CONTRIBUTION
La démocratie est d’abord un état d’esprit, disait Pierre Mendès France. Maxime ne peut pas être plus pertinente pour faire la psychologie du régime de Macky Sall. Alors que le scandale des élections législatives continue de traumatiser l’esprit de nos concitoyens, ce régime qui ne connaît ni remords ni amende honorable, persiste dans le louvoiement face aux exigences démocratiques irrépressibles du moment. Coutumier et adepte de la tactique du déplacement de la problématique et du détournement de l’attention des acteurs politiques, Macky Sall en train de piéger l’opposition. Alors que le préalable d’un dialogue politique (après un si grand scandale démocratique) devrait être le choix d’une personnalité apolitique pour organiser les prochaines élections, Macky Sall joue avec le temps en nous proposant un dialogue de sourds.
Le parrainage et le complot contre le pluralisme
La question du parrainage actuellement agitée n’obéit à aucune exigence démocratique, c’est juste une façon habile et perfide de retarder les échéances et de nous précipiter encore dans le gouffre des mesures d’urgence destinées à frauder. Le parrainage à l’état actuel de la démocratie sénégalaise est une absurdité que rien ne peut justifier. Comment faire confiance d’ailleurs à un régime qui agite cette question sous le prétexte de lutter contre les candidatures anarchiques quand on sait qu’il a lui-même financé des candidatures farfelues pour écraser la dynamique unitaire de l’opposition lors des dernières législatives ?
Il ne faut pas que les Sénégalais se fassent arnaquer encore par la fausse problématique de la pluralité des partis politiques et des candidats. Aucune disposition de la Constitution ne permet de limiter les partis politiques. Et c’est facile de montrer qu’il est radicalement antidémocratique de prétendre limiter le multipartisme intégral. Sur le plan philosophique, la démocratie exclut toute forme d’exclusion : le seul parti politique qu’une démocratie peut exclure logiquement c’est celui dont les desseins, les actes ou les règlements ont pour effet ou conséquence la négation de la démocratie.
Un parti politique qui a un soubassement régionaliste, fractionniste, confessionnel, ethnique peut légitiment être exclu du jeu démocratique. Prétendre qu’un parti qui n’obtiendrait pas un nombre quelconque de signatures ne doit pas participer à des élections, c’est répondre à une question qui ne se pose guère. Cette curieuse mesure pourrait d’ailleurs avoir des conséquences antidémocratiques. Supposant qu’un candidat à la présidentielle cherche des parrainages au niveau des circonscriptions territoriales et que seule sa régionale natale lui assure le nombre de signatures requis au moment où, dans les autres régions, il peine à rassembler le nombre de parrains ! En plus d’un sentiment de frustration, des frictions ethniques pourraient s’exacerber. Or un parti qui vient de naître, a forcément une base, un point de départ pour son odyssée populaire : sur quelle base devrait-on refuser à un parti d’avoir le temps de grandir ?
Le pire est qu’un tel système accréditerait la fausse philosophie politique selon laquelle un parti politique a pour but exclusif la conquête du suffrage des électeurs. C’est enfoncer une porte dérobée qui mène vers une aporie que d’entretenir une telle absurdité en démocratie. Un parti politique a également pour vocation d’encadrer les citoyens, de les former à prendre la parole publique et de participer à la démocratie. Une démocratie est soit directe, soit indirecte. C’est vrai qu’entre les deux formules il y a plusieurs types de combinaisons, mais ce sont les deux principales doctrines en philosophie politique.
La démocratie directe telle que pensée et pratiquée par les Grecs est définitivement révolue : chez eux, ce sont les «démos» qui participaient à main levée aux prises de décision. Une telle démocratie est impensable dans les États modernes à forte démographie. Aussi, les syndicats, les partis politiques, les associations, les organisations non gouvernementales, etc., doivent-ils, dans l’absolu, être considérés comme des personnes collectives représentant des personnes individuelles avec leurs aspirations, leurs conceptions démocratiques et leur idéologie politique. Cette forme de démocratie où le peuple est «représenté» par (ou dans) des structures politiques, corporatives et syndicales est indirecte, même si ce débat est loin d’être tranché. Sous ce rapport, personne ne pourra limiter les partis politiques et les syndicats : ils se formeront, éclateront et se retrouveront dans des cadres unitaires ou d’action en fonction des enjeux politiques.
Le peuple n’est pas une abstraction, il est constitué d’individus s’assemblant suivant des affinités, des convergences de vue ou d’intérêt et vivant selon un rythme qui est forcément marqué par la pluralité. Au nom de quoi alors quelques partis politiques devraient-ils décider du sort d’autres ? Cet ostracisme pourrait être la base légale d’une oligarchie qui est là depuis belle lurette et qui cherche (et ce, même dans l’antagonisme) à perpétuer sa vie de parasite. Le jeu démocratique, ce n’est pas seulement l’accès au pouvoir politique : la démocratie se vit dans l’esprit, dans la culture et dans les actes quotidiens. Or les partis politiques doivent former les militants et sympathisants à cultiver les réflexes démocratiques. Sous ce rapport, les vieux partis doivent aussi rivaliser avec les jeunes partis pour plus d’effervescence et de progrès démocratique. Il y a des partis qui, par leur apport intellectuel et culturel, participent à élever la conscience démocratique des citoyens davantage que les partis dits populaires qui entretiennent une espèce de bétail électoral. Le fait que des candidats ou des partis travaillent dans l’optique d’un deuxième tour qui leur donnerait une capacité de négociation est tout à fait normal en démocratie. Le jeu des alliances est aussi vieux que toutes les démocraties et plus vieux que tous les partis politiques.
Pour en revenir à cette histoire de parrainage, il faut dire qu’elle pourrait très mal finir. S’il s’agit de parrainage par élu, on sait que la transhumance tacite et sournoise fait plus de ravages que celle sauvage, et ça pourrait écarter des candidats par des procédés manipulatoires obscènes. S’il s’agit d’un parrainage sur la base de la carte d’électeur, il risque d’y avoir beaucoup de candidats recalés et ce, pour trois raisons. D’abord le nombre de jeunes qui accèdent à l’âge de voter et qui ne disposent pas encore de la pièce d’identité seraient écartés de la liste des parrains possibles. Ensuite, des manipulateurs et des saboteurs pourraient se glisser dans plusieurs listes de parrainage, car il y en qui, pour de l’argent, n’hésitent pas à faire les pires bassesses. Il faut dire d’ailleurs que sur ce dernier point un homme riche aura plus de facilité à se faire parrainer qu’un indigent. Enfin, les partis dirigés par des personnalités religieuses et les candidatures de acabit constitueraient des bombes à retardement. Il faut arrêter de singer la France dont les réalités culturelles sont différentes des nôtres.
La solution de la caution et de la licéité des fonds
Le relèvement de la caution, quoique parfois arbitraire, nous semble moins risqué que la trouvaille du parrainage. Quand quelqu’un prend le risque de gager 25 millions ou plus, alors qu’il sait qu’il peut ne pas être remboursé, c’est peut être suspect, mais il y aura toujours des tricheurs. L’exigence de licéité et de traçabilité de l’argent destiné à la caution nous semble ici nécessaire pour éviter ces tricheries. Mais la vraie solution c’est le bulletin unique : jusqu’ici aucun argument probant n’a été opposé contre cette méthode qui a fait recette ailleurs dans le continent. Pourquoi alors Macky et sa coalition refusent-ils cette solution simple et efficace ? C’est uniquement pour sécuriser leur bétail électoral : déjà dans certaines localités des individus ont poussé l’indignité jusqu’à aller dire à des bénéficiaires des bourses familiales qu’ils risquaient de perdre leur pécule s’ils ne votaient pas pour la coalition.
Macky Sall n’a jamais été intéressé par la santé démocratique de notre pays, seul le pouvoir l’a intéressé et l’intéressera. Quand Macky Sall appelle au dialogue pour des élections libres, c’est pour trouver encore une fois un moyen de légitimer un scandale électoral en gestation. Ce n’est pas en négociant avec cet homme et son clan oligarchique que l’on fera avancer la démocratie. Pour eux les principes de la démocratie ne sont que des moyens, des alibis pour asseoir et perpétuer leur régime. La reddition des comptes, les Audits et autres inspections d’État, n’ont de sens et de valeur que s’ils permettent de régler des comptes. La bonne gouvernance pour eux c’est contre les autres. Quant à eux, ils sont immaculés et sauvés ad vitam aeternam de la peccabilité. La justice sous Macky Sall c’est celle du loup et de l’agneau. Quand Macky demande à la justice de sévir c’est si et seulement si cela peut lui rapporter un dividende politique.
Pour une synergie d’action à la place d’une unité organique
Au regard de toutes ces considérations, nous pensons qu’il n’est pas possible de faire confiance à cet homme. Or sans confiance, le dialogue n’est qu’une autre forme d’épreuve de force comme c’était le cas chez les sophistes grecs. La seule urgence pour l’opposition c’est d’être intransigeante sur deux points : d’abord la nécessité de confier l’organisation des élections à une personnalité apolitique ; ensuite exiger la disponibilité à temps des cartes d’électeurs. Le reste est une question de vigilance, d’engagement et d’attachement passionnel à la patrie et à la démocratie.
Le débat sur la multitude de candidats de l’opposition n’est guère pertinent, l’essentiel c’est de s’entendre à soutenir celui qui se qualifiera pour le 2nd tour. La pluralité des candidats de l’opposition est une solution et non un problème : cela nous prémunira contre les rivalités et les frustrations internes. C’est une question de survie pour notre démocratie : si Macky Sall se fait réélire, c’en est fini de toute possibilité de redonner au peuple sa véritable souveraineté. En revanche, sanctionner Macky Sall par un seul mandant, c’est donner un signal fort à celui qui sera élu. Si nous ne voulons pas perpétuer cette malédiction de promesses déçues, il nous faut impérativement abréger le système de perversion de la démocratie. Il faut, pour commencer, mettre fin à cette torpeur démocratique et agir !
Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck
SG du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal