La détérioration des conditions de détention des migrants et réfugiés en Libye rend la situation «inhumaine», affirme l’ONU ce mardi. Une équipe de la chaîne de télévision CNN en a la preuve: celle-ci a filmé une vente aux enchères d’êtres humains.
«Ils sont forts et bons pour le travail à la ferme.» Voilà comment les passeurs libyens présentent, sur des images obtenues par les équipes de CNN et authentifiées par la chaîne américaine, «la marchandise»: des migrants venus d’Afrique subsaharienne, vendus aux enchères. Ces images ont été filmées en Libye. On y voit des hommes noirs, en file indienne, attendant que leur prix soit déterminé par quelques acheteurs potentiels. Deux sont finalement «cédés» à l’un des enchérisseurs pour 800 dollars.
«Chaque année, des dizaines de milliers de personnes traversent la frontière libyenne, fuyant la guerre ou cherchant de meilleures perspectives économiques en Europe. La plupart ont tout vendu pour financer un voyage à travers la Libye jusqu’à la côte et traverser ensuite la Méditerranée. Néanmoins, après que des mesures drastiques ont été prises par les gardes-côtes libyens, de moins en moins de bateaux parviennent à réaliser cette traversée, laissant les passeurs avec un grand nombre de passagers désemparés. C’est ainsi que les passeurs deviennent des maîtres, et que les migrants et réfugiés se transforment en esclaves», explique Lauren Said-Moorhouse, envoyée spéciale de CNN, sur le site de la chaîne.
Après avoir vu les images d’une de ces «ventes», transmises par un de ses contacts sur place, la journaliste s’est rendue en Libye pour mener l’enquête dans une ville tenue secrète afin de protéger ses fixeurs. L’envoyée spéciale a ainsi assisté, en direct avec une caméra cachée, à la vente de 12 citoyens nigérians. Elle explique ensuite avoir cherché à leur parler, mais aucun n’a souhaité s’exprimer. Son départ a rapidement été exigé. Celle-ci estime que ces «marchés» d’êtres humains ont lieu à intervalles réguliers, à raison d’«un à deux par mois».
Dans le meilleur des cas, «repartir à zéro»
L’équipe parvient ensuite à interroger un migrant, prénommé «Victory», dans un camp de détention. Il explique à CNN qu’une fois dépossédé de tous ses biens, il a été vendu comme travailleur. Son travail forcé devait «rembourser sa dette» envers les passeurs, selon ces derniers.
Mais après quelques semaines, Victory a été rendu à ses passeurs, puis revendu plusieurs fois. Sa famille a également dû payer des rançons avant qu’il soit finalement libéré. «Ma mère est allée dans quelques villages, empruntant de l’argent à plusieurs personnes pour me sauver.» Actuellement en transit dans un camp, Victory attend désormais d’être renvoyé au Nigeria pour «repartir à zéro».
«La preuve filmée par CNN est entre les mains des autorités libyennes, qui ont promis de lancer une investigation», précise la chaîne.
Les cas de maltraitance connus des autorités
D’après les chiffres du Département libyen de lutte contre la migration illégale, cités par l’ONU ce mardi, 19 900 personnes se trouvaient dans des centres de détention début novembre, soit près de trois fois plus qu’à la mi-septembre. Cette forte augmentation des détentions fait suite à des affrontements meurtriers à Sabratha, ville de l’ouest de la Libye devenue la plateforme de départ des migrants vers l’Europe, souligne l’AFP.
«Les observateurs de l’ONU ont été choqués par ce qu’ils ont vu: des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants émaciés et traumatisés, empilés les uns sur les autres, enfermés dans des hangars […] et dépouillés de leur dignité», a souligné mardi le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad al-Hussein.
Hommes, femmes et enfants détenus dans ces centres ont raconté aux observateurs de l’ONU avoir été battus par les gardes libyens. «Ils nous battent tous les jours, ils utilisent des bâtons électriques, juste parce que nous demandons de la nourriture ou un traitement médical ou des informations sur ce qui va nous arriver», a déclaré un migrant camerounais. Les femmes sont, elles, violées par les trafiquants d’êtres humains mais aussi par les gardes des centres officiels de détention.
Le haut-commissaire a exhorté les autorités libyennes à ne pas détenir les migrants: «Nous ne pouvons pas être un témoin silencieux de l’esclavage des temps modernes.»
Le Temps