“Je venais de commencer mon prêche depuis deux minutes quand j’ai entendu deux explosions dans la mosquée”
Le jeune imam Mohamed Abdel Fattah, rescapé du carnage de vendredi à la mosquée al-Rawda qui a fait 305 morts, a juré dimanche depuis son lit d’hôpital de retourner finir son prêche dès qu’il sera guéri.
“Si mon état de santé le permet la semaine prochaine, et que le ministère des Awqaf (chargé des affaires islamiques) l’autorise, je terminerai le prêche que je n’ai pas pu terminer”, assure à l’AFP l’imam de 26 ans hospitalisé dans la petite ville d’Al Husayniyah, à quelque 150 km au nord-est du Caire.
Il s’agissait d’un prêche sur “Mahomet, le prophète de l’humanité”, tient à préciser celui qui officie depuis deux ans et demi dans la mosquée de Bir al-Abd (nord du Sinaï), fréquentée par des soufis, où une trentaine de djihadistes armés ont fait irruption vendredi, semant la mort parmi les fidèles.
Le regard dans le vide, l’homme se remémore les détails de la terrible attaque: “Je venais de commencer mon prêche depuis deux minutes quand j’ai entendu deux explosions à l’extérieur de la mosquée”.
Son bras, qui dépasse de la couverture tirée jusqu’au menton, laisse apparaître la valve d’un cathéter. L’imam, dont l’état de santé s’améliore, s’en est sorti avec quelques contusions mais il a subi un énorme choc.
“Des hommes sont entrés et ont ouvert le feu sur toute les personnes encore éveillées”, raconte-t-il à l’AFP. Dans la panique, la foule a tenté de se cacher derrière le minbar, la chaire du haut de laquelle l’imam récite son prêche.
“Dès qu’ils sont entrés, je me suis écroulé. Je ne voyais plus rien, je ne ressentais plus rien, sinon que deux ou trois personnes ensanglantées gisaient sur moi”, se souvient M. Abdel Fattah.
Injustice subie
Sur la tête de son lit trône une sourate du Coran encadrée, offerte la veille par une délégation copte venue lui rendre visite et demandant “la protection de Dieu contre ceux qui soufflent le mal dans la poitrine des hommes”.
Le jeune imam, originaire d’Al Husayniyah, est également entouré de cinq membres de sa famille récitant une formule musulmane prononcée en cas d’injustice subie.
Pour le père de la victime, Abdel Fattah Mahmoud, 65 ans, un cheikh à la retraite de l’institution sunnite Al-Azhar, la survie de son fils est un “miracle béni du Coran”.
En bon père de famille, il avait tenté dissuadé son fils de se rendre dans le nord du Sinaï qu’il juge trop dangereux, en vain.
La région, bouclée par l’armée, est régulièrement le théâtre d’affrontements entre les forces de sécurité et des groupes extrémistes. Le groupe Province du Sinaï, qui a prêté allégeance à l’organisation jihadiste Etat islamique (EI) en 2014, y est particulièrement actif.
Les djihadistes y ciblent également des civils, notamment des chrétiens et des soufis.
“Nous avons entendu des rumeurs il y a environ un an au sujet de menaces contre les personnes qui organisent des célébrations pour la naissance du prophète”, pratiquée notamment par les soufis, raconte l’imam qui refuse de se qualifier lui-même comme étant ou non un soufi.
“Je suis un serviteur de Dieu et de son prophète”, préfère-t-il répondre lorsque la question de son obédience est abordée.
Autour de lui se trouvent également des proches du muezzin de la mosquée al-Rawda, Fathi Ismaïl. La première victime tombée lors du carnage de vendredi.
Les soufis sont des musulmans adeptes d’un courant mystique de l’islam. Ils sont honnis par les jihadistes de l’EI, qui n’ont toutefois pas, à ce jour, revendiqué l’attaque à la mosquée al-Rawda.
Cette minorité religieuse est attaquée partout où l’EI opère. En Egypte, l’année dernière, l’organisation extrémiste avait enlevé puis décapité un vieux chef soufi, l’accusant de pratiquer la sorcellerie.
Trois jours de deuil national ont été décrétés par le gouvernement égyptien après l’attaque de vendredi. Et la nuit suivante, l’armée de l’air a procédé à des raids dans la région de l’attentat.
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