Enfin le jour tant attendu est arrivé. Après neuf mois de détention, Khalifa Sall et ses 7 présumés complices (dont 5 en prison et 2 sous contrôle judiciaire) comparaissent ce jeudi devant le Tribunal correctionnel, au palais de justice Lat-Dior.
Cette histoire de détournement présumé portant sur 1,8 milliard fait suite à un rapport d’audit de l’Inspection générale d’Etat (Ige), sur la gestion de la Caisse d’avance, à la mairie de Dakar. Dans cette affaire instruite sous le règne de deux ministres de la Justice (Sidiki Kaba et Ismaïla Madior Fall), on reproche aux prévenus 5 délits qui risquent de leur valoir jusqu’à 5 ans ferme, à savoir : «associations de malfaiteurs, détournement de deniers publics, escroquerie portant sur des deniers publics, blanchiment d’argent, faux et usage de faux».
Tout comme le jugement de Karim Wade qui a duré 8 mois, ce procès qui fera date dans l’histoire politico-judiciaire du Sénégal risque de s’étaler sur plusieurs jours, en raison de la pluralité des parties prenantes (ministère public, défense, agent judiciaire de l’Etat, témoins). Mais comme il est de tradition au Temple Thémis, toute «affaire nouvelle» est reportée, en vue de permettre aux avocats nouvellement constitués de s’imprégner du dossier. Et même un renvoi en audience spéciale n’est pas à exclure. La responsabilité pénale étant individuelle, WalfQuotidien revient sur ce que l’accusation retient pour chacun des 8 prévenus.
KHALIFA SALL, DEPUTE-MAIRE DE DAKAR
Responsable de la caisse
Il est le prévenu principal sur qui tourne toute l’accusation, les autres étant poursuivis comme complices pour la plupart. Au-delà de son statut de responsable moral de la mairie de Dakar, Khalifa Sall occupe la première marche du podium, au banc des accusés. Il est défendu par un collectif composé, pour l’instant, de 11 avocats, sans compter les nouvelles constitutions attendues, ce jour. Durant toutes les étapes de la procédure, le député-maire de Dakar est resté constant : la Caisse d’avance est alimentée par des fonds politiques et par voie de conséquence, il n’a jamais détourné un seul centime de l’argent du contribuable. Telle est sa conviction toute faite : «Il s’agissait de fonds politiques que j’utilisais de façon discrétionnaire au profit des administrations, des institutions et des populations démunies et nécessiteuses. Je n’ai jamais utilisé les fonds politiques à des fins personnelles». «De toute ma vie et de toute ma carrière, c’est la première fois que je fais l’objet d’accusations aussi calomnieuses. En servant l’Etat, j’ai toujours été respectueux de la loi et des règlements. Je ne suis pas un homme d’argent et tous les Sénégalais connaissent mon train de vie et mes moyens de vie», se défend-t-il.
MBAYE TOURE, DAF DE LA VILLE DE DAKAR
La clef de la caisse
Depuis 20 ans, Mbaye Touré a été le Directeur administratif et financier (Daf) à la mairie de Dakar. L’homme est au centre de l’accusation, pour avoir déclaré avoir remis 30 millions en main propre à Khalifa Sall, chaque mois. Contrairement à l’enquête préliminaire où on lui a prêté des aveux, il a toujours été en phase avec Khalifa Sall au moins sur un point : la Caisse d’avance est alimentée par des fonds politiques. «La Caisse est considérée comme un fonds politique et donc la justification n’a pas son importance. Elle est destinée à la mise à disposition de fonds politiques. C’est une question de simple appellation. J’ai signé́ pour permettre d’alimenter ladite Caisse, des fonds politiques mis à la disposition du maire à travers le mécanisme que j’ai trouvé́ sur place. Dès l’instant qu’il s’agit de fonds politiques, les pièces justificatives n’ont plus leur raison d’être. C’est pour de simples commodités comptables», soutient-il. Devant le doyen des juges, Mbaye Touré a estimé que jamais Khalifa Sall n’a vu des documents, jamais donc il n’a signé, jamais il n’a pas vu de faux, jamais il n’a usé de faux. Et que le même procédé prévaut de Lamine Guèye à Khalifa Sall en passant par Mamadou Diop et Pape Diop. Néanmoins, il reconnait que les factures, les commandes et les procès-verbaux de réception faisant état d’achat de mil et de riz étaient faux. Défendu par Me Bamba Cissé, Mbaye Touré n’est pas sans passé pénal. Sous l’ancien maire Pape Diop, il a été́ inculpé suite à un audit de l’Agence de régulation des marchés publics (Armp). Cela faisait suite à l’achat de denrées alimentaires à hauteur de 100 millions par entente directe.
IBRAHIMA YATMA DIAW, CHEF DIVISION FINANCIERE
Le commissaire, des comptes aux «fonds politiques»
Il capitalise 15 ans de service, à la municipalité de Dakar, en qualité de comptable. Il a été chef de la Division financière et comptable jusqu’au moment de son arrestation. Pour Ibrahima Yatma Diaw, «la Caisse d’avance pouvait être assimilée à des fonds politiques». Des aveux circonstanciés sont inscrits à son actif : «J’ai signé des procès-verbaux de réception de mil et de riz, mais j’avoue que je n’ai jamais été témoin de livraison de ces produits en question. La seule explication est que cette Caisse était gérée de manière exceptionnelle et cette gestion n’entrait pas dans le cadre de la gestion ordinaire de la ville de Dakar».
AMADOU MOCTAR DIOP, CHEF DES SERVICES MUNICIPAUX
L’historien de la caisse
Jusqu’au moment de son arrestation, Amadou Moctar Diop fut le coordonnateur de l’Inspection générale des services municipaux. Avoir expliqué que le procédé à l’origine de l’arrestation de Khalifa Sall existait sous le magistère de Pape Diop ne l’a pas tiré des mains de Dame justice. «J’ai signé parce que cela répondait à des préoccupations d’ordre comptable. Le procédé de régularisation était le même avec le maire Pape Diop», a-t-il confié au juge d’instruction. Selon des informations publiées dans la presse, il n’est pas sans passé pénal pour avoir été, auparavant, mêlé à une affaire similaire. Il a été mis aux arrêts par la Section de recherches de la Gendarmerie, en 2012 avant d’être remis en liberté par le procureur.
YAYA BODIAN, CHEF DU BUREAU DU BUDGET
Le surveillant de la caisse
Yaya Bodian a été chef de bureau du budget de la ville de Dakar. Selon l’accusation, c’est lui qui a fait des démarches pour se procurer des fractures, pour justifier les dépenses de la Caisse d’avance. Son chef de service, Mbaye Touré, lui a suggéré de se rapprocher de Fatou Traoré pour que cette dernière lui prête l’entête du Gie de son frère, selon les éléments du dossier. «En remplissant les factures qui ne correspondaient à aucune livraison, je n’étais pas conscient d’être en train de commettre du faux. C’est maintenant que je me rends compte de la gravité des faits, particulièrement après le passage de l’Ige. J’établissais les factures que je signais moi-même. Et il n’y a jamais eu de livraison de mil ou de riz», dit-il.
ADJA FATOU TRAORE, ASSISTANTE DU DAF
Seule dame au banc des «accusés»
Ses démêlés avec Dame surviennent après près de 30 ans de service, à la mairie de Dakar. D’avoir fourni l’entête du Groupement d’intérêt économique (Gie) Tabaar lui vaut son incarcération à la Maison d’arrêt pour femmes de Liberté 6. Assistante du Daf, Mme Samb née Adja Fatou Traoré a reconnu, sans ambages, avoir prêté l’entête du Gie de son frère sans aucune arrière-pensée. Des aveux réitérés aussi bien à l’enquête préliminaire que lors de l’audition devant le doyen des juges. Reste à savoir si les aveux seront maintenus à la barre.
BOCOUM ET TOURE, EX-PERCEPTEURS
Les guichetiers
Anciens receveurs-percepteurs, Mamadou Oumar Bocoum et Ibrahima Touré sont les deux seuls prévenus à comparaitre libres à ce procès. Sauvés par leur appartenance politique, selon Me Ciré Clédor Ly, ils ont été placés sous contrôle judiciaire, après leur face-à-face avec le doyen des juges. Cela, après leur inculpation pour «association de malfaiteurs, complicité de détournement de deniers publics et complicité d’escroquerie portant sur des deniers publics». Ibrahima Touré a succédé à Mamadou Oumar Bocoum en juillet 2015 après la nomination de ce dernier à la l’Agence comptable des grands projets de l’Etat et du Plan Sénégal émergent (Pse). Si Touré a eu à gérer la Caisse d’avance en moins de deux mois, son prédécesseur, Bocoum a occupé ce poste pendant plusieurs années en tant que collaborateur de Khalifa Sall. En dehors de leur appartenance politique, leur mémoire de 40 pages adressé au doyen des juges a aussi milité en faveur de leur non-arrestation. «Ce n’est pas à nous de vérifier la réalité matérielle des commandes initiées par le maire de Dakar. Notre rôle, c’est que le maire nous ordonne de payer, sur la base de factures et nous payons», lit-on dans le document.
Pape NDIAYE