Directeur exécutif d’Amnesty International Sénégal, Seydi Gassama déplore l’immixtion de l’Exécutif dans les affaires de la Justice.
Il en veut pour preuve les dossiers Karim Wade, Khalifa Sall et Imam Sèye et lance un avertissement au pouvoir pour qu’il n’en soit pas ainsi pour l’imam Ndao et Cie dont le procès est prévu mercredi prochain.
La section sénégalaise d’Amnesty international exprime son indignation face au fonctionnement de la Justice sénégalaise. Celle-ci est, selon elle, bloquée par l’ingérence du pouvoir exécutif. «Les tribunaux sont les derniers garants des libertés des personnes. Mais lorsque les tribunaux font l’objet de manipulations et de pressions diverses pour les amener à poursuivre certaines personnes et à laisser d’autres personnes parce qu’elles sont du côté du pouvoir, cela pose évidemment problème. Vous savez que le problème de la Justice, ce n’est pas d’être juste et équitable mais c’est aussi la perception des citoyens. Aujourd’hui malheureusement, c’est les acteurs de la Justice qui dénoncent les pressions contre eux, les efforts déployés par l’Etat pour les amener à prendre des décisions dans le sens de ces déshydratas. Je crois que nous devrons nous mobiliser tous pour protéger la Justice et faire en sorte que l’Exécutif ne s’immisce plus dans cette question- là», avertit Seydi Gassama, directeur exécutif d’Amnesty Sénégal. Déclaration faite hier à Yeumbeul par ses responsables, lors d’une session de formation consacrée à l’état civil organisée par la structure non-étatique, en collaboration avec la mairie de cette localité.
Au sujet de procès de l’Imam Alioune Badara Ndao prévu ce mercredi 27 décembre au palais de justice Lat-Dior, M. Gassama met en garde : «sur le procès de l’Imam Ndao prévu le 27 décembre, il faut que l’Exécutif reste en dehors de ces affaires-là. Vous vous rappelez tous lorsque l’imam Ibrahima Sèye de Kolda qui était poursuivi pour apologie du terrorisme a été condamné à un an de prison, le président de la République lui-même a pensé que la peine était légère. Et le parquet a fait appel et la Cour d’appel a corsé la peine en le condamnant à 2 ans ferme. Ce sont des immixtions inacceptables dans le fonctionnement de la Justice. Il faut que le chef de l’Etat arrête cela. Il y a une séparation des pouvoirs de par la Constitution de ce pays. S’il veut que les Sénégalais aient confiance en la Justice, il faut qu’il arrête de se mêler du travail des juges et de commenter les décisions de Justice et pousser le parquet à faire appel sur des décisions de Justice qui ont été rendues».
Les dossiers de Karim Wade et du maire socialiste de Dakar Khalifa Sall se sont invités aux débats. Le directeur exécutif de la section sénégalaise d’Amnesty parle d’une justice à deux vitesses avec une traque ciblée contre les adversaires du pouvoir. «Karim Wade a été jugé, mais nous avions dénoncé le caractère sélectif des poursuites contre les responsables du Pds. La Crei (Cour de répression de l’enrichissement illicite) a existé depuis 1980. Et les gens qui ont géré depuis 1980 et qui se sont enrichis au vu et su des sénégalais ? Les anciens socialistes, la Crei devrait poursuivre ces personnes aussi. Pourquoi on a réactivé la Crei pour uniquement poursuivre les gens qui étaient avec Abdoulaye Wade et en l’occurrence Karim Wade ? Parce qu’en réalité, elle a été la seule personne qui a été réellement jugée et condamnée ? Toutes les autres ont été des victimes collatérales des poursuites contre Karim Wade. Donc, c’est troublant et inacceptable».
Pour le cas de Khalifa Sall dont le procès est prévu le 3 janvier 2018, Seydi Gassama assène : «Le cas Khalifa Sall, c’est également la même chose. Combien de personnes autour du président de la République sont épinglées par les corps de contrôle de l’Etat ? Elles jouissent d’une impunité totale et d’autres personnes ayant des dossiers pendants qui étaient dans l’opposition ont transhumé pour se mettre à l’abri. Au même moment, on poursuit un maire parce qu’il a géré une Caisse d’avance de la même manière que ses prédécesseurs depuis les années 1920. Si réellement on voulait la bonne gouvernance, on aurait dû changer simplement les règles et l’empêcher d’utiliser ladite Caisse d’avance comme il le pense pour tirer ses avantages politiques. Mais non, on le poursuit et on met tout en place pour le condamner comme on avait fait avec Karim Wade». Pour ce qui est de la situation des droits de l’homme dans notre pays, Seydi Gassama d’affirmer que «l’Etat des droits de l’homme au Sénégal comme dans la plupart des pays africains pose problème. C’est le moins que l’on puisse dire. Il y a d’énormes problèmes en matière de droits humains. Je prends seulement comme exemple l’indépendance de la Justice. Lorsque dans un pays la Justice n’est pas indépendante, aucune autre liberté ne peut pas être respectée». Avant de conclure en exhortant encore l’Etat à ne pas s’immiscer dans les décisions de Justice.
Théodore SEMEDO