CONTRIBUTION
«On avale à pleine gorgée le mensonge qui nous flatte, et l’on boit goutte à goutte une vérité qui nous est amère». (Denis Diderot)
Depuis l’indépendance, tous les régimes politiques qui se sont succédé à la tête du pays, n’ont jamais œuvré pour une politique sociale d’envergure prenant en compte les besoins légitimes et les droits humains des citoyens sénégalais. Pour l’essentiel, ils ont manqué de vision socio-économique capable d’orienter, voire de propulser l’action politique vers les secteurs clés de la vie nationale. Nos autorités étatiques ont toujours feint de penser que la solidarité en faveur des couches sociales les plus précarisées se réduisait de facto à l’octroi de quelques denrées alimentaires de première nécessité, voire de survie.
En dépit même des efforts certes dérisoires du régime du président Macky Sall d’aider les couches les plus vulnérables de la société sénégalaise, nous estimons que le véritable combat contre les inégalités sociales n’est pas dans les cordes de son gouvernement pour une série de raisons. Peut-on réellement parler d’efforts substantiels de nos autorités publiques en faveur de nos compatriotes pauvres lorsque le gouvernement du président Macky Sall s’enorgueillit du montant de 40 milliards de francs Cfa pour l’exercice budgétaire 2018 ? Le régime de la coalition Benno Bokk Yaakaar compte assister 4 000 000 de ménages sénégalais pour faire face à leurs pénibles conditions d’existence. Dans l’absolu, ce chiffre est trompeur dans la mesure où il vise plus à amplifier les efforts du gouvernement en faveur des bénéficiaires tout en masquant de manière significative leur impact réel sur le niveau de vie de ces populations, voire de leurs perspectives sociales de sortir de la précarité.
Dans son adresse à la nation du 31 décembre 2017, le président de la République insiste sur sa volonté de venir à bout de la misère de millions de citoyens qui vivent dans des situations inacceptables. Pointer du doigt la souffrance des Sénégalais est un fait. Cependant, se donner les moyens d’une véritable politique d’endiguement de la pauvreté de masse en est une autre. La politique sociale d’une nation s’apprécie sur un certain nombre de paramètres. D’une part, on ne peut pas parler d’une politique sociale lorsque les fruits de la croissance ne sont pas distribués de manière efficiente, voire équitable aux différentes couches de la population. En effet, nous constatons de manière récurrente que les autorités de la République investissent beaucoup de moyens financiers dans des projets qui ont peu d’impact significatif dans l’amélioration des conditions de vie des citoyens sénégalais.
Prenons à titre d’exemple le pôle urbain de Diamniadio. Le régime du président Macky Sall y concentre tous ses efforts en vue d’une émergence économique alors qu’au même moment, des villages, voire des zones sont abandonnés à leur triste sort. En matière de politique urbaine, l’Etat du Sénégal est en train de mettre en œuvre une ségrégation spatiale au profit exclusif du pôle urbain de Diamniadio. La politique urbaine du président de la République doit être corrigée dans la mesure où elle laisse en rade beaucoup de zones plus ou moins peuplées et qui, au demeurant, doivent participer de concert au développement du pays. Au regard de cette anomalie dans la gestion efficiente des infrastructures publiques, nos concitoyens les plus vulnérables ne sont pas pris en compte dans l’édification de la nouvelle ville de Diamniadio.
Qui plus est, le pouvoir d’achat des populations recasées sera en deçà des normes urbanistiques et économiques de la nouvelle zone. En effet, l’Etat du Sénégal n’a pas englobé dans son plan de gestion du pôle urbain de Diamniadio ces populations fortement précarisées. Cette ségrégation spatiale dans la même zone urbaine de Diamniadio va conduire irrémédiablement à un conflit latent entre deux catégories de citoyens : les riches, voire la nouvelle classe moyenne et les pauvres victimes d’un recasement, voire d’un traitement inapproprié et injuste qui seront obligés de squatter le pôle urbain pour survivre, contrairement à la vision opportuniste du zélé laudateur de la dynastie Faye-Sall, M. Yakham Mbaye basée sur «l’équité territoriale» en porte à faux avec la réalité observable sur l’étendue du territoire national pour reprendre la formule de son mentor le président de la République.
D’autre part, il serait incongru de vouloir conduire une véritable politique sociale alors que, tout compte fait, nos autorités publiques n’ont pas une vision stratégique de l’emploi de nos jeunes diplômés et les autres citoyens en marge du système éducatif. En effet, lorsque le régime du président de la République avance un taux de chômage de 11 %, les observateurs objectifs ne manqueront pas de dénoncer une supercherie politique en vue de masquer les vrais chiffres du chômage. La problématique du chômage nous renvoie à la pauvreté de masse de la population sénégalaise. En filigrane, on peut se demander en toute objectivité qui est chômeur au Sénégal en vue de battre en brèche les chiffres fantaisistes du gouvernement du président Macky Sall.
Dans le calcul du taux de chômage, il ne s’agit pas seulement de comptabiliser les personnes qui ont perdu leur travail et qui n’ont pas retrouvé une occupation salariée au bout de quelques semaines. Et même si on concède cette seule possibilité de calcul du chômage aux thuriféraires du roi de la Cour de Benno Bokk Yaakaar, leur chiffre ne résiste pas à l’analyse puisqu’il n’existe pas au Sénégal un organisme public où les demandeurs d’emploi doivent se présenter en vue de faire valoir leurs droits à une indemnité de chômage lorsqu’ils se retrouvent sur le carreau après une période d’activité. L’Etat du Sénégal ne se préoccupe nullement de ces hommes et femmes. Leurs droits sont bafoués quotidiennement par nos autorités publiques. Eu égard à cette injustice, est-ce qu’il est envisageable objectivement de parler d’un Sénégal émergent ? Non et encore une fois non.
Par ailleurs, dans quelle catégorie, voire nomenclature, l’Etat du Sénégal classe les milliers de jeunes diplômés sénégalais qui ne sont plus dans le circuit éducatif ? A partir du moment où ils n’ont pas d’activité rémunérée, ils sont des demandeurs d’emploi. Un demandeur d’emploi est un chômeur ni plus ni moins. Ces jeunes précarisés et qui ne voient pas le bout du tunnel en raison de l’incurie, voire l’incapacité de nos autorités à asseoir une véritable politique publique d’emploi, ne sont pas pris en compte dans les chiffres farfelus du pouvoir de Macky Sall. Egalement, on peut se demander dans quelle catégorie l’Etat du Sénégal regroupe nos jeunes non scolarisés et ceux qui sont sortis très tôt du système éducatif et qui arpentent par milliers nos rues, voire avenues à la quête de la pitance journalière. A ce titre, il faut relever le fait que les services de l’Etat ne sont pas en mesure de fournir des données précises et quantifiables du nombre de citoyens sénégalais en activité salariée en dehors du secteur public.
Il faut savoir raison garder et, de surcroît, orienter l’action gouvernementale dans la lutte contre le chômage de masse des jeunes sénégalais. Pour endiguer la précarité, voire la pauvreté grandissante dans nos villes et villages, il ne suffit pas de donner 25 000 francs Cfa par trimestre à un chef de famille, il faut utiliser d’autres leviers de l’Etat tels que l’imposition des firmes occidentales en vue de financer des projets structurels et porteurs de développement économique durable endogène ou tels qu’une politique agricole diversifiée qui va au-delà de la simple culture du riz, un élevage organisé répondant aux vrais besoins de la population, un secteur de la pêche mieux encadré en rupture des conventions léonines des compagnies maritimes occidentales. Certes, nos familles précarisées ne vont jamais renoncer à ces 25 000 francs par trimestre parce qu’elles vivent pour l’essentiel dans un total dénuement. Cependant, elles méritent plus de la nation. Il est pernicieux pour nos autorités publiques d’alimenter ces fonds en vue de fidéliser une clientèle politique. Nos pauvres compatriotes bénéficiaires de la bourse de sécurité familiale ne sont pas redevables en rien au régime du président de la République, Macky Sall.
L’Etat du Sénégal doit revoir de manière significative sa politique sociale s’il veut réellement lutter contre la pauvreté des citoyens. Il lui suffit juste d’être équitable et de repartir au profit des plus faibles, à savoir plus de la moitié de la population, les fruits de la croissance économique. Pour ce faire, nos autorités publiques doivent appuyer sur différents leviers très importants en matière de gestion économique : une politique publique d’emploi efficiente tenant compte de la démographie galopante, un programme d’orientation professionnelle qualifiante, une politique de fiscalité plus équilibrée répondant aux besoins réels de l’économie sénégalaise, un investissement massif dans le secteur primaire qui regroupe plus de la moitié de la population sans aucune qualification professionnelle.
A ce titre, nous estimons que l’Etat du Sénégal doit être plus ambitieux dans sa lutte contre le chômage de masse des jeunes. En effet, le nouveau Fonds national d’entreprenariat rapide de 30 milliards de francs Cfa annoncé par le président Macky Sall dans son allocution du 31 décembre 2017 ne prend pas compte de l’ampleur du délabrement du tissu social. Au plus, sur quels critères d’éligibilité vont se baser nos autorités publiques en vue de financer les projets ? Les mécanismes de financement peu orthodoxes du Fongip ont fini de démontrer singulièrement leur caractère partisan et, in fine, leur défaut criard de retour sur investissement. L’Etat du Sénégal a offert gracieusement de l’argent public à des hommes et des femmes qui n’ont aucune connaissance ni compétence managériale pour porter un projet de développement économique durable endogène. On voit bien que, contrairement au slogan creux et sans âme : «Le Sénégal de tous, le Sénégal pour tous» du président de la République, Macky Sall, nous sommes très loin d’une véritable politique d’inclusion sociale.
Pour faire mieux, pourquoi l’Etat du Sénégal n’inscrit pas dans la Constitution le droit à un revenu d’insertion sociale inaliénable comme les autres droits humains ? Cette proposition ne relève pas de l’utopie. Et qu’on ne vienne pas me dire que le Sénégal est un pays pauvre qui n’a pas les moyens de cette politique sociale d’envergure. Il faut se donner les moyens de sa politique en évitant à tout va un saupoudrage en vue de tromper nos concitoyens les moins avertis. Il faut oser le pari en gérant de manière juste, équitable, voire efficiente nos potentialités économiques. Il y a de la place pour ça. Se contenter du peu que l’Etat du Sénégal distribue à nos compatriotes pauvres et, de surcroît, s’en glorifier, est le summum du manque d’ambitions, voire de l’irresponsabilité.
Les citoyens sénégalais ne sont pas un bétail électoral que notre président par défaut Macky Sall compte amadouer avec nos deniers publics sous forme de bourse de sécurité familiale qui ressemble davantage à une aumône ou autres, à travers les fameux fonds politiques en vue de torpiller le jeu démocratique et, in fine, de corrompre de manière assez subtile nos pauvres parents pour gagner l’élection présidentielle de 2019. La solidarité sociale en faveur des plus démunis ne peut nullement servir de programme électoral en vue de maintenir nos compatriotes dans une certaine dépendance, une servitude volontaire, voire contraignante inacceptable dans un Etat moderne respectueux des droits humains.
Massamba NDIAYE