CONTRIBUTION
«Le point de vue matériel a détourné l’attention des hommes (politiciens) jusqu’au point de leur faire voir dans le sous-développement une situation qui se définirait par des privations (…). Tout se passe comme si le sous-développement n’est que celui de l’avoir et jamais de l’être (…). C’est une grave illusion d’optique. Le sous-développement de l’avoir n’est pas l’essentiel ; le véritable sous-développement est celui de l’être» (Nsame Mbongo).
Les politiques (moins de 2 % de la population électorale), du pouvoir comme de l’opposition, libéraux, socialistes, communistes ou autres, coalisent et complotent tous contre le peuple à travers ce que Pierre Bourdieu a fini de théoriser sous le concept de «champ». Il s’agit ici de créer des associations, les partis politiques, de s’entendre tacitement sur des questions dont ils ne discutent jamais, qu’ils ne remettent jamais en cause pour défendre des intérêts strictement partisans, pouvant aller jusqu’aux intérêts de son parti, de sa coalition, de sa famille, de son clan, etc., au détriment de l’intérêt général, de l’intérêt supérieur de la nation puis, de se distribuer les pouvoirs, exécutif, législatif et consultatif à tour de rôles. Dans ces champs réservés à ceux qui payent leurs tickets d’entrée, le récépissé du ministère de l’Intérieur, sont protégés et pérennisés jalousement les modes de scrutin actuellement en vigueur au Sénégal, les fonds politiques, l’exécution budgétaire et tant d’autres questions d’intérêt national. Les acteurs politiques n’en parleront jamais, comme si cela devrait allait de soi, dans le «meilleur des monde possibles», au grand dam de la majorité des citoyens qui les ont placés à leurs stations respectives.
L’exemple le plus pertinent, en l’occurrence, est offert par la 13ème législature récemment installée. Nous proposons aux députés d’opérer immédiatement un changement total de notre mode de scrutin actuellement en vigueur, pour les élections législatives, parce qu’il n’est absolument pas conforme à la démocratie, à l’équité, à l’éthique, à la transparence et à la postmodernité. En effet, il est instauré actuellement un mode de scrutin majoritaire à un tour pour les départements («raw gaddu» en wolof) et un scrutin proportionnel au niveau national, qui est éthiquement dépassé. Il s’agit, concrètement, d’une liste départementale pour 90 élus où, il suffit de n’avoir qu’une seule voix de plus que les autres candidats pour remporter tous les postes de candidats au profit de de son parti, ou de sa coalition, et une liste proportionnelle de 60 autres députés n’ayant pour la plupart aucune base politique, donc aucune légitimité auprès des électeurs de leurs circonscriptions respectives, parce que choisis par le chef du parti et bénéficiant, par la suite, du nombre global de voix.
Il est donc évident que de tels députés ne seront jamais en mesure d’impulser les politiques publiques, de faire les amendements adéquats pour défendre leurs mandants et de contrôler l’action du gouvernement. Ils seront plutôt à la merci du pouvoir exécutif, de leurs partis ou de leurs coalitions. C’est ce que feu Mame Abdoul Aziz Sy Dabakh (Rta) a toujours dénoncé, de son vivant, en recommandant aux parlementaires de se mettre au service des Sénégalais qui les ont élus, en toutes circonstances. Le niveau de maturation démocratique de mon peuple exige aujourd’hui de procéder à des appels à candidatures au niveau de chaque localité et de fixer un taux plancher (30 à 40 % au moins de l’électorat) en deçà duquel personne ne devrait avoir la prétention de siéger au parlement. Et cela est aussi valable pour les élections locales (municipales et départementales).
Autre exemple, non moins plausible, c’est la possibilité offerte à certains élus ou nommés de disposer de «fonds politiques ou autres caisses d’avance», diversement appréciés, sans contrôle a priori pour préciser la destination des dépenses. Tous les politiques savent qu’une telle option existe bel et bien et ouvre la voie à de possibles détournements de deniers publics, mais à ce niveau, c’est aussi l’omerta consensuel, dans ce petit cercle de privilégiés, malgré l’existence de structures publiques de contrôle comme l’Ige, l’Ofnac, etc. La Cour des comptes est bien présente dans le circuit, mais elle opère un contrôle a posteriori, donc, une manière de faire «le médecin après la mort», de suivre les «traces du serpent venimeux qui est déjà passé par là». C’est là, encourager le petit cercle de politiciens à prendre le peuple en otage, en ayant de folles opportunités de détourner l’argent du contribuable en toute impunité, au profit de leurs proches.
Il urge de réinventer des mécanismes de verrouillage en amont pour que nos maigres ressources destinées à l’éducation, à la santé, à l’agriculture, à l’eau, à l’électricité, bref, aux besoins humains fondamentaux, pour reprendre les termes de Mc Namara, soient mieux gérées dans notre contexte actuel de rareté de ressources financières. Si tel était le cas, on n’aurait certainement jamais assisté au basculement du sort du détenu M. Khalifa Ababacar Sall en un temps record : l’immunité parlementaire qui lui fut refusée depuis son incarcération, lui a été reconnue immédiatement après le remplacement d’un ministre par un autre au même département de la Justice, par correspondance épistolaire adressée au président de l’Assemblée nationale pour soumettre aux députés sa levée devenue effective depuis quelques jours.
Enfin, chers politiciens de tous bords, chers parlementaires, de la mouvance présidentielle comme de l’opposition, qu’attendez-vous pour exiger que le budget, annuellement voté, soit mis en ligne, pour que chaque contribuable sénégalais, à partir d’un simple clic sur son smartphone, de Dakar à Fongolembi, en passant par Koussanar ou Ndouloumadji, soit au courant de la destination des fonds alloués aux départements ministériels, la conformité entre les observations factuelles, l’exécution technique et financière de ce budget ? Pourquoi n’insistez-vous pas sur le suivi de l’exécution budgétaire afin que nul n’en ignore ? Etes-vous vraiment prêts à créer ces ruptures ? Seriez-vous disposés à vous engager dans cette perspective, au regard de vos avantages en carburant (1 000 l/mois), de vos salaires (1 300 000 F Cfa/mois), de vos impôts (15 00 F Cfa/mois), et que sais-je encore ?
Le Sénégal n’est pas notre propriété exclusive. Nous l’avons hérité de nos aïeux et nous devons en transmettre le legs à nos enfants et petits-enfants, dans de meilleures conditions. Il y va de la vitalité démocratique de la Nation et de l’Etat de droit que nous prônons quotidiennement.
Chers compatriotes, exigeons de tous les politiques, à tous les niveaux de l’Etat où ils sont élus ou nommés, un développement de l’être, avant celui de l’avoir, pour prétendre au développement du «co-devenir», comme disait Boubacar Camara, ancien fonctionnaire de l’Unesco, à l’émergence du Sénégal, notre patrie. Car, nous ne pouvons certes pas changer de pays, mais nous avons tous l’obligation éthique de changer notre pays. A défaut, nous filons droit vers la dérive. Que Dieu bénisse Sunugaal.
Papa Moustapha GUEYE
Inspecteur de l’Education et de la Formation
Certifié en Leadership dans les Tic et la Ks
Certifié Ppp de la World Bank
Citoyen de la République, Fatick.