C’est le paradoxe de l’affaire. Accusateur délié de la charge de prouver ses accusations, le pouvoir de Macky Sall se retrouve dans l’obligation d’administrer la preuve des allégations de son ancien Premier ministre.
En 2015, après un procès qui a tenu tout le pays en haleine, la Crei rend son verdict. Dans la sentence, des peines privatives de liberté et des peines pécuniaires sont prononcées. Pressés de voir les rideaux tomber sur ce dossier, les Sénégalais passent, enfin, à autre chose et laissent aux politiques le service après-vente. Dans la conscience collective, nul ne s’attarde sur la réalité de l’exécution des peines prononcées par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) ni sur le recouvrement des biens saisis. Mais, la semaine dernière, l’ancien Premier ministre rappelle ce dossier à leur souvenir. Celle que l’on surnomme Mimi, ancienne Garde des Sceaux, révèle que 200 milliards ont été recouvrés par la Crei au titre de la traque dite aux biens mal acquis. Le but du jeu, c’était de démontrer la pertinence et l’efficacité d’une opération «mains propres». Mais, également, de mettre en joue ceux dont les dossiers ont été mis «sous le coude». Sauf que, en voulant se prêter au jeu, Mimi Touré s’est retrouvée dans la posture de l’accusateur accusé. Parce que, en effet, c’est maintenant à l’Etat de prouver deux choses. D’abord, la réalité du recouvrement. Ensuite, la destination des 200 milliards allégués. L’une comme l’autre se sont révélées, au finish, pas ou peu évidentes tant les louvoiements et prises de distance vis-à-vis de Mimi se sont multipliés dans le camp de la Majorité.
Visés par une procédure devant la Crei, Aïda Ndiongue et Abdoulaye Baldé, respectivement ancienne sénatrice proche de l’ex-président de la République, et ancien ministre d’Etat et ancien directeur exécutif de l’Anoci, ont, tous les deux nié en bloc avoir versé un seul copeck à la juridiction spéciale. Des dénégations à double détente. D’abord, elles lavent leurs auteurs à grande eau. Mais, effet boomerang, elles rendent Mimi Touré davantage débitrice d’une obligation de répondre aux deux questions à lui posées supra. La sortie du Président de l’Assemblée nationale ne fera qu’enfoncer la ligne Mimi qui s’effiloche comme un vieux tissu. Devant l’instance jeune de son parti, Moustapha Niasse, à la tête du Parlement depuis 2012, dit n’être au courant d’aucune loi de finances rectificative ayant permis d’absorber les fonds prétendument recouvrés. Malgré tout, l’ancienne ministre de la Justice et maîtresse d’œuvre de la traque «persiste, signe et assume». Sans, toutefois, apporter ne serait-ce qu’un début de preuve de ce qu’elle avance et qui, à bien des égards, constitue un caillou dans la chaussure de celui qui incarne la traque, au plus haut niveau, le président de la République, en l’occurrence. Sauf à penser que Mimi est dans une stratégie de guerre qui lui impose de garder certaines de ses munitions pour plus tard, l’on peut dire sans risque de se tromper que c’est Macky Sall qui doit être mal à l’aise dans ce débat que son Envoyée spéciale a été la première à soulever. Ce, à un double niveau. Politiquement, à presque 13 mois de la présidentielle, il aurait certainement voulu se passer d’une procédure accusatoire dont son système est incapable de fournir les preuves. Sur ce, la sortie du porte-parole adjoint de l’Apr – pendant que Benno fait le dos rond- aura été plus un «service camarade» qu’autre chose, Abdou Mbow n’ayant fait que répéter, mot pour mot, les propos de Mimi Touré. Techniquement, Mimi Touré semble esseulée dans son combat contre tous. Si c’est le ministère de la Justice, via le parquet spécial de la Crei, qui initie les poursuites, au nom du Peuple sénégalais, c’est bien le ministère des Finances, par le truchement de l’Agent judiciaire de l’Etat, qui recouvre et intègre les biens dans les lois de finances au nom et pour le compte de ce même Peuple. Or, depuis le début de la polémique, l’avenue Peytavin prend soin de ne pas participer au débat. Ce qui ne fera que conforter les encore sceptiques de la légèreté des déclarations de Mme Mimi Touré qui, visiblement, et c’est le moins que l’on puisse dire, peine à administrer la preuve d’abord de la réalité, ensuite de la finalité, des milliards allégués.
Ibrahima ANNE