Au rythme où vont les choses, les fruits acides risquent de tenir la promesse de fleurs fanées. Parce que, d’un bout à l’autre de ce processus électoral qu’on a voulu, coûte que coûte, mener à son terme, le fiasco aura été le seul fil conducteur.
Que retiendra-t-on de cette campagne qui s’est achevée hier à minuit ? Rien ! Sinon qu’elle aura été des plus violentes tant au niveau physique que verbal (Voir par ailleurs). Délaissons le rétroviseur et regardons devant. Là, on constate que, en termes de perspectives, les législatives à venir sont parties pour remporter tous les records Guinness aussi bien en popularité qu’en organisation. Fallait-il s’attendre à autre chose ? Assurément, non ! Vu que, dès le début du processus, le ver était déjà dans le fruit. Par une décision unilatérale, sans concertation aucune avec les autres acteurs avec qui il partage le terrain politique, Macky Sall, trois casquettes vissées sur la tête –président de la République, Président de l’Apr et Président de la coalition Benno Bokk Yaakaar – décrète la refonte partielle du fichier électoral, couplée à sa volonté de fabriquer de nouvelles cartes d’identité et d’électeur dites biométriques Cedeao. Comme il fallait s’y attendre, l’opposition rue dans les brancards et brocarde la démarche solitaire du pouvoir.
Quelques mois après le début des opérations, ce que tout le monde craignait se réalise. Le pouvoir constate, en effet, qu’il lui sera impossible de livrer, à temps, les documents électoraux. L’opposition menée par Wade, bille en tête, s’engouffre dans la brèche et réclame leur délivrance hic et nunc à leurs ayants droit. Le débat sur les programmes qui était déjà le parent pauvre de la campagne qui a débuté quelques jours plus tôt est envoyé dans les poubelles. La carte nationale d’identité cristallise toutes les passions. Pouvoir et opposition jouent au chat et à la souris. Au grand dam du citoyen-électeur embrouillé, malgré lui, par le tourbillon politico-médiatique, obligé de faire la navette entre les commissions d’inscription dans l’espoir d’y trouver sa pièce.
L’inflation des listes ne fera qu’en rajouter à la pagaille. De 24, en 2012, la courbe des listes candidates monte à 47. Soit presque le double. Une première historique ! Le caractère inédit est tel que chacun y va de sa proposition pour sortir de l’impasse : des plus ingénieuses aux plus farfelues. Chargée de la régularité des élections, la Cena se morfond dans un profond sommeil. Il leur a fallu un «ordre» du président de la République pour que Doudou Ndir et compagnie se réveillent, convoquent la classe politique et disent avoir fait le constat d’un «consensus» sur la possibilité pour l’électeur de choisir, au moins, 5 listes sur les 47 en compétition. Que vaut un consensus sans les plus grandes coalitions ? Le jeu est biaisé. L’Assemblée, saisie en procédure d’urgence, modifie la loi électorale. Une épine de moins, mais des cactus, il en reste encore devant. Le problème de la disponibilité de la carte reste entier. Macky Sall saisit les 7 sages et leur demande s’il y a possibilité, pour ceux qui n’ont pas pu retirer leur carte, de voter avec des pièces autres que celle-ci. Le Conseil constitutionnel acquiesce et autorise, «à titre exceptionnel», le vote avec des documents autres que la carte d’identité et la carte d’électeur. Le juge constitutionnel qui est visiblement sorti de son champ de compétence légifère à la place du législateur. Mais, c’était l’objectif visé par Macky Sall qui savait tout le mal qu’il aurait à faire passer une modification par l’Assemblée nationale. D’abord, il y a l’écueil des délais. Ensuite, il y a la possibilité pour l’opposition parlementaire de saisir le Conseil constitutionnel pour contester la modification et ainsi faire du dilatoire. Enfin, il y a le protocole additionnel de la Cedeao. Tout se passe comme si Macky voulait, vaille que vaille, organiser des élections. Mais, à quel prix ? Au prix de la légitimité d’une élection partie pour être l’une des plus grandes pagailles de l’histoire électorale du Sénégal.
Ibrahima ANNE (Walf Quotidien)