CONTRIBUTION
En 2012, le Président Sall décida de partager le pouvoir avec la coalition qui lui permit d’accéder à la présidence. Un partage du gâteau qui a vu le Parti socialiste obtenir plusieurs postes au sein du gouvernement (ministres, directeurs généraux…) et pour couronner le tout, Ousmane Tanor Dieng, le premier responsable du Ps, est «élu» président du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct) avec une caisse noire de 50 millions, sans parler de la rémunération. Tous ces privilèges ne l’ont pas laissé intact. Il s’acharne aujourd’hui à freiner des personnes dont les ambitions sont légitimes au sein du parti. En bon soldat, il décide de véhiculer une pathologie instaurée par Senghor et mise en œuvre par Diouf. C’est ainsi qu’il affirme, avec des gens qui profitent des mêmes privilèges que lui, que le Ps ne se présenterait à aucune élection jusqu’en 2024 afin d’apporter au Président Sall le soutien nécessaire pour rester au pouvoir.
Au même moment, d’aucuns de ses frères de parti se voient traqués, acculés, poussés à la sortie. Pour la bonne et simple raison qu’ils estiment qu’un parti tel que le Ps, parti le plus structuré, le plus représentatif, pour ne pas dire la plus grande formation politique de l’histoire du Sénégal, n’a tout simplement pas le droit de ne pas présenter un candidat à quelques joutes électorales, à fortiori aux élections législatives de 2017 et aux présidentielles de 2019. Ainsi l’histoire se répète ! C’est dire que cette aristocratie socialiste, avec à sa tête Ousmane Tanor Dieng, est frappée d’amnésie. M. Dieng répète les coups de 1980 et de 1996. A savoir bloquer des «ambitieux» qui ont été pourtant ses lieutenants et qui l’ont aidé lors du congrès sans débat (Bamba Fall et Khalifa Sall). Ce Tanor Dieng a un problème avec la démocratie tout comme ses prédécesseurs. Ayant assisté à tous les coups anti-démocratiques du parti, il ne peut que se comporter de la sorte. Telle est l’éternelle pathologie démocratique du Parti socialiste.
En quoi consiste cette aristocratie socialiste ?
En 1960, année de l’accession du pays à la souveraineté internationale, le Sénégal opte pour un modèle politique assez proche du modèle français antérieur à 1958, avec des pouvoirs très importants donnés au président du Conseil et un rôle limité au président de la République. Cette répartition des pouvoirs va être au cœur d’une grave crise politique. Elle oppose le président du Conseil, Mamadou Dia, et le président de la République, Léopold Sédar Senghor, les deux chefs du premier exécutif sénégalais, en réalité déjà en désaccord à la veille de l’indépendance du Sénégal. Cette dualité au sommet de l’Etat a poussé Senghor à accuser Dia d’une tentative de coup d’Etat et à le faire emprisonner des années durant. Il résulte de cette crise politique une importante révision constitutionnelle en 1963 avec la suppression du poste de Premier ministre et l’instauration d’un régime présidentiel.
La politique au Sénégal continua son cours au sein du Ps. Quelques années plus tard, Senghor changea le type de régime avec une nouvelle révision de la Constitution (1970) et nomma Abdou Diouf au poste de Premier ministre. Cette nomination avait pour but de préparer le départ du président poète de la tête de l’Etat. Dix ans plus tard, en 1980, il démissionna et son Premier ministre devint d’office président au moment où, au Ps, siégeaient de potentiels prétendant aussi méritants et bien plus outillés pour prétendre à ce poste. La pathologie «démocratique» qui a séparé les chemins de Senghor et Dia prit ainsi de l’ampleur.
Le nouvel arrivant, le président Abdou Diouf organisa un congrès en 1984, en bon héritier de Senghor, avec des valeurs démocratiques qu’il comptait bien transmettre aux générations futures. C’est ainsi qu’il fit éliminer, lors de ce congrès, des amis chers à Senghor qui, à cette période, étaient plus légitimes politiquement. La complicité de Jean Collin l’aida à mettre au placard Alioune Badara Mbengue, Amadou Cissé Dia, Amadou Clédor Sall, etc. Ce qui lui permit d’asseoir tranquillement son autorité au Ps.
En 1996, un nouveau congrès se prépara et M. Diouf tenta de répéter le coup de 1980. Il décida de porter Tanor Dieng à la tête du parti à travers un congrès sans débat. Une erreur monumentale car elle causa le départ de deux cadors du parti, à savoir Moustapha Niasse et Djibo Kâ qui vont créer des partis politiques, emportant ainsi une importante partie de l’électorat du Ps. Ce qui affaiblira considérablement la majorité d’alors et conduira à la perte du pouvoir pour le désormais ex-président Abdou Diouf en 2000. Hélas, les héritiers du parti n’ont rien retenu de l’histoire. Le mal persiste. Pire, il a gagné du terrain.
Ousmane Tanor Dieng à la tête du Ps, après 12 ans d’opposition, accède au pouvoir avec le Président Macky Sall. Douze années très difficiles avec le départ de plusieurs cadres vers le Parti démocratique sénégalais (Pds). Cependant, M. Dieng qui demeurera digne, se maintiendra à la direction du pouvoir avec beaucoup d’abnégation, en compagnie de ses lieutenants qui étaient et qui sont encore aujourd’hui plus populaires et plus légitimes que lui (Khalifa Sall, Barthélémy Dias, Bamba Fall, Aïssata Tall Sall…). Ces derniers lui ont été loyaux et l’ont aidé à gérer le parti pendant toutes ces années. La remarque à faire ici est qu’à chaque fois que cette pathologie est manœuvrée, le Ps perd une partie importante de son électorat. Pourquoi alors s’entêter à l’utiliser ? Ou alors l’intuitu personae prime-t-il sur le système ?
Quel avenir pour ces lieutenants ambitieux ?
L’avenir de ces lieutenants, avec à leur tête, Khalifa Sall, était clair dès le début. Tout le monde savait que la prochaine étape était leur exclusion du parti. Un coup d’Etat qui s’est réalisé avec «la manière». Il était surtout essentiel de les «abattre» avant le procès d’élimination du lieutenant en chef. Chose faite à ce jour avec 69 personnes exclues du Ps dont Dias fils, Bamba Fall, Aïssata Tall Sall, Youssouf Mbow…
Khalifa est, en plus, en prison dans le cadre de la caisse d’avance de la mairie de Dakar. Une histoire certes vide, mais qui l’inculpe parce que les faits qui lui sont reprochés, sont réels. Sauf que c’est une pratique récurrente qui date d’Adam. C’est le système qui a rendu le faux, normal. C’est le système qui a rendu un mécanisme de faux et d’usage de faux, légal. Cette fausseté a toujours été sue, l’Etat du Sénégal savait toujours que cela se passait de la sorte sans mot dire. Mais puisqu’il s’agit cette fois d’un maire «ennemi» de l’«Etat», qui a une capacité de défier le loup, ce système devient bizarrement faux après plus de 50 ans de légalité. Donc, Khalifa Ababacar Sall n’est point coupable. C’est la jurisprudence des maires Mamadou Diop, Pape Diop et même Galandou Diouf qui le crédibilise. Même les profanes en droit savent que M. Sall est innocent par ce fait.
Mais puisqu’il est ambitieux et veut défier le loup, il aura le même sort que l’agneau, la raison du plus fort étant toujours la meilleure, dixit Jean de la Fontaine. Il sera jugé, condamné, puis gracié et ne pourra plus se présenter à une élection quelle qu’elle soit. Sans oublier Barthélemy Dias qui a été blanchi dans un premier temps par le loup quand il était à ses côtés, puis accusé et condamné quand il lui a tourné le dos. Le cas Bamba Fall aussi en est un exemple ostentatoire. En résumé, tous ceux qui se sont révoltés au sein du Ps, sont éliminés ou sont en train de l’être avec la complicité de Tanor Dieng.
«Personne ne m’empêchera d’avoir un deuxième mandat», dixit le loup. L’avenir de ces ambitieux est donc leur élimination politique avec des casiers judiciaires les empêchant ainsi de se présenter à des élections. Cependant, le Parti socialiste n’existe plus depuis que le loup est parvenu à le séparer de ses militants de la première heure. Aujourd’hui, 90 % de l’électorat du parti est expulsé, plus rien n’y reste. La fin du Parti socialiste irait de pair avec la fin du Mackysme (2019 ou 2024).
Que peuvent-ils faire pour éviter cette élimination ? Seule la lutte libère ! Battez-vous ! Ce procès ne se gagnera pas dans la salle 4 du tribunal, mais sur le terrain politique. La sentence ne viendra pas de la justice mais du sommet. A bon entendeur (…)
Djiby MBOUP
Analyste politique