Un des survivants du massacre de Bofa ayant coûté la vie à 13 personnes, samedi dernier, Amadou Diallo raconte les minutes de l’exécution de ses compagnons d’infortune.
Ce lieu qu’il avait l’habitude de fréquenter devient, désormais, une zone interdite, depuis le jour de l’exécution.
La forêt de Bofa, Amadou Diallo la connait bien. Depuis plusieurs années, il y exerce. Mais, plus maintenant car il y a vécu l’horreur, samedi dernier, quand 13 de ses compagnons d’infortune ont été froidement abattus sous ses yeux par des hommes armés, assimilés à des combattants du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc). Comme tous les jours depuis plusieurs années, samedi, Amadou Diallo s’est réveillé très tôt pour se rendre à son lieu de travail : la forêt de Bofa. A bord de sa bicyclette, il avale les quelques kilomètres qui séparent son domicile sis à Kandialang. C’est dans la commune de Ziguinchor à cette localité devenue à la faveur de l’insécurité, un eldorado pour les trafiquants qui y développent une véritable économie de guerre. Mais, en cours de trajet, Diallo fait une rencontre inhabituelle. Il est intercepté par des hommes armés qui l’obligent à descendre et à les suivre. «J’ai eu vraiment peur. Surtout lorsque quelques centaines de mètres plus loin, je retrouve d’autres prisonniers», raconte cet homme d’une cinquantaine d’années que nous avons retrouvé allongé aux urgences de l’hôpital régional de Ziguinchor. Apparemment détendu pour avoir pris conscience de la clémence et de la maniabilité du destin, Amadou Diallo poursuit son récit : «On était une vingtaine à se retrouver dans cette situation. Les assaillants nous ont arrachés nos vélos, déchaussés avant de nous intimer l’ordre de nous coucher sur le ventre». Jusque-là, l’espoir était permis pour les prisonniers, pris dans l’étau d’une bande armée qui décidera de leur sort.
La sentence tomba quelques moments après quand les rebelles déchargent leurs fusils sur leurs prisonniers. «Quand ils ont commencé à tirer, les gens se sont levés pour tenter de fuir. Beaucoup n’ont pas eu le temps d’aller loin. Ils ont été abattus par les assaillants qui étaient une trentaine», raconte notre interlocuteur. Atteint de deux balles, blessé à la tête et au dos, Diallo donne l’impression d’être mort pour ne pas être achevé. Et c’est après le départ des justiciers, repartis avec l’impression d’avoir exécuté tout le monde, qu’il se leva. «Je suis entré dans la forêt pour tenter de rejoindre la route». Un périple risqué pour un blessé dans une zone où le danger est partout. Mais, il parvient à s’échapper. Une fois sur la route qui mène à Bissau, il embarque à bord d’un taxi clando qui le déposa au camp militaire. Aux urgences du centre hospitalier régional de Ziguinchor, il attire la curiosité. Mais, Amadou Diallo s’en remet à Dieu qui l’a sorti de cet enfer. Il se souvient encore des assaillants, habillés en tenue militaire ou en civil, certains encagoulés avec des perruques comme pour cacher leur identité. «Ils s’adressaient à nous en Diola et faisaient allusion à un accrochage entre les populations et les trafiquants de bois comme pour justifier leur action punitive», raconte-t-il.
Ces hommes armés, ils n’auront plus la chance de rencontrer Amadou Diallo sur leur chemin. Car, l’homme a décidé de tirer définitivement un trait sur son activité. «Pourtant, moi je ne fais que ramasser du bois mort, contrairement à d’autres qui abattent les arbres», se défend-il. Toujours est-il que durant le reste de sa vie, Diallo n’oubliera jamais ces moments qui épousent pour lui les contours d’une rédemption. Mais, ce destin de rescapé d’une journée d’horreur, il la partage avec un autre homme qui était couché à ses côtés au moment du carnage. «C’est le seul qui n’ait pas été blessé. Il était même venu nous rendre visite à l’hôpital», nous révèle Amadou Diallo qui se débarrasse ainsi de son «travail», mais pas des souvenirs de cette tragédie humaine qui endeuille encore une fois la Casamance.
Mamadou Papo MANE