CONTRIBUTION
Le dialogue et la consultation sont des éléments essentiels pour préserver la paix sociale. Même le Prophète Muhammad, le Messager d’Allah, a reçu l’ordre de consulter ses semblables sur les affaires. Allah (Swt) le lui a enjoint au verset 159 de la Surate 3 (La famille d’Imrân) : «C’est par quelque miséricorde de la part d’Allah que tu (Muhammad) as été si doux envers eux ! Mais si tu étais rude, au cœur dur, ils se seraient enfuis de ton entourage. Pardonne-leur donc, et implore pour eux le pardon (d’Allah). Et consulte-les à propos des affaires ; puis une fois que tu t’es décidé, confie-toi donc à Allah, Allah aime, en vérité, ceux qui Lui font confiance.» Dans la Surate 42 AsShûraa (La Consultation), Allah (Swt) élève aux plus hauts degrés celles et ceux qui dialoguent. «Ce qui est auprès d’Allah est meilleur et plus durable pour ceux qui ont cru et qui placent leur confiance en leur Seigneur, qui évitent [de commettre] des péchés les plus graves ainsi que les turpitudes, et qui pardonnent après s’être mis en colère, qui répondent à l’appel de leur Seigneur, accomplissent la Salat, se consultent entre eux à propos de leurs affaires» (versets 36, 37 et 38). L’appel du chef de l’Etat au dialogue est donc à saluer en ce sens qu’il répond à une nécessité. Toutefois, afin de tirer le meilleur du dialogue, il nous semble utile de répondre à certaines questions : Dialoguer, pourquoi ?
Il existe plusieurs cadres de concertation comme le Haut Conseil pour le dialogue social, les cadres sectoriels dans les différentes corporations (la santé, l’éducation, travailleurs, etc.). Parmi les questions politiques qui méritent débat, il y a la pléthore de partis politiques qui coûtent argent, temps et énergie au contribuable, avec comme corollaires l’hyper politisation de la vie, les polémiques inutiles, les bagarres. Cela crispe la vie politique, détourne des urgences sociales, économiques, morales et préoccupe beaucoup de Sénégalais.
Aujourd’hui, beaucoup de Sénégalais sont dubitatifs quand on leur parle de dialogue politique. Ils redoutent, en effet, que ce ne soit juste une opportunité supplémentaire pour se partager le gâteau du pouvoir et discuter de considérations alimentaires crypto-personnelles, comme cela a souvent été le cas de par le passé. N’oublions pas non plus que la grande majorité des Sénégalais (ses) n’est affiliée à aucun parti politique. Rien que sous cet angle, le dialogue, pourtant nécessaire, ne doit pas se limiter aux partis politiques. Nous devons dépasser le dialogue entre politiciens pour s’attaquer aux défis et questions de fonds : où allons-nous réellement ? Quelle est notre vision du Sénégal dans 30 ans, 50 ans ?
Le Sénégal est un pays de paradoxes où les élites intellectuelles et politiques sont réputées chevronnées. Nombre d’entre elles sont sorties des «meilleures écoles», manient le verbe comme le forgeron manie le fer et sont respectées de par le monde. Mais elles (et certains citoyens avec elles) peuvent passer des heures, des semaines, voire des mois à gloser, à s’échiner, à se tirailler et à s’époumoner sur des questions qui n’ont rien à voir avec le quotidien de leurs compatriotes. C’est ainsi que, de semaine en semaine, on voit naître des polémiques complètement éloignées des priorités. Le dernier exemple en date est le supposé 3ème mandat du président Macky Sall. A-t-on vraiment besoin de ce genre de débat aujourd’hui ? Qu’est-ce que cela nous apporte, alors que le président n’a même pas fini son premier mandat ? Ne pourraient-elles pas mettre leur énergie sur des questions développant le Sénégal ? Le récent changement de l’attelage gouvernemental a aussi donné l’occasion à certains de bavarder inutilement (et violemment quelques fois) pendant des semaines (protestations, bouderies, chantage)… Il n’est ni utile, ni convenable de contester au chef de l’Etat ce que notre constitution lui permet : la prérogative de nommer tel ou tel compatriote à tel poste, ou de le faire remplacer. De polémique en polémique, nous-nous installons dans une atmosphère délétère. Dialoguons !
Dialogue sur quoi ?
La justification du dialogue n’étant plus à démontrer, nous nous permettons de lister ici de manière non-exhaustive, quelques priorités, sur la base d’une petite enquête auprès de nos compatriotes : Les emplois, comment en créer davantage, davantage et davantage ? L’éducation et la formation (académique, morale, culturelle, religieuse) adaptées à nos besoins. Comment mieux valoriser nos douɗé Qur’ân (daaras), qui ont formé les citoyens de ce pays, que nous considérons comme nos références ? En quoi le Pse, qui est la vision officielle du président de la République et de l’Etat sénégalais, va apporter les changements pour le développement du Sénégal ? Que devons-nous faire pour accompagner l’accès à la couverture maladie pour tous les Sénégalais ? Comment améliorer la préférence nationale ? le patriotisme économique ? Comment favoriser davantage le développement de notre marché intérieur et la consommation de nos produits locaux ? Comment se libérer de l’hégémonie des entreprises multinationales et des profiteurs qui se gavent de nos ressources et nous laissent des miettes ?
Pourquoi ne célébrons-nous pas les fêtes musulmanes à l’unisson dans ce pays ? Comment y arriver ? Faut-il ou non nous débarrasser du franc Cfa ? Si oui, comment y arriver ? Comment mieux tirer profit des opportunités de l’économie numérique ? Comment juguler les défis sociaux, environnementaux, moraux des Tic et des réseaux sociaux ? Comment réconcilier la démocratie, les droits de l’homme et le respect de nos valeurs ? Quelles solutions pour le financement des partis politiques ? Pouvons-nous nous permettre d’avoir près de 300 partis politiques au Sénégal et jusqu’à quand ? Comment réconcilier politiciens et citoyens ?
Moins de bavardages et plus de travail
Sur une note plus affective, beaucoup de compatriotes comme moi, caressent aussi le vœu que les présidents Macky Sall et Abdoulaye Wade se réconcilient. En revanche, les clivages gauche/droite, les alliances et mésalliances alimentaires, le chantage, les positionnements laudateurs crypto-personnels, les polémiques inutiles, les insultes, n’ont jamais fait avancer et ne feront pas avancer le Sénégal.
Il est de notoriété publique que, presque partout dans le monde, les politiciens ont réussi à rompre la confiance avec leurs peuples, à coup de faux débats, d’arguments populistes, de polémiques inutiles, d’insultes, voire de bagarres, détournant les populations des priorités. Les idéologies se délitent, la méfiance gagne du terrain et se manifeste à travers la baisse des taux de participation dans les consultations électorales. Il n’y a qu’à voir la manière dont les partis traditionnels ont explosé en France il y a quelques mois. Cette désaffection est moins due aux idéaux de ces formations politiques qu’aux carences éthiques et à la médiocrité des politiciens contemporains qui s’en réclament.
Le dialogue devrait donc porter sur les éléments essentiels qui fondent le Sénégal et notre volonté commune de marcher vers le progrès humain. C’est là, le véritable sens de «tawa eɗen ɓeydii en oustaaki». Pour que le dialogue soit utile, les hommes politiques sénégalais gagneraient à identifier des éléments qui interpellent les citoyens (nes) et pas seulement soliloquer entre eux. L’inclusion est un élément essentiel pour réussir cet exercice en associant les médiateurs et régulateurs sociaux, les artisans, les enseignants, formateurs et apprenants, les entrepreneurs, les citoyens ordinaires de tout bord.
Comme le disait si bien Frantz Fanon, «chaque génération doit, dans une relative opacité, trouver sa mission, la remplir ou la trahir». Au risque de passer à côté, à nous donc d’assumer et rester vigilants en posant des actes qui font avancer le Sénégal, en nous inspirant de nos valeureux prédécesseurs : Thierno Sileymaani Baal, Saikou Oumar Saidou, Chaykh Ahmadou Bamba, Cheilkhal Islam, Alhajji Maalik, Siraajuddiini, Limamoulaye, Aadama Aissé, Dabakh, Diaaratullahi, Aline Sitooye, Njembett Mbodj et d’autres encore. Car, «en vérité, Allah ne modifie point l’état d’un peuple, tant que les [individus qui le composent] ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes» (S. 13 Ar-Raad V11).
Dr. Cissé KANE