Sa dernière rencontre avec Serigne Abdou Aziz Sy «Al Amine», c’était au mois d’avril dernier, quand Sidi Lamine Niass lui annonçait la publication des ouvrages de son vénéré père.
Mais il retient beaucoup d’enseignements auprès de l’illustre disparu avec qui il est lié par des relations ancestrales. A travers ces témoignages à titre posthume recueillis auprès de nos confrères de Walf-Tv, le patron du groupe Walfadjri lève un coin du voile sur le mystère qui entourait le défunt Khalife général des Tidianes.
Ce qui me liait à Al Amine
Nos deux grands-pères, El Hadj Abdoulaye Niass et El hadj Malick Sy, se complétaient, se considéraient comme deux dignitaires de la Tidjania. C’est ce qui a fait que des relations sont tissées entre les deux saints hommes. Ils avaient la même culture Tidjane, mystique. Mon grand-père est décédé deux semaines avant El Hadj Malick Sy. Mon père était le premier Khalife, son père en était le deuxième. A l’époque, il y avait deux khalifes : Khalifa Niass et Khalifa Ababacar Sy. Ces deux familles se complétaient. L’autre élément qui nous lie est que sa famille maternelle a accueilli mon grand-père à Kaolack. Il y a beaucoup d’autres choses qui expliquent l’étroitesse des rapports entre nos deux familles religieuses. Sa manière m’intéresse et il fallait la copier. Je le suivais au pas. C’est pour cela que j’ai passé avec lui des jours et des nuits à Dakar. Il me donnait des conseils en me disant que je n’ai pas le droit de reculer devant certaines situations. Il me suggérait d’être constant, de lier les valeurs à la démarche. Nous étions très liés comme deux faces d’une seule monnaie.
Ma dernière rencontre avec l’illustre disparu
C’était au mois d’avril 2017, quand je suis allé lui parler des ouvrages de mon père. La rencontre était fructueuse. Il a partagé des leçons de vie, d’histoire et de comportement avec ma modeste personne. Je l’appelais très souvent au téléphone mais il était le plus souvent dans les champs.
Les enseignements que je retiens de lui
Je retiens de l’illustre disparu beaucoup de leçons. Il est parti le premier jour de l’an musulman, entre 1438 et 1439. C’est un vendredi, le moment a beaucoup de significations. Il y a cette dimension symbolique qui montre la grandeur de l’homme. Le Sénégal a besoin de ce modèle. Un grand homme très accessible, modeste, travailleur au champ, partagé qu’il a été entre l’enseignement et la politique. Il est partout travailleur. C’est grâce à lui que j’ai compris que le pays a besoin des gens qui travaillent, même s’ils ont d’autres préoccupations car seul le travail paye. C’est pourquoi d’ailleurs les mourides en font leur devise. Il faut dire que Tivaouane est riche par ses hommes multidimensionnels.
Ses qualités intrinsèques
C’est quelqu’un de transparent. Il n’avait pas deux discours. Vous restez avec lui pendant quelques heures, il vous raconte tout ce qu’il connait. Pour lui, tout est question de transparence. Il préfère sortir les choses sur le moment plutôt que de les renvoyer à plus tard. C’est pour cela que les marabouts ne peuvent pas jouer un rôle administratif qui, quelques fois, est trop confidentiel. Il jouait des rôles économiques, sociales, politiques et le tout dans la transparence. Serigne Abdou Aziz Sy Al Amine est un grand homme qui s’est toujours préoccupé de l’être humain. C’est un grand citoyen sénégalais qui s’intéressait à tous les Sénégalais, quelle que soit leur couche sociale. C’est un homme ouvert au monde extérieur, l’un des marabouts qui participait à des conférences internationales. J’ai eu la chance d’avoir pris part, avec lui, à des séminaires islamiques en Algérie, au Maroc, en Lybie et en Arabie Saoudite.
L’homme était très proche des commerçants, dans leurs préoccupations au quotidien, notamment la gestion de leurs cantines, leurs formalités administratives et autres. Il les assistait régulièrement. C’était un cultivateur qui a ses champs à Goulène, derrière Malem Hoddar. Des champs où il allait très régulièrement pour y séjourner pendant longtemps. Il n’était pas loin des cultivateurs pour connaître leurs problèmes. Il était tout proche des pécheurs, ici, à Dakar. Il en faisait de même pour toutes les autres couches de la société, y compris les bergers. Il prenait en compte chacune des préoccupations les plus élémentaires des populations. Ces dernières trouvaient solution à tous leurs problèmes grâce au Saint homme. Bref, il était celui auprès de qui les populations se consolaient, de même que les hommes politiques, ceux du milieu sportif, médiatique, artistique, religieux, entre autres.
Enfin, Al Amine a été un trait d’union entre les différentes familles religieuses du pays. Il œuvrait sans cesse pour l’unité des confréries, la paix sociale, l’entente cordiale entre les différentes communautés. C’était un intellectuel arabisant qui s’intéressait à ses condisciples qui sont en marge, des laissés pour compte. Il s’est beaucoup investi à trouver des solutions aux élèves, aux étudiants arabisants jusqu’à leur premier emploi. Il était le président de la Fédération des associations islamiques du Sénégal, dans les années 60. C’est un facilitateur qui a permis à ces arabisants de s’installer, de même que tous les mouvements islamiques dont on parle aujourd’hui.
Ses rapports avec le bas peuple
Le défunt Khalife général des Tidianes s’impliquait sur le plan politique en tant que facilitateur entre l’opposition et le pouvoir. On se souvient du problème du monument africain. Quant il y a eu l’arrivée des chefs d’Etat, il y a eu un problème de sécurité qui s’est posé. L’opposition, les Tanor et autres, voulait manifester. Il était un médiateur. C’est la même chose pour Wade et Idrissa Seck. Il avait joué un rôle important pour que l’ex-président de la République du Sénégal se retrouve autour d’une table de négociation avec son Premier ministre d’alors, Idrissa Seck. Il avait grandement contribué à la pacification de leurs relations tendues à l’époque. Un geste que tout le pays avait en son temps salué, car contribuant à apaiser la tension socio-politique dans le pays. Sans compter les cas qui passent sous silence pour lesquels il n’hésitait pas à sortir son bâton de pèlerin, au bénéfice du peuple sénégalais.
Les politiciens ont besoin d’un homme de sa dimension pour stabiliser le pays. Lui, par son expérience, les écoutait et essayait de trouver des solutions à toutes les crises. Il était disponible et se donnait intégralement pour la bonne marche des affaires du pays, mais également pour une coexistence pacifique entre pouvoir et opposition. L’Islam a des bases qui ne bougent pas. C’est une religion qui respecte l’autre dans sa croyance, dans sa culture. Les chefs religieux islamiques ne peuvent que l’alimenter. Le dialogue ne veut pas dire être chrétien ou musulman. Chacun garde son identité. Le dialogue est nécessaire. L’humanité a en besoin. Le rôle de l’être humain est de parfaire ce monde. Tout un chacun a sa vision, sa culture. Cette diversité est un signe de vitalité. En résumé, Al Amine était un homme d’ouverture, de dialogue par sa formation, sa culture, son éducation.
Une grosse perte pour le monde islamique
Al Amine était ouvert au monde islamique, ce qui est rare chez les marabouts. C’est sa culture qui le lui a permis. C’est pour cela, on le retrouvait dans les séminaires. En Algérie, il faisait partie de ceux qui dirigeaient les réunions internationales par son niveau, son érudition, son ouverture. C’est un homme exceptionnel. Al Amine appartenait à deux générations : La première, maraboutique, traditionnelle, s’occupait des daaras. C’est l’ancienne formule. Il est venu pour ajouter une nouvelle formule. Chez lui, c’était l’enracinement et l’ouverture. C’est le modèle de marabout, avec son daara, qui vient intégrer l’enseignement moderne avec des écoles-arabes. Cette expérience et cette ouverture ont fait de lui un homme exceptionnel, d’une dimension difficile à trouver dans le pays et même au-delà, dans le monde entier. C’est l’un des premiers à parler des problèmes en Birmanie lors de la Tabaski. Aujourd’hui, le problème est arrivé aux Nations-unies. Dans ce pays situé en Asie du sud-est, les musulmans sont en proie à des humiliations et de maltraitance de toutes sortes et cette situation ne pouvait laisser indifférentes les communautés musulmanes du Sénégal. Et il l’avait compris très tôt ce rôle qui devait être le sien.
Il avait alerté sur la situation des musulmans maltraités (Birmanie : Ndlr) et demandé que tout le monde se concerte pour trouver une solution. L’Islam a connu de grands hommes durant les 14e et 15ème siècles. Ils en ont fait sa richesse. Ils ne sont pas partis pour qu’on les oublie. L’Islam vit toujours avec ces hommes. On parle d’eux comme s’ils étaient présents. Les grands hommes islamiques laissent toujours leurs empreintes partout où ils passent. On parlera toujours de leurs écrits, de leurs paroles et de leur sagesse. Son décès coïncide avec celui de beaucoup de célèbres personnalités de ce pays, mais cela est tout à fait normal. Il y a des gens qui disparaissent mais il y en a d’autres qui naissent. C’est cela la loi de la nature. C’est le destin.
Walf Quotidien