Est-ce parce qu’ils ne sont pas en mesure de démentir quoi que ce soit que des contes et des fables sont racontés à leur sujet ? A écouter le ministre Ismaïla Madior FALL, on serait tenté de croire que les détenus sénégalais sont dans leur «olala », ne manquant presque de rien. Si ce n’est pas leur infliger une double peine, ça en a tout l’air.
Nos prisons sont-elles des hôtels cinq étoiles ? A entendre les autorités, on serait tenté de le croire. En visite à Mbour au début du mois de novembre passé, le ministre de la Justice, qui prenait contact avec ses services, avait plus qu’exagéré en parlant des conditions de détention des prisonniers sénégalais. «Depuis 2012, beaucoup d’efforts sont consentis par les pouvoirs publics pour améliorer le confort au niveau des différents établissements pénitentiaires, avec la prime journalière pour la prise en charge des détenus, qui est aujourd’hui arrêtée à 1000 francs CFA par prisonnier, avec une augmentation prévue à partir de 2018 », avait indiqué Ismaïla Madior FALL. Ceux qui pensaient que le ministre, qui venait d’être nommé, avait fait une mauvaise appréciation d’un secteur qu’il ne connait que théoriquement, ont vite déchanté en l’entendant à l’Assemblée nationale refaire état d’un confort des détenus à améliorer. En effet, au vote du budget 2018 du département de la Justice, Ismaïla Madior FALL va réitérer les mêmes propos devant les députés. « Aujourd’hui, il y a des efforts qui sont faits pour améliorer les conditions de détention des personnes, avec la dotation de chambres frigorifiques pour conserver les aliments, mais aussi avec des ventilateurs et des extracteurs dans la plupart des établissements pénitentiaires », a-t-il indiqué. Avant d’annoncer l’augmentation de la prime quotidienne de prise en charge qui passe de 1000 francs CFA à 1035 francs CFA. Selon le constitutionnaliste, « environ cinq milliards de francs CFA sont consacrés dans le budget 2018 à l’alimentation dans les prisons ». Le garde des Sceaux a, par la même occasion, renseigné que la population carcérale est estimée à environ 10.313 pensionnaires à la date du 30 octobre.
Si on s’en arrête à ces chiffres donnés par Ismaïla Madior FALL, on constate un trou de près de deux milliards de nos francs. En effet, 10.313 pris en charge à hauteur de 1000 F CFA la journée, c’est 3 764 245 000 de FCFA, contrairement aux 5 milliards annoncés par le ministre. En outre, le ministre qui affectionne visiblement les statistiques, a indiqué que «le nombre de détenus est ainsi réparti d’un à 30 jours (1700), de 30 jours à un mois(746), de six mois à trois ans(1457), de trois ans à six ans (176), plus de six ans (138) ». Mais, ce que le ministre semble ignorer, et c’est normal vu qu’il n’est allé en prison que la visiter, que les détenus qui en ont pour quelques mois ne sont pas généralement pris en charge par l’Etat. Du petit déjeuner au diner, ce sont les parents et/ou les proches qui leur envoient à manger. A défaut d’y être incarcéré, un tour aux alentours de la maison d’arrêt de Rebeuss permet de se rendre compte des nombreux repas qui y sont journellement convoyés.
Pour les détenus qui ne comptent sur personne au dehors pour manger, ce sont leurs co-détenus, dans une solidarité qui n’existe pas à l’extérieur, qui leur permettent de manger. Ceux qui sont réellement pris en charge par l’administration pénitentiaire constituent une infime minorité. Et que ne donneraient-ils pas pour ne pas avaler le «diaga » ? Ce plat-là, c’est insulter les détenus que de dire qu’il peut coûter plus de 200 francs CFA. Le détenu qui débarque à Rebeuss est mis en garde et persuadé que c’est plus de la colle que de la nourriture. S’il en doute, un «ancien » prendra du plaisir à le lui démontrer à en prenant une poignée qu’il jette au mur. Cela peut faire là-bas la durée de sa peine sans jamais se détacher.
En dessinant ce tableau aussi reluisant des maisons d’arrêt, le ministre de la Justice inflige une double peine aux détenus et pourrait inciter certains badauds à vouloir y aller pour au moins bien manger à leur faim.
Mame Birame WATHIE