Désormais, il faut inscrire le retour des pèlerins dans le registre des fêtes mondaines au Sénégal.
Depuis plusieurs années maintenant, le pèlerinage à la Mecque est passé d’acte religieux à expression du rang social à travers le concept «Ganalé» qui ouvre la voie à tous les excès.
(Correspondance) – Il fait partie des cinq piliers de l’Islam. Mais, le pèlerinage répond à des critères auxquels la situation financière n’est pas étrangère. Seulement, aujourd’hui, l’expression de la solidarité permet aux indigents de surmonter cette contrainte. Du coup, ce sont, chaque année, des milliers de Sénégalais qui visitent les Lieux saints de l’islam. Mais, l’égalité s’arrête là. Le retour au pays est le moment d’expression de la différence sociale. Quand d’aucuns sont accueillis dans la sobriété la plus totale, d’autres, pour marquer leur différence de rang, transforment leur retour en événement. Aujourd’hui, le retour des pèlerins épouse les formes d’une fête mondaine où rien n’est occulté pour exposer son statut. «Chez certains, les dépenses liées au retour sont plus importantes que celles qui sont faites pour se rendre à la Mecque», fait remarquer un sage rencontré avant-hier dans une cérémonie organisée dans un quartier de la banlieue de Ziguinchor. Dans cette famille, pas moins de deux vaches ont été immolées pour les besoins du retour d’une octogénaire. Cette dernière a su bénéficier de l’appui d’un beau fils, cadre dans un établissement financier de la place. A peine son départ annoncé que ses proches ont sonné la mobilisation.
Le ton était déjà donné et le sous-quartier avait une idée de ce que serait cet événement qui implique une des familles les moins mal loties du coin. Enfin arriva le jour. Et c’est un cortège de véhicules qu’on voit rarement dans ce coin perdu de la capitale du sud qui est allé chercher la dame à l’aéroport de Ziguinchor là où la plupart des pèlerins prennent la route ou voyagent en bateau. Pendant deux jours, ce fut la fête. Une déferlante de moyens sous le regard inquisiteur de voisins qui n’auront peut-être jamais l’occasion de «rendre visite» au prophète Mohamed (PSL) et donc de vivre au moins une fois dans leur vie un tel événement. Comme cette famille, combien sont-elles à proposer une extravagance financière pour un événement qui devrait être empreinte de sobriété conformément aux recommandations de l’Islam? S’il est hasardeux de donner un chiffre, il reste qu’on peut s’aventurer à parler de généralisation d’un phénomène qui est en train de s’installer confortablement dans les mœurs sénégalaises. D’ailleurs, aller, mais surtout revenir du pèlerinage donne lieu à une grande préparation. «Ceux qui partent savent ce qui les attend au retour. Ce qui pousse beaucoup de gens à entrer dans un système d’endettement pour faire face aux exigences financières du retour», révèle un septuagénaire, lui-même victime de ce phénomène de société. Pour A. Diop, la pression sociale exercée sur les futurs pèlerins pousse ces derniers à faire des choses pourtant bannies lorsqu’on est appelé à aller à la Mecque. Il arrive que certains révoltés refusent de se soumettre à cet exercice de gabegie au caractère ostentatoire. Mais, dans ce cas, ces derniers heurtent la fierté de la famille qui se sent déshonorée. «Quand je devais rentrer, personne n’était au courant. J’ai débarqué un bon jour d’un taxi, sous le regard ébahi de la famille et des voisins», raconte un médecin qui a été obligé de gérer des lendemains difficiles dans ses rapports avec sa propre femme. «Pendant une semaine, mon épouse a refusé de m’adresser la parole. Mais, j’ai assumé. Parce que je suis contre toute forme de gaspillage. Et c’est souvent ce que la société veut nous imposer mais, il faut savoir dire non». Plus facile à dire qu’à faire, serait-on tenté de dire. Surtout que les chefs religieux, censés interpréter les écritures saintes au profit des fidèles, versent eux-mêmes dans ces travers en violation d’un principe fondamental de l’Islam, la sobriété. Une situation qui est en train d’embourgeoiser le pèlerinage à la Mecque au grand dam du «Peuple» indigent, obligé quelques fois de vendre des tickets offerts pour ne pas devenir la risée du quartier une fois de retour des Lieux Saints de l’Islam.
«Ni interdit, ni encouragé par la religion»
Le «Ganalé» ou accueil des pèlerins est un acte qu’on peut facilement comprendre. L’avis est d’imam Babacar Dramé. Pour cet éducateur, la charge religieuse du pèlerinage mérite qu’on élève le pèlerin à une certaine dignité à travers un accueil chaleureux. «Vivre et avoir un jour la chance de visiter les lieux les plus saints de l’Islam est un privilège que le Tout Puissant n’accorde pas à tout le monde. Qui plus est, il n’est pas évident, selon lui, de revenir saint et sauf de cette expédition surtout pendant que les moyens de transport n’étaient pas ce qu’ils sont aujourd’hui». C’est pourquoi imam Babacar Dramé trouve normale la solennité de l’accueil réservé aux pèlerins. Seulement, s’empresse-t-il de préciser, «l’Islam n’encourage pas pour autant cette pratique. Surtout avec le ton et l’orientation qu’on donne à ces ‘Ganalé’. La religion interdit formellement la gabegie. C’est malheureusement ce qu’on constate de nos jours dans ces cérémonies qui sont transformées en activités de dilapidation de moyens». De l’avis d’imam Dramé, on peut faire du «Ganalé» sans verser dans ces dérives ostentatoires qui heurtent la conscience religieuse. Malheureusement au Sénégal, constate-t-il pour s’en désoler, «on fait la promotion de la mondanité au risque même de s’endetter en blessant moralement les plus démunis à travers des actes répréhensibles comme le gaspillage dans les cérémonies». Une situation dans laquelle les marabouts ont une part de responsabilité pour leur silence coupable, selon imam Babacar Dramé.
Mamadou Papo MANE