CONTRIBUTION
Le président Churchill disait que «la démocratie d’un pays ne se mesure pas seulement à son processus électoral, mais aussi par les méthodes utilisées par ses enquêteurs et ses magistrats pour appliquer le droit pénal». Le fonctionnement de l’institution du ministère public ou le parquet donne lieu à débats encore et pratiquement depuis qu’il existe. Il a beaucoup agité la population, la presse, le Parlement et la politique ces dernières semaines à la suite d’incidents divers relatifs à sa communication ou ses réquisitions souvent décriées du fait sans doute de la spécificité et de la lourdeur des procédures pénales des élus ou des responsables politiques : «juridiction» spécialisée pour les ministres et immunité parlementaire pour les députés et sénateurs ; «privilège de juridiction»…
Dans ce dossier, le parquet s’est heurté à une procédure hybride résultant de l’immunité parlementaire dont bénéficiait le maire devenu député après la saisine du juge d’instruction par le parquet d’un réquisitoire introductif ou afin d’informer sur des indices graves et concordants qui lui sembleraient commis par le maire de la ville de Dakar dans sa gestion. En se rendant à l’évidence, le parquet s’est rétracté en modifiant ainsi sa stratégie procédurale aux fins de régler une question préjudicielle à l’action publique qui constitue un tempérament au principe de l’opportunité des poursuites. Cette rétractation du parquet n’a pas reçu d’écho favorable auprès de ses détracteurs qui ont toujours soutenu mordicus la thèse selon laquelle le parquet agit sous la dictée de l’exécutif. «Si la plume est serve, la parole est libre». Ont-ils omis ?
Loin de constituer de simples péripéties politiques depuis l’ouverture de l’information judiciaire, cette actualité récente offre l’occasion de tenter de mieux cerner et définir cette notion consacrée par les textes internes et externes qu’est l’immunité parlementaire. La Convention de l’Union africaine en son article 7 alinéa 5 sur la prévention et la lutte contre la corruption dispose : «Sous réserve des dispositions de la législation, toute immunité accordée aux agents publics ne constitue pas un obstacle à l’ouverture d’une enquête sur des allégations et d’un procès contre de tels agents». Concernant les dispositions nationales, on peut citer La Constitution en son article 61alinéa 2 et les articles 52 et 34 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
Nul n’en ignore que l’immunité parlementaire n’est pas un privilège mais un moyen destiné à assurer au député, l’indépendance et la liberté d’expression nécessaires à l’exercice de son mandat. C’est une protection d’ordre public liée à sa fonction et non à sa personne. C’est pourquoi, le député ne peut pas y renoncer.
La décision de lever ou non l’immunité d’un député n’implique aucune présomption de faute ou d’innocence. Il s’agit uniquement d’une autorisation de poursuite ou d’arrestation. Une assemblée parlementaire n’est ni une juridiction d’instruction, ni une juridiction de jugement, mais examine les faits qui lui sont communiqués par le ministère public.
Nb : L’immunité parlementaire ne protège pas l’élu mais sa fonction.
Dans la pureté des principes, il faut noter que la démarche du parquet à demander la levée de l’immunité du sieur Sall s’inscrit dans le cadre légal, mais c’est la précipitation qui heurte les esprits avertis et l’élégance judiciaire au motif que le maître de l’enquête qui se trouve être le juge d’instruction n’a pas encore révélé les secrets de son instruction (Cass. 22 novembre 2006, P.06.1173.F).
Le juge d’instruction, lorsqu’il estime avoir bouclé son enquête, prend d’abord une Ordonnance de soit communiqué, article 169 Cpp (Osc) en transmettant l’entier dossier au procureur de la République afin qu’il fasse son réquisitoire définitif ainsi qu’à la défense et à la partie civile (agent judiciaire de l’Etat) pour leurs observations (Cass. 24 mars 2010, P.10.0068.F, 4).
Aux termes des articles 171, 172, 173, et suivant du Cpp, le procureur a trois alternatifs ;
– Si le procureur estime qu’il n’y a pas de charge, il prend un réquisitoire de non-lieu ;
– Si le procureur estime qu’il y a des charges délictuelles, il prend un réquisitoire aux fins de jugement devant le tribunal de simple police ou correctionnel ;
– Si le procureur estime que les faits sont une infraction qualifiée de crime, il prend un réquisitoire aux fins de mise en accusation et transmet au parquet général.
Ensuite, le procureur retourne le dossier au juge d’instruction qui prendra à son tour une décision finale appelée Ordonnance de règlement ou Ordonnance de clôture qui met fin à l’instruction.
NB : Le réquisitoire définitif du procureur ne lie pas le juge. Exemple : Le procureur peut prendre une décision de ne pas poursuivre et le juge prend une ordonnance de renvoi devant une juridiction de jugement.
Aux termes des dispositions de l’article 169 et suivant du Cpp, le juge a aussi trois alternatifs : prendre une ordonnance de renvoi ou une ordonnance de non-lieu.
Le parquet est une partie au procès pas comme les autres, mais force est de constater qu’il en use et en abuse à outrance de ses prérogatives parce que son activité n’engage pas sa responsabilité civile à l’égard des particuliers, c’est le principe de l’irresponsabilité du parquet.
Pourquoi le parquet a brandi sa demande de levée de l’immunité parlementaire alors que l’instruction n’est pas encore bouclée pour savoir si le juge va rendre une ordonnance de renvoi ou de non-lieu ? Serait-il pour préparer l’opinion à un procès imminent ?
Dans la démarche du tribunal, si le juge rend une ordonnance de renvoi devant une juridiction de jugement, il incombe au parquet d’enrôler le dossier et ce dernier a 1 mois au plus pour le faire et éventuellement fixer la date d’audience auprès du greffe (art 171 Cpp).
Au regard de tout ce qui précède, quelques problèmes juridiques mériteraient d’être posés pour la postérité. D’abord, à quelle étape de la procédure judiciaire une requête aux fins de levée de l’immunité parlementaire d’un député peut-elle être introduite auprès du Parlement ? Ensuite, quels sont les effets dans le temps de la demande de levée de l’immunité parlementaire ? Enfin, puisque le parquet a rétracté ses premières prétentions qui avaient valu au sieur Sall un refus de sa demande de remise en liberté, alors quelle sera la conséquence juridique qui entache l’ordonnance présidentielle rendue à cet effet ?
Aucune disposition interne n’existe à cet effet, mais des législations internationales ont amené des tentatives de réponses, la jurisprudence et la doctrine n’ont pas passé sous silence ce débat. Entre 1995 et 1997, la Belgique et la France ont réorganisé radicalement le régime juridique de l’immunité parlementaire. En Belgique, depuis la révision constitutionnelle de 1997, les autorités judiciaires ont à présent la possibilité d’accomplir des actes d’instruction à l’encontre d’un parlementaire sans que l’intervention préalable de l’Assemblée soit nécessaire. Ce n’est que lorsque l’instruction est achevée et que les autorités judiciaires estiment qu’il y a des raisons suffisantes pour engager des poursuites que l’Assemblée doit lever l’inviolabilité parlementaire. (Voir également : Cass. 22 novembre 2006, P.06.1173.F. Affaire Van Rossem Cass. 17 décembre 1991).
La question sous-jacente au sujet délicat abordé en l’espèce, est celle de savoir quelle démocratie voulons-nous réellement ? Une réforme du système en vigueur serait, à notre avis le moyen d’évoluer, de moderniser l’institution parlementaire et de dépasser ce paradoxe de l’immunité parlementaire qui, s’il peut protéger une démocratie, peut aussi la saper.
Des pays comme la France parlent aujourd’hui de la suppression de l’immunité parlementaire. Le député LR Thierry Solère, président du nouveau groupe parlementaire du centre-droit-constructif, s’est prononcé pour la fin de l’immunité parlementaire qui, selon lui, ne sert à rien. Une idée à laquelle ne s’opposerait pas le gouvernement, a répondu Christophe Castaner.
Certains évènements de la vie de notre République sont parfois le signe d’une évolution que politiques et juristes se croisent le fer pour le renforcement de nos institutions et l’Etat de droit. Telle est la pertinence du débat politico-judiciaire à la suite duquel on doit s’inscrire avec patriotisme.
Me El Hadji Amath THIAM
Consultant en droit
Spécialiste du Contentieux des affaires