CONTRIBUTION
Voilà presque 60 ans, ou 59 ans plus précisément, qu’un président de la République française lance un défi dédaigneux aux peuples d’Afrique occidentale française, à la face de sa jeunesse qui exige la fin de la domination coloniale pour l’indépendance nationale. Face à cette jeunesse mobilisée, le 26 août 1958 à Dakar, porteuse de pancartes, le cri exaspéré de De Gaulle : «Si vous voulez l’indépendance, prenez-la», le 28 septembre 1958 est devenu ; ce 28 novembre 2017 à Ouaga, avec Macron, on a eu droit à : «Si vous voulez quittez le Cfa, faites-le dès demain ! La décision appartient à vos chefs d’Etat» !
Pour réussir cette humiliation de tous nos peuples d’Afrique Francophone, un pauvre étudiant, qui n’a rien compris dans le débat sur le CFA, a été honteusement instrumentalisé pour réclamer, au nom de la jeunesse africaine, «l’or» de nos peuples que la France aurait confisqué afin d’en user pour continuer à nous asservir à travers le Cfa! Quel pain béni, pour ce «petit De Gaulle» qui se prend pour «Napoléon Premier», pour lui jeter à la face, d’un ton goguenard : «Dites-moi où cet or est planqué en France ?»
Le désarroi de l’étudiant, face à cette réplique pleine de dédain, est à la mesure de l’humiliation publique qu’il a ressentie, et qui ternit toute l’image de grandeur du peuple burkinabé, par la complicité évidente des autorités politiques et académiques de ce «Pays des Hommes Intègres». Sankara, dont le nom emblématique a été instrumentalisé lors de cette grotesque cérémonie, devrait se remuer dans sa tombe au même instant !
C’est cette situation psychologiquement très avantageuse pour Macron, qui lui a permis de dire, avec tout l’aplomb qu’on lui connait, que «l’avantage du Cfa actuellement, c’est la stabilité monétaire qu’il procure aux économies africaines», en omettant de dire que cette «stabilité monétaire» est due à l’ampleur de nos réserves dont les 50 % sont logées dans un Compte d’opération du Trésor français, et non grâce au soutien financier de la France ! Ce faisant, il a voulu faire oublier que c’est la sortie de ces 50 % du Trésor français dont il est question, pour permettre à nos Etats, à travers la Bceao, de gérer cette «stabilité» elle-même, en toute indépendance vis-à-vis des autorités politiques et monétaires françaises, et de la Banque centrale européenne ! C’est en cela que consistent les revendications de notre jeunesse concernant le Cfa, et non, une quelconque restitution de notre «or» que la France aurait conservé !
Face aux difficultés économiques et financières rencontrées par la Cedeao pour se doter d’une « monnaie commune en 2020», la proposition du président du Niger, de faire une monnaie commune de l’Uemoa avec nos réserves, serait la première phase de la réalisation de ce projet communautaire. Ce serait la véritable voie pour sortir nos 50 % du Trésor français, pour les confier à la Bceao qui devrait définir un «panier de devises» pour y arrimer cette nouvelle monnaie, afin de nous libérer de la politique monétaire de la Banque centrale européenne ! C’est à cette indépendance monétaire commune à laquelle aspirent nos peuples et notre jeunesse, et non la «sortie individuelle de nos Etats du Cfa, en mettant fin, individuellement, aux accords monétaires avec la France, pour tout pays qui le voudrait», comme le suggère Macron !
L’Histoire a suffisamment démontré à nos peuples qu’une sortie individuelle du Cfa est périlleuse et porterait atteinte aux acquis de convergence de nos économies au sein de l’Uemoa. Par contre, cette sortie collective, comme le propose le président du Niger, consolide nos acquis et ouvre de réelles perspectives pour réaliser le projet de monnaie commune Cedeao, sans précipitation, ni lenteur coupable. Cela permettrait de convaincre les sceptiques de la faisabilité de la monnaie Cedeao sur la base de l’expérience engrangée avec la nouvelle monnaie commune de l’Uemoa.
Les dirigeants politiques des pays d’Afrique occidentale et d’Afrique équatoriale française de l’époque de De Gaulle, à l’exception notoire de la Guinée, n’ont pas osé mobiliser leurs peuples pour prendre leur indépendance le 28 septembre 1958, mais, au contraire, ils les ont mobilisés pour refuser l’indépendance au cri de «Oui à la France» ! Face à ce nouveau défi de Macron ce 28 novembre 2017 à Ouaga, nos chefs d’Etat de l’Uemoa vont-ils, soixante ans après, répéter l’«Histoire», en disant «Oui au Cfa !» qui a perpétué le joug colonial sur nos peuples jusqu’à ce jour, et en disant «non aux propositions du président du Niger» ?
L’Histoire va-t-elle, chez nous, se répéter une première fois comme une «comédie» ? Mais aujourd’hui, cette «comédie» serait tragique pour nos peuples qui vivent, sous leurs yeux, le tragique retour de la «traite de leurs fils, réduits en esclaves», jusque dans leurs propres terres, en Libye ! Le défi narquois de Macron ce 28 novembre 2017 à Ouaga, doit être relevé avec dignité par nos chefs d’Etat, appuyés par notre jeunesse déjà mobilisée à cet effet !
Ibrahima SENE
Pit/Sénégal