De patate chaude, le dossier gambien est devenu pour le régime de Macky Sall une véritable cigüe.
En acceptant d’accueillir sur son sol Adama Barrow, le Sénégal commet une autre faute diplomatique après celle de Mankeur Ndiaye et corrobore les accusations de Yahya Jammeh qui présente son adversaire comme un cheval de Troie du Sénégal.
Le président élu gambien est arrivé nuitamment à Dakar sur la pointe des pieds. Après s’être rendu à Bamako pour les besoins du Sommet France-Afrique, Adama Barrow a déposé ses balluchons dans la capitale sénégalaise. Avant même que l’information ne fuite, la présidence sénégalaise a pris les devants pour informer de sa présence sur le territoire sénégalais. Le président de la République du Sénégal a répondu favorablement à la demande de son homologue du Libéria, Ellen Johnson Sirleaf, présidente en exercice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), a renseigné l’Agence de presse sénégalaise (Aps). Une décision qui met le Sénégal au cœur de la crise politique gambienne et qui est loin de désavantager Yahya Jammeh. En décidant de fuir son pays, pour des «raisons sécuritaires», Adama Barrow laisse le champ libre à Jammeh, inspire la crainte à ses autres compatriotes et positionne le Sénégal comme un belligérant.
Lundi 10 janvier dernier, des centaines de Gambiens avaient pris d’assaut les locaux de la Cour suprême de leur pays pour manifester leur soutien à Yahya Jammeh. Avant de se disperser, les compatriotes de ce dernier, brandissant des pancartes aux messages hostiles, avaient improvisé une marche pour s’insurger contre ce qu’ils qualifient d’ingérence du Sénégal dans les affaires intérieures de la Gambie. Une posture inspirée par le président sortant gambien qui n’a cessé de pointer un doigt accusateur vers le Sénégal. En acceptant d’accueillir Adama Barrow, Macky Sall, qui s’est défendu d’avoir envoyé des soldats en Gambie pour assurer la protection du nouvel élu, commet une bourde et donne du grain à moudre à Yahya Jammeh. Pourquoi le Nigéria dont le président est désigné comme le médiateur en chef de la crise et dont le parlement a décidé d’offrir à Jammeh l’asile politique ne l’a pas accueilli ? Pourquoi le Libéria dont la chef assure la présidence de la Cédéao n’a pas accueilli Adama Barrow ? Alors que ces deux pays, d’où les magistrats devant siéger à la Cour suprême gambienne devraient venir, ont en partage avec la Gambie et la langue anglaise et le Commonwealth. Et compte-tenu des rapports déjà heurtés entre Jammeh et Macky Sall (à différencier entre Gambiens et Sénégalais), la lucidité politico-diplomatique aurait commandé que le Sénégal, à défaut de prêcher la paix jusqu’au bout, soit beaucoup plus réservé.
Mais dans cette affaire, la retenue semble être le talon d’Achille des autorités sénégalaises qui ont multiplié les maladresses. En effet, depuis l’éclatement de cette crise, marquée par la volte-face de Yahya Jammeh, le régime de Macky Sall s’illustre dans une tergiversation qui a fini de conforter le président sortant gambien dans son obstination. C’est Mankeur Ndiaye qui avait ouvert le bal en sommant Jammeh de transmettre le pouvoir dans les délais. «Nous demandons au président Jammeh de respecter le verdict des urnes, d’assurer la protection du président Barrow démocratiquement élu par le peuple gambien. Nous lui demandons incessamment de créer les conditions d’un transfert pacifique du pouvoir le mois prochain conformément aux dispositions de la Constitution gambienne», avait soutenu le chef de la diplomatie sénégalaise quelques minutes seulement après la déclaration de Jammeh contestant les résultats qu’il avait préalablement acceptés. Une bourde diplomatique qui aura le mérite d’écarter du dossier un Mankeur Ndiaye plus guerrier que diplomate. Le porte-parole du gouvernement renseignait, quelques jours plus tard que le dossier gambien était piloté directement de la présidence. Mankeur Ndiaye placardé, le Sénégal, changeant de fusil d’épaule et opérant un virage à 180 degré, va adopter une autre posture assez éloignée des menaces et autres intimidations. «Nous travaillons à ce qu’on puisse respecter la présomption d’innocence pour le gouvernement sortant, mais aussi travailler à ce que le vainqueur puisse prendre le pouvoir et exercer les prérogatives que le peuple gambien lui a conférées », déclare Moustapha Cissé Lô, président du parlement de la Cédéao.
Entre la déclaration du représentant du Sénégal au parlement de la Cédéao et les menaces du ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, Macky Sall indique la voie à suivre. Interviewé par France24, le chef de l’Etat désavoue son ministre des Affaires étrangères. « Je pense que nous devons aussi respecter le président Jammeh et lui parler (…) d’ici le 17 janvier, c’est le président Jammeh qui reste président de la Gambie et tant que lui ne nous demande pas d’intervenir dans cette phase, nous ne pouvons pas le faire», a-t-il martelé. Plus grave, Mankeur NDIAYE disait mettre en garde Jammeh « très solennellement et très sérieusement contre toute tentative de porter atteinte aux intérêts du peuple du Sénégal et à la sécurité de ses ressortissants qui vivent et qui travaillent en Gambie » ; car ayant « des informations alarmantes de ce point de vue ». Sur le plateau de France24, Macky Sall a pris son contrepied. « Je ne pense pas qu’entre Gambiens et Sénégalais, qu’on puisse en arriver à menacer les Sénégalais sur le territoire gambien », a martelé le président Sall.
Abdoulaye Makhtar Diop n’a pas tort de dire que le dossier gambien constitue la plus grande épreuve de Macky SALL depuis qu’il est élu à la tête de l’Etat du Sénégal. Comme au Burkina Faso, quand il s’était fait accueillir avec les honneurs par le putschiste Diéndéré, Macky Sall est en train de s’empêtrer dans une crise qui pourrait définitivement entacher les relations plus que fraternelles entre Gambiens et Sénégalais.
Mame Birame WATHIE