CONTRIBUTION
Au Sénégal, l’urbanisation accélérée s’est accompagnée d’un accroissement démographique rapide avec comme corollaire une forte hausse de la demande de mobilité. Malheureusement, les villes sénégalaises n’ont pas, jusqu’à maintenant, pu faire face à la demande engendrée par les activités des citadins, et au lieu de proposer un transport public approprié, elles ont favorisé l’essor d’un transport individualisé. L’accent mis sur les recettes tirées à partir des voitures importées, dont la majorité a plus de cinq ans, a fini par créer, de façon presque permanente, un encombrement automobile notamment marqué au niveau de la capitale sénégalaise. Cette situation, on le sait, n’est pas sans risques pour la santé du fait de la pollution qu’elle engendre.
Les grandes villes sénégalaises sont des espaces à risque pour la santé
La ville n’héberge pas, de façon passive, les infrastructures, les équipements et les espaces alloués au déplacement des personnes et des marchandises. La charge de morbidité liée au secteur des transports routiers comprend non seulement des traumatismes en forte augmentation, mais aussi les conséquences possibles de la pollution atmosphérique sur la santé. Ce secteur pèse aujourd’hui fortement dans le bilan global des émissions des substances impliquées dans la pollution par l’intermédiaire des gaz d’échappement d’un parc automobile pléthorique et obsolète. Cette pollution importante, notamment au niveau de Dakar, résulte essentiellement de l’usage de combustibles fossiles, dont la combustion produit un mélange complexe de polluants comprenant des particules en suspension nocives pour la santé. Le CO ou monoxyde de carbone provoque des troubles de la vision, des migraines, des vertiges et une diminution de l’oxygénation ; ce polluant peut être mortel à forte concentration. Les HC ou hydrocarbures imbrûlés génèrent des affections des voies respiratoires et des allergies. Les NOx ou oxydes d’azote sont des gaz irritants qui peuvent diminuer les défenses immunitaires et altérer les fonctions pulmonaires.
Comme le souligne par ailleurs l’Oms, les particules fines qui proviennent de la combustion incomplète du gazole des diesels, augmentent le risque d’accident vasculaire cérébral, de cardiopathie, de cancer des poumons et d’asthme. Le diesel utilisé par la plupart des voitures et les deux roues par ailleurs en forte augmentation, produit plus de pollution atmosphérique par kilomètre que les autres carburants. Les pédiatres signalent, depuis quelques années, une augmentation anormalement élevée de l’incidence des affections respiratoires chez les enfants. L’Oms évaluait en 2004 à 2,4 millions de morts l’impact sanitaire annuel de la pollution de l’air à l’échelle mondiale. Dans certaines grandes villes du monde, il ne se passe pas une année sans qu’on ne ferme des écoles ou qu’on n’impose des restrictions à la circulation automobile, notamment sous la forme d’une circulation alternée. Dans ces villes où un épais nuage de pollution enveloppe souvent le ciel, piquant les yeux et rendant la respiration malaisée, il n’est pas rare que les autorités recommandent aux personnes fragiles (enfants, femmes enceintes, personnes âgées ou souffrant de problèmes cardiovasculaires) de rester chez elles.
C’est en 2011, que le Sénégal a commencé à figurer dans le classement de la pollution urbaine de l’Oms. Cette évolution était prévisible depuis 2008, avec les études transdisciplinaires menées dans le cadre du projet Polca autour du service de toxicologie de la Faculté de médecine de Dakar. Les résultats de ces dernières révélaient déjà des niveaux d’émissions de dioxyde d’azote dépassant le niveau d’alerte moyen annuel pour la santé humaine fixé par l’Oms et le Sénégal. Les taux relatifs à ces polluants, représentent aujourd’hui des niveaux 7 fois supérieurs à la limite fixée par l’Oms ; du coup, il peut être dangereux aujourd’hui de respirer l’air au niveau de certaines rues de Dakar. Il y a de cela quelque temps, la position de presqu’île de la capitale sénégalaise pouvait atténuer l’intensité de l’exposition des citadins à la pollution, du fait de l’air marin qui dissipait souvent les nuages de polluants. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas puisque les couloirs de circulation de l’air marin sont fermés par les constructions réalisées sur le littoral.
Devant l’exigence de la construction d’un modèle de ville santé-compatible, le leadership du ministère de la Santé et de l’Action sociale s’impose
Aujourd’hui que l’impact des activités menées dans les villes altère et menace de détruire notre environnement et notre santé, on ne peut plus éluder la question de la ville santé-compatible et du droit des générations futures sur notre pays. Dans un contexte où l’on note souvent une évolution rapide du complexe pathogène (hôte, facteurs pathogènes et environnement), les politiques de gestion des risques développées par les responsables de la santé, doivent donner une plus large place aux approches prospective et holistique. Cette démarche permet d’évaluer et de saisir l’incidence de la totalité des facteurs de changement, facteurs dont on connaît la place centrale au sein des forces motrices qui animent ce complexe pathogène. Il s’agira, pour les défis sanitaires liés à la pollution urbaine, d’articuler, dans une approche globale du développement de la ville, les impératifs budgétaires et les exigences du développement urbain durable.
La prévention des risques au sein des grandes villes entraîne souvent un surcoût budgétaire ou un manque à gagner par rapport aux recettes fiscales. Cette fiscalisation dont les effets sont immédiatement perceptibles, peut amener les décideurs à renoncer à des mesures dont la rentabilité ne pourrait être perçue qu’à long terme. Si l’arrêt de l’importation des voitures de plus de cinq ans peut entraîner, dans l’immédiat, une diminution des recettes fiscales, par contre, à long terme, il peut être plus productif ; en effet, une telle mesure peut entraîner une diminution de la pollution, donc des maladies chroniques comme le cancer, dont on sait combien elles peuvent être onéreuses sur le plan de la prise en charge.
A tout cela s’ajoutent les coûts liés à la qualité du transport. En effet, selon des études récentes menées par le ministère des Transports terrestres, les pertes liées à la mauvaise qualité des transports en commun dans l’agglomération de Dakar, se chiffrent à 108 milliards de FCfa par an. Selon la répartition par coût qui en est faite, la pollution de l’air induit une perte de 63 milliards de FCfa, les encombrements et congestions ressortent à 41 milliards de FCfa tandis que les accidents de la circulation coutent 4 milliards de FCfa.
Aujourd’hui, tout le monde est d’accord qu’il faut prendre des mesures conservatoires, ces dernières doivent être proportionnelles aux menaces, non discriminatoires et cohérentes, reposant sur l’analyse des coûts et des avantages, et adaptables au gré des avancées des connaissances scientifiques. C’est en fonction de tout cela, qu’il devient impératif de limiter les émissions nocives provenant des pots d’échappement par un système de réduction catalytique sélective et d’arrêter l’importation des voitures âgées de plus de cinq ans.
La politique urbaine apparaît souvent comme un assemblage de politiques sectorielles concernant l’aménagement du territoire, le développement, le logement, la lutte contre la pollution, la circulation routière, etc. Les cloisonnements verticaux entre les organismes publics et autres, de même que les cloisonnements horizontaux entre les différents secteurs d’activité rendent difficile l’instauration de politiques et de programmes cohérents. Il faut amener les grandes villes à être capables de prendre en compte tous les facteurs qui influencent la santé et à se doter des moyens nécessaires pour que tout le monde évolue vers le même sens. Des stratégies inclusives impliquant tous les secteurs concernés par la pollution (transports, industrie, aménagement urbain, santé etc.), permettront d’être à la hauteur des défis engendrés aujourd’hui par la pollution en milieu urbain. Par rapport à cette lutte contre cette menace, le leadership doit être porté par le secteur de la santé.
Il y a une nécessité absolue pour le secteur de la santé d’opter pour une orientation stratégique de prévention plus marquée, prenant en compte l’ensemble des déterminants de la santé
Il faut admettre de nos jours, que l’on ne peut plus enfermer la santé des Sénégalais dans le cadre étroit d’une médecine curative, d’autant plus que les facteurs qui en sont responsables sont à plus de 90 % non médicaux. Il s’impose aujourd’hui à tout le monde, que la préservation du capital santé passe par la préservation du capital environnement. Il convient donc d’élargir le champ de la maladie, de différencier les plans dans lesquels elle s’inscrit, puisque ses manifestations semblent impliquer tout un réseau de déterminants autre que la maladie elle-même. La naissance dans la société sénégalaise d’un consensus propice à des politiques publiques de maîtrise des risques, requiert qu’on ait une vision globale et qu’on développe des stratégies qui ne s’attaquent pas seulement de façon transitoire à la morbidité, mais qui s’attaquent plutôt aux racines de celle-ci. La définition des politiques en matière de santé s’est trouvée souvent limitée par le caractère multidimensionnel des déterminants et par la difficulté d’intervenir sur les causes structurelles, alors que l’action publique se déployait plus facilement à travers des mesures ciblées sur des populations défavorisées.
Sur le plan opérationnel, il faut reconnaître que le secteur de la santé a toujours eu des difficultés à désectoriser la santé, c’est-à-dire, à la placer dans un cadre plus vaste où elle peut être perméable aux véritables relations de cause à effet qui, dans la réalité, déterminent ce secteur, comme l’économie, l’environnement, la culture, l’hygiène, l’assainissement, etc. Aujourd’hui, il est plus que jamais nécessaire d’élargir le champ de la politique de santé publique, c’est-à-dire dépasser le seul pilotage du système de soins qui n’est, au fond, qu’un partenaire parmi tant d’autres dans l’amélioration de la santé des populations sénégalaises, et placer cette dernière à la croisée de toutes les politiques publiques. Dans certains cas, on travaillera simplement à optimiser le potentiel synergique des autres secteurs et dans d’autres cas, à neutraliser les éventuelles externalités négatives qui leur sont liées.
En tous les cas, dans le contexte actuel, une orientation stratégique plus marquée de prévention s’impose. L’expérience que le Sénégal a tirée de la lutte contre la maladie, nous a montré que l’application large dans notre pays de stratégies préventives simples, peu onéreuses et très efficaces, mettant l’accent sur les relations réciproques entre population, environnement, mode de vie et santé, peut permettre d’obtenir des résultats spectaculaires en termes de recul de la morbidité, dans les circonstances où pourtant la situation socio-économique objective n’était pas favorable pour les milieux populaires. Il faut que les activités de promotion de la santé et de prévention des maladies occupent une place tout aussi importante que la Cmu, ce qui pourrait amener les Sénégalais à devenir des promoteurs actifs de la santé soucieux de la préservation de leur capital santé, et non des consommateurs passifs de soins. Il est important qu’émerge aujourd’hui une conscience de la complexité des déterminants de la santé au Sénégal mais aussi, la nécessité de mieux intégrer cette complexité dans l’examen des risques. Il faut encore une fois de larges investigations autour du couple santé/système de santé des populations, mais au-delà, autour des politiques publiques comme instrument collectif visant à améliorer l’état de santé des populations.
Professeur Oumar FAYE
Hôpital Albert Royer Dakar