de développement, pour passer la commande chez une entreprise française, Alstom, et traîner une dette à solder avec des intérêts en sus.
Pourtant, Alstom n’est pas la seule entreprise française à se refaire une santé financière grâce au Ter. Face à une soixantaine d’entreprises qui ont soumissionné à l’appel d’offres international, Aston, Thales, Cde, Systra, Eiffage et Engie ont damé le pion à tout le monde. Même le géant chinois China Railway construction corporation (Crcc) n’y a vu que du feu.