“J’ai du mal à vous quitter”, confiait-il à ses supporters en clôture de son unique meeting d’entre-deux-tours. C’est dire si Manuel Valls ne se faisait pas de grandes illusions sur ses chances de l’emporter ce dimanche. Sèchement battu par le frondeur Benoît Hamon, l’ancien premier ministre a perdu son pari: reprendre le flambeau abandonné par François Hollande pour défendre sa ligne sociale-libérale musclée à l’élection présidentielle.
“Une page se tourne aussi pour moi”, a reconnu l’ancien premier ministre ce dimanche soir, la voix gagnée par l’émotion. “Une nouvelle page s’ouvre. Il m’appartient de prendre le recul nécessaire […] de me réinventer aussi”, a-t-il déclaré en se promettant de prêter plus d’attention à ses proches et de revenir à Evry, sa “sève” et sa “source”.
Ses amis auront beau se consoler en constatant la progression de leur champion depuis la primaire de 2011 où le député de l’Essonne n’avait recueilli que 5,6% des voix. Le score de ce dimanche (41,3est faible pour celui qui devait incarner la gauche pro-gouvernement et théoriquement majoritaire au PS. Comble de l’humiliation, Manuel Valls, qui a rapidement reconnu sa défaite, n’a même pas pu finir son discours en direct, son rival Benoît Hamon lui coupant le sifflet en prenant la parole trop tôt.
Une sanction sévère pour celui qui fut un temps le ministre le plus populaire du quinquennat, au point de s’imposer à Matignon malgré ses transgressions idéologiques qui l’ont toujours placé en marge d’un Parti socialiste adepte de la synthèse.
Une personnalité qui n’a eu de cesse de diviser
“Manuel Valls a été plombé par le président de la République”, s’étranglait un soutien ce dimanche. Manuel Valls défait, la faute de François Hollande et d’un mandat de divisions? L’explication est un peu courte. Parti tardivement en campagne non sans avoir forcé la main au chef de l’Etat, Manuel Valls s’est aliéné une partie du soutien de la gauche hollandaise. Il paye aussi une campagne poussive, plombée par les couacs, les meetings à moitié vide et les incidents de parcours. Entre un enfarinage et une gifle, le candidat a lui-même peiné à donner une dynamique à son parcours, donnant l’impression d’un zig-zag sur la question du 49-3 ou sur la défiscalisation des heures supplémentaires.
Y compris chez ses propres soutiens, sa personnalité clivante et ses postures martiales l’ont empêché de s’imposer comme le candidat du rassemblement, le seul capable de réconcilier une famille socialiste au bord du divorce. Dans une primaire, “les programmes n’ont plus d’importance. Valls a tellement une image d’autoritarisme que certains de ses amis se sont cachés pour voter pour lui”, glisse un membre de la direction du PS. “Le Parti socialiste, c’est le parti de la synthèse où le clivage permanent est impossible”, résume-t-il.
Face à une défaite présidentielle que de nombreux électeurs jugent annoncée, la stature présidentielle de Manuel Valls ne lui a guère servi, beaucoup de socialistes optant pour un choix d’avenir et de réconciliation. “Valls est un pessimiste qui veut incarner une protection en affichant sa force au lieu de susciter de l’espoir. Cela n’amène que du clivage, de la violence et des attaques personnelles”, regrette le hamoniste Guillaume Balas.
Ecartelé entre Hamon et Macron
C’est cette attitude qui a notamment conduit le champion de la laïcité intransigeante à sortir la sulfateuse contre Benoît Hamon pendant l’entre-deux-tours. Un épisode qui pourrait laisser des traces chez les hamonistes qui ont été estomaqués de se voir reprocher leur “ambiguïté” à l’égard de l’islam politique.
En attendant, l’horizon semble bouché pour Manuel Valls. Redevenu simple député, l’élu de l’Essonne s’est aliéné une bonne partie de la gauche sans avoir conquis le centre. Sur sa gauche, Manuel Valls est persona non grata chez les écologistes, certains ont même fêté sa défaite ce dimanche dans un bar parisien baptisé “49-3”. Et les mélenchonistes ont fait de l’ancien premier ministre le porte-étendard du système qu’ils veulent abattre.
Sur sa droite, Manuel Valls voit la dynamique Macron se confirmer, au risque de voir une partie de ses troupes déserter pour ne pas avoir à soutenir le revenu universel du vainqueur de la primaire. Lui qui avait un temps envisagé de refonder la gauche sur le créneau démocrate de son ex-homologue italien Matteo Renzi a assisté, impuissant, à l’émergence de son ancien ministre de l’Economie, lui chipant le créneau du libéralisme économique et sociétal. “Au fond, Valls a un rapport conservateur au monde. Emmanuel Macron apporte à sa manière une vraie force d’optimisme”, note un frondeur.
Pris en étau, l’ancien maire d’Evry a prévenu qu’il s’effacerait le temps de la campagne présidentielle. Face “aux germes de la décomposition”, Manuel Valls appelle toutefois les siens à faire bloc: “il faudra rester ensemble même si un cycle politique s’achève”.
Son plus proche lieutenant assure que les légitimistes du quinquennat le seront jusqu’au bout. “Je veux jouer avec mes amis un rôle d’équilibre, empêcher la maison de se fissurer. Je ne veux pas voir une hémorragie depuis ma formation vers Emmanuel Macron”, plaide le vallsiste Luc Carvounas dans Le JDD.
En attendant le congrès de l’après-présidentielle au cours duquel frondeurs et vallsistes auront l’occasion de recroiser le fer.
Huffingtonpost