La personne interpellée pourra désormais se faire assister par un avocat.
La circulaire qui le permet pourrait être révolutionnaire si beaucoup de contraintes n’en limitaient pas les effets.
Depuis hier, en application du Règlement n°5 de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa), les personnes interpellées par les forces de police ou de gendarmerie peuvent se faire assister par un avocat. Ce, dès les premières heures de leur garde à vue. Seulement, cette mesure quoique révolutionnaire, risque de buter sur un ensemble de contraintes qui pourraient la vider de toute sa substance.
Il y a d’abord que les avocats appelés à assister les personnes interpellées sont en nombre insuffisant en plus d’être concentrés, dans leur écrasante majorité, au niveau de Dakar. Ce, en raison du volume du contentieux élevé dans la capitale. Pour une population de 14 à 15 millions d’habitants, le Sénégal ne compte que 358 avocats. A titre simplement illustratif, la région de Kédougou qui abrite une population estimée à 151 357 habitants, ne compte aucun avocat. Ce qui pousse les justiciables de la région frontalière avec la Guinée à se rabattre sur Tamba, qui ne compte que deux «robes noires». Ce qui est paradoxal, c’est que les magistrats sont bien plus nombreux que les avocats. Ce déficit n’est pas près d’être comblé puisque l’essentiel des effectifs tient son cabinet à Dakar et le concours du Barreau, qui se tient tous les trois ans, est jugé très «sélectif». Kédougou ne dispose pas, non plus, d’huissiers chargés de l’exécution des jugements et autres décisions de justice. Côté notariat, seul un notaire est récemment installé dans la région, avec notamment le cabinet de Me Mame Bobo Ba.
L’autre écueil concerne l’assistance juridique qu’évoque la circulaire mais qui n’est obligatoire qu’en matière criminelle. Conséquence : seules les personnes nanties pourront s’attacher les services d’un avocat à cette étape de la procédure. Sauf si l’Etat met en œuvre des mesures d’accompagnement.
L’éloignement est une autre contrainte. Pour rester sur l’exemple de Kédougou, distant de la capitale de 694 kilomètres et dépourvue d’avocat, avant qu’une «robe noire» ne quitte Dakar pour y venir, le délai de garde à vue (48h renouvelable pour les délits, 96 h pour les crimes) a toutes les chances d’expirer.
Il y a, également, le silence du règlement de l’Uemoa sur les modalités de l’assistance par l’avocat de la personne interpellée. L’avocat va-t-il participer à l’interrogatoire ? Ou bien, sera-t-il ravalé au rang de simple spectateur ? Va-t-on construire dans les commissariats de police et autres brigades de gendarmerie des salles pour avocats ? Quelle sera la durée de l’entretien entre avocat et son client ? Autant de questions qui restent sans réponse.
Pour rappel, l’article 5 du règlement de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) que la circulaire se charge de réceptionner en droit interne prévoit que les avocats assistent leurs clients dès leur interpellation, durant l’enquête préliminaire, dans les locaux de la police, de la gendarmerie ou devant le parquet. Ce texte est entré en vigueur depuis le 1er janvier 2015. En octobre 2017, le Sénégal a modifié son Code de procédure pénale pour l’y insérer.
Ibrahima ANNE