CONTRIBUTION
La nouvelle déclaration de politique générale du Premier ministre ne s’inscrit pas dans la continuité, mais consacre effectivement une quatrième et dernière vision du président de la République qui va néanmoins dans le bon sens. Au vu de la situation macroéconomique, il ne s’agit pas simplement d’une vision électoraliste mais d’un changement de cap qualifié «d’inclinaison sociale» du Pse, et baptisé un «Sénégal de tous, un Sénégal pour tous». Nous aurions préféré «Un Sénégal où chaque citoyen ou communauté de citoyens prend son destin en main». Cependant, comme nous le disions au sortir des législatives, le peuple semble le vouloir mais sous le leadership de l’Etat. Notre Etat socialiste et socialisant adapté à cette volonté l’a présentée de la manière suivante dans la déclaration de politique générale : «Un Sénégal sans exclusion, où tous les citoyens bénéficient des mêmes chances et des mêmes opportunités pour réaliser leur potentiel et prendre en main leur destin». Dans ces conditions, il se comprend aussi que dans la forme, qui n’est pas notre préférence, que la réunion conjointe avec les bailleurs se soit tenue la veille de la déclaration de politique générale. Notre équilibre budgétaire dépend encore effectivement de l’extérieur en attendant les ressources pétrolières et gazières.
Nous disions dans nos commentaires sur le dernier message à la nation du président de la République qu’il semblait s’être rendu compte que sa troisième vision, celle essentielle du Pse, de «transformation structurelle par le choix et l’appui judicieux de secteurs économiques potentiellement porteurs de croissance, notamment l’agriculture, pour financer des objectifs sociaux» n’était pas la bonne et que celle d’un Sénégal inclusif et solidaire est ce que le gouvernement était en mesure de réaliser, y compris par l’agriculture. Cela est d’autant plus vrai que la lenteur dans l’ajustement budgétaire qui était en cours et en réalité stoppé en 2014 afin de mener une politique de croissance sous le leadership de l’Etat nous a inefficacement endettés. Cet endettement, comme sous le régime précédent, a soutenu la croissance du secteur tertiaire en y injectant de la liquidité de façon insoutenable, mais cette fois-ci dans le contexte d’un environnement international favorable. De ce fait, notre commentaire de 2014 s’est confirmé. Il postulait que «si le Plan Sénégal Emergent dans son volet transformation structurelle et industrialisation est mis en œuvre à court terme, nous risquons de gaspiller nos ressources publiques et nos capacités d’endettement que nous devrions orienter à court terme vers les secteurs sociaux». La transformation structurelle n’est pas effective et n’est pas suffisamment amorcée pour justifier une inclinaison sociale, mais le social doit prendre le dessus, car il est seul adapté au contexte.
Par ailleurs, notre commentaire disant que la transformation structurelle de l’économie sénégalaise ne se fera pas sous le leadership et l’impulsion de l’Etat mais bien celui du secteur privé national appuyé, est confirmé par l’Etat qui demande au secteur privé de prendre son relais. Ce dernier ne le peut malheureusement pas, nous le disions, car notre monnaie est surévaluée et le secteur financier est incapable de porter l’industrialisation par le privé national en l’état actuel des choses. Ceci du fait de l’absence de ressources longues, de leviers adéquats pour financer les Pme, et d’une stratégie d’endettement public adaptée. L’endettement par les ressources extérieures mêmes concessionnelles n’est pas adapté à cause des vulnérabilités qu’il crée et qui vont nous empêcher d’oser réformer notre monnaie si cette dernière devait se dévaluer. Aussi, l’articulation nécessaire entre la caisse de dépôts et consignations, le Fonsis, le Fongip, la Bnde, et le système bancaire classique pour avoir l’effet de levier nécessaire n’est pas encore trouvée.
Nous disions enfin que lorsque «les conditions d’un leadership d’Etat ne sont pas réunies, c’est à dire : (i) un environnement macroéconomique et financier propice (ii) la capacité de faciliter la découverte de nouveaux secteurs qu’on choisira d’appuyer au vu de ressources publiques limitées et (iii) une capacité de l’Etat à corriger les insuffisances du marché et surtout à éviter d’être capturé par des lobbys, des créanciers intéressés, et un bétail politique, la neutralité de l’action publique est plus que souhaitable. L’Etat devra plutôt s’occuper essentiellement de pourvoir des services publics essentiels, notamment de base (eau, électricité, assainissement, éducation, formation, santé, infrastructures de base et cadre de vie), et un environnement des affaires adéquat et neutre, bref tout ce qui manque au Sénégal».
Nous apprécions donc positivement la déclaration de politique générale du Premier ministre. Nous lui disons qu’il reste, de notre point de vue, deux éléments fondamentaux qu’il faut au peuple sénégalais s’il veut démontrer le courage de se développer et prendre son destin en main : (i) une autonomie monétaire sénégalaise dans le sens d’un Brexit si la gouvernance de la Bceao n’est pas réformée et (ii) une décentralisation autonomisante et responsabilisante dans le cadre de pôles régionaux ayant comme ancrage la dynamique d’urbanisation dans leurs périmètres respectifs.
Les infrastructures de connectivité locale vont ainsi dans le bons sens, mais le refus de discuter publiquement de notre régime monétaire ne l’est pas. Lorsqu’on ne peut pas exporter des biens et services, on se retrouve obligé d’exporter des êtres humains, c’est-à-dire notre jeunesse éduquée ou non, formée ou non, pour tenir l’équilibre de notre balance des paiements. Les transferts de migrants qui se substituent ainsi à des recettes d’exportations ainsi que les fonds d’entreprenariat ne pourront pas favoriser des emplois locaux, car ils resteront des filets sociaux qui ne feront qu’alimenter les importations.
Dr. Abdourahmane SARR
Président CEFDEL/MRLD
Moom Sa Bopp Mënël Sa Bopp