L’Etat a, hier, franchi le Rubicond. En effet, c’est un nonagénaire qui a été convoquée par la gendarmerie pour les besoins de l’enquête. Loin de s’être fait démonter, ce dernier, à sa sortie du bureau du commandant, s’est dit plus déterminé que jamais.
(Correspondance) – Dans son bras de fer qui l’oppose aux populations de l’Ile-à-Morphil impactées par le projet marocain, l’Etat est passé à la vitesse supérieure hier en convoquant à la gendarmerie de Ndioum l’un des plus farouches opposants audit projet. Il s’agit, en l’occurrence de Thierno Mamadou Sidiki Sakho, âgé de 94 ans, habitant à Sinthiou Dangdé, personne morale respectée par les populations locales. En effet, ce dernier a déféré à la convocation de la gendarmerie sous bonne escorte de centaines de personnes qui ont tenu ainsi à exprimer leur courroux face à ce qu’elles considèrent comme une expropriation de leurs terres. Il faut dire que la stratégie de Mamadou Sidiki Sakho s’est avérée payante : en lieu et place d’un déplacement direct à Ndioum, ce dernier a tenu à passer par plusieurs localités au prix, parfois, d’une traversée du fleuve pour rallier les populations à sa cause. Il aura gain de cause, puisqu’une vingtaine de voitures l’ont escorté sur plus de 60 km et les personnes n’ayant pu trouver de place dans les véhicules, ont pris des charrettes. La délégation était composée de toutes les couches sociales issues des villages de Démette, Ndormboss, Béli Thioy, etc.
C’est vers 1 3h 50 que le convoqué est arrivé dans les locaux de la gendarmerie de Ndioum. Son face-à-face avec le patron des lieux durera environ vingt minutes. A sa sortie du bureau du Commandant de la brigade et sous les ovations d’une grande foule massée devant les grilles de la gendarmerie, Mamadou Sidiki Sakho a tenu à faire une déclaration. Selon lui, personne n’est contre l’exploitation des terres qu’ils ont héritées de leurs ancêtres mais cela doit se faire dans les règles de l’art. «Rien ne peut se faire en matière d’aménagement du territoire sans concertation avec les populations bénéficiaires. Quiconque tente de le faire chez nous sans notre consentement et notre adhésion risque sa vie. C’est dire que nous ne nous opposons pas à l’exploitation des terres, seulement, nous exigeons que nos intérêts soient pris en compte», a expliqué Sidiki Sakho. Ce dernier est d’avis que si aménagement, il doit y avoir, il faut qu’il soit à l’image de ceux qui sont faits dans le Fouta où c’est l’Etat qui en est le seul promoteur car c’est le plus sûr moyen de préserver les intérêts des populations, notamment par la création d’emplois pour les jeunes. Or, avec le bail offert aux Marocains pour exploiter les terres de l’Ile-à-Morphil, Mamadou Sakho pense, plutôt, à un retour de la colonisation.
S’adressant à Mamadou Bachir Sall, maire de la commune rurale de Dodel, Mamadou Sidiki Sakho dit n’avoir rien contre lui mais le met en garde de ne pas être en phase avec ses mandants. «Qu’il sache qu’il est élu et qu’il doit mettre en avant les intérêts des populations», menace-t-il.
Selon le président du collectif des 23 villages impactés par le projet marocain, une dizaine de personnes doivent déférer à une convocation de la gendarmerie. Il prévient que les populations vont se mobiliser chaque fois que l’une d’elles se rendra à la gendarmerie. Almamy Ciré Ly qui est aussi spécialiste en aménagement du territoire de se désoler qu’une vieille personne soit «dérangée» par une convocation qui n’aura finalement abouti à rien. «C’est de l’intimidation et nous ferons face par tous les moyens», avertit le président du collectif qui soutient que le projet marocain est tout sauf dans l’intérêt des populations.
Abou KANE